La Suisse, atout financier pour l’art contemporain
Nommé récemment à la tête du Centre d’art contemporain de Genève (CAC), l’Italien Andrea Bellini entend renouveler le fonctionnement de cette institution. Son argument: une Suisse économiquement stable qui soutient les ambitions culturelles.
Une légère odeur d’huile de vidange vous enveloppe une fois franchi le portail du BAC (Bâtiment d’art contemporain). C’est qu’ici le passé a laissé ses traces. Entêtantes, elles ressurgissent quelques pas plus loin dans la grande cour d’entrée, traversée par un chemin de fer. Des rails très fins sillonnent le sol. Ils ont dû servir autrefois à la circulation de chariots transportant des ustensiles. Le BAC les a gardés. Pas question de renier ses origines.
Né d’une reconversion, le Bâtiment d’art contemporain, sis dans le quartier des Bains à Genève, fut jusqu’à la fin des années 1970 un site industriel, celui de la SIP (Société genevoise d’instruments de physique). Aujourd’hui, il abrite trois institutions: le Centre pour la photographie, le MAMCO (Musée d’art moderne et contemporain) et le CAC (Centre d’art contemporain).
Fondé en 1974, le CAC est le premier centre en Suisse romande dédié à l’art contemporain. A la même époque, d’autres centres du même type fleurissent un peu partout en Suisse, élevés eux-aussi sur des sites industriels. La mode est alors au recyclage des lieux, et les Alémaniques s’en donnent à cœur joie. Appelés Kunsthalle (lire ci-contre), des centres voient ainsi le jour à Bâle, à Schaffhouse et à Zurich notamment.
Sur le modèle d’une Kunsthalle
A sa manière, le CAC est également une Kunsthalle. Il organise des expositions et offre aux artistes un espace de production, de recherches et d’expérimentation. C’est son rôle, joué jusqu’ici par les trois directeurs successifs du lieu. Le quatrième entrera en fonction le 1er septembre prochain. Il s’appelle Andrea Bellini, est Italien et remplace Katya Garcia Anton partie il y a une année.
Une année de flottement qui s’achève enfin avec l’arrivée saluée de Bellini, historien et critique d’art, commissaire d’expositions et curateur du musée d’art contemporain, Castello di Rivoli, célèbre institution turinoise qu’il a codirigée pendant trois ans et dont il vient de démissionner. Triste et ravi en même temps.
Triste d’avoir dû abandonner le Castello où l’aide financière de l’Etat, réduite à la portion congrue, freine toutes les ambitions. Et ravi de se retrouver à la tête d’une institution suisse où il aura les coudées plus franches.
Générosité de l’Etat, curiosité du public
Joint par téléphone à Turin, Andrea Bellini ne cache pas sa joie. «En Suisse, les centres d’art et les musées jouissent d’un excellent niveau de programmation, confie-t-il. A cela une explication: la générosité des autorités de tutelle et la curiosité du public. La Suisse est l’un des pays qui investit le plus dans l’art contemporain parce qu’il croit en cette expression culturelle, pourtant considérée difficile d’accès par beaucoup de gens.»
Un atout donc pour Andrea Bellini qui voit en la stabilité économique de ce pays le garant d’une qualité artistique que l’Europe en crise a du mal à assurer. Dans le domaine de l’art, les coupes budgétaires sont partout drastiques. Et les protestations qui les accompagnent, dramatiques.
En témoigne la réaction du directeur du Musée d’art contemporain de Casoria (près de Naples) qui depuis le printemps dernier brûle sa collection, pièce après pièce. Un geste désespéré qu’Andrea Bellini comprend, même s’il le trouve «situationniste».
«A chacun sa manière de se révolter, dit-il. En quittant le Castello di Rivoli, j’ai voulu, pour ma part, marquer un geste politique. Ma chance fut d’être engagé au CAC. Une opportunité que je saisirai pleinement.»
L’interdisciplinarité
Pleinement signifie élargir les perspectives artistiques et favoriser l’interdisciplinarité. Le nouveau directeur bénéficie d’un contrat à durée indéterminée. Dans ces conditions, les rêves deviennent réalisables.
«Aujourd’hui, l’art contemporain va dans toutes les directions. Il est très diversifié. Je voudrais donc mettre à profit cette diversité en ouvrant le CAC à des artistes visuels qui, dans leurs œuvres, s’inspirent du théâtre, de la danse, du cinéma ou de la musique», explique Andrea Bellini.
Par cette ouverture culturelle, il entend renouveler le fonctionnement même de sa maison. «La cohabitation avec le MAMCO et le Centre pour la photographie rendent d’autant plus nécessaire la construction d’une identité propre au CAC, autonome et originale», s’enflamme Andrea Bellini.
Les irréguliers
Exposer des artistes émergents de toutes origines, comme l’a fait jusqu’ici le CAC, ne suffit plus pour donner au Centre une touche avant-gardiste. Aux yeux du nouveau directeur, il faut aller plus loin. «La richesse intellectuelle de Genève en particulier et de la Suisse en général me permettront, dit-il, d’établir une collaboration avec ceux que j’appelle les ‘irréguliers’.»
Entendez des écrivains, des enseignants ou des philosophes qui n’évoluent pas forcément dans le circuit artistique officiel, et qui pour cette raison portent sur l’art contemporain un regard très personnel, voire radical.
A ceux-là, Bellini fera appel pour sa «programmation parallèle» faite de conférences, de rencontres et de débats qui viendront compléter des expositions d’artistes locaux et internationaux.
«La culture contemporaine est large et complexe. Je voudrais la mettre en évidence», conclut notre interlocuteur.
Né en 1971.
Commissaire d’expositions, historien et critique d’art italien.
Titulaire d’une maîtrise de philosophie et d’une spécialisation en Histoire de l’art obtenue à l’Université de Sienne, il a analysé l’œuvre de grands artistes en prêtant une attention particulière aux nouvelles générations.
De 2007 à 2009, il a dirigé la foire internationale d’art contemporain de Turin, Artissima.
A partir de 2009, il a codirigé le Musée Castello di Rivoli de Turin, dont il a démissionné récemment.
Le 1er septembre 2012, il entrera en fonction au CAC.
Tourné vers le futur, il expose des artistes de la scène locale et internationale tout en leur offrant un espace de recherches.
A la différence d’un musée, il n’a pas de collections.
Depuis plus de 30 ans, il anticipe les courants, découvre des talents et présente des artistes suisses ou étrangers au début de leur carrière.
A son actif, plus de 300 expositions pionnières, avec des créateurs comme Joseph Beuys, Olaf Breuning, Gilbert & George, Nan Goldin, Pipilotti Rist, Ugo Rondinone…
Il a connu plusieurs lieux avant de s’installer, en 1989, dans l’actuel Bâtiment d’art contemporain.
Il bénéficie du généreux soutien de la Ville de Genève.
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