La Suisse en superfiction à la Biennale de Venise
L'artiste helvético-brésilien Guerreiro do Divino Amor représente la Suisse à la 60e édition de la Biennale d'art de Venise, qui s’est ouverte le 20 avril. Avant l'inauguration, nous avons eu accès à son installation, avec pour guide l'artiste lui-même.
La Biennale de Venise, qui se tient jusqu’au 24 novembre, rappelle les expositions universelles du 19e siècle. Son format permet aux pays de projeter l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. De nos jours, trente pavillons nationaux présentent les œuvres de leurs artistes dans les Giardini (jardins de Venise). Ils se déroulent parallèlement à la grande exposition présentée à l’Arsenale, un site emblématique de Venise et un ancien complexe de chantiers navals et d’armureries, qui a fait de la République de Venise une puissance navale pendant des siècles.
C’est la deuxième fois consécutive que la Suisse choisit des artistes issus de l’immigration. En 2022, c’est la Suisso-Marocaine Latifa Echakhch qui représentait le pays. Cette année, Antoine Guerreiro Golay, alias Guerreiro do Divino Amor, ou guerrier de l’amour divin, sera le visage de la Suisse.
Né à Genève, Guerreiro do Divino Amor vit à Rio de Janeiro depuis plus de dix ans. «C’est là que je me suis senti le plus à l’aise pour créer, et aussi le plus accepté», affirme-t-il.
«Des étrangers partout»
L’édition 2024 de la Biennale a pour commissaire le Brésilien Adriano Pedrosa. Il s’agit du premier directeur artistique issu du Sud. Intitulée «Foreigners Everywhere» (des étrangers partout), elle est marquée par plusieurs expositions mettant en lumière les questions de la décolonisation, de la migration et de la guerre.
La Biennale a commencé à faire des vagues avant même son ouverture. Ruth Patir, l’artiste représentant Israël, a refusé d’ouvrir le pavillon israélien tant qu’un cessez-le-feu n’aurait pas été conclu à Gaza. Une grande manifestation propalestinienne a également eu lieu devant le pavillon israélien.
Dans ce contexte de tensions, le travail de Guerreiro do Divino Amor apporte une perspective originale, sans être en contradiction avec les tendances générales de la Biennale. Il y présente les 7e et 8e chapitres de l’œuvre qu’il développe depuis ses études d’architecture, «The Superfictional Atlas of the World» (l’atlas superfictionnel du monde). Cette fois-ci, il s’est concentré sur la Suisse elle-même avec «The Miracle of Helvetia» (le miracle helvétique) et sur Rome avec «Rome Talisman» (le talisman de Rome).
Ces deux œuvres peuvent être décrites comme des installations transmédias, c’est-à-dire des récits différents sur des supports variés composant chacun un «monde narratif», où des thèmes et des concepts similaires interagissent pour créer ses «superfictions».
Le terme «superfiction» a été inventé par l’artiste écossais Peter Hill en 1989 et désigne une œuvre d’art visuelle ou conceptuelle qui utilise la fiction et l’appropriation pour brouiller les lignes entre les faits et la réalité au sujet d’organisations, de structures commerciales et/ou de la vie d’individus inventés. Cette définition s’applique parfaitement à l’œuvre de Guerreiro do Divino Amor.
L’artiste s’approprie des images d’institutions religieuses, d’entreprises, d’agro-industries et de gouvernements et les transforme en allégories, créant ainsi une sorte de parade carnavalesque. Dans sa pratique, Guerreiro do Divino Amor décontextualise ces images et ces icônes et les recadre dans ses récits, dans un mélange de fantaisie et de science-fiction. «Mais elles sont toutes hyperréalistes en même temps», précise-t-il.
Andrea Bellini, directeur du Centre d’art contemporain de Genève et commissaire désigné de l’exposition suisse, situe l’œuvre de Guerreiro do Divino Amor dans la perspective de la Biennale dans son ensemble. Paraphrasant le titre de la Biennale, Foreigners Everywhere, il souligne qu’«avec le pavillon suisse, nous invitons nos visiteurs à se sentir étrangers dans leurs propres vérités».
Guerreiro do Divino Amor est notre invité dans ce nouvel épisode de «On the Record».
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Traduit de l’anglais par Emilie Ridard/sj
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