La tête de foetus à nouveau au Kunstmuseum
L'œuvre du Chinois Xiao Yu est à nouveau visible à Berne. Représentant une tête de fœtus humain greffée sur un corps de mouette, elle avait été retirée.
La décision du Musée des Beaux-Arts de Berne intervient une semaine après qu’un groupe d’experts eut estimé que l’œuvre ne contrevenait ni à la loi ni à l’éthique.
Nommée le «bébé-mouette», cette œuvre fait partie d’une collection de plus de 300 pièces présentées au Musée des Beaux-Arts (Kunstmuseum) dans le cadre d’une exposition d’art contemporain chinois. Cette exposition a ouvert ses portes le 12 juin.
Mais cette œuvre avait été retirée de l’exposition le 10 août suite à une plainte d’Adrien de Riedmatten. Cet historien valaisan a porté plainte pour atteinte à la paix des morts, représentation de la violence et infraction à la loi sur la protection des animaux.
Cette plainte est dirigée à la fois contre l’artiste chinois Xiao Yu, la direction du musée et Uli Sigg, le propriétaire de la collection.
La direction du Kunstmuseum a également porté plainte contre Adrien de Riedmatten pour diffamation, en raison des propos tenus sur son site Internet. Pour l’heure, la justice ne s’est encore prononcée sur aucune des deux plaintes.
Retrait momentané
Suite à la plainte, les responsables du musée avaient momentanément retiré l’œuvre controversée de la vue du public. Mais ils ont finalement annoncé ce jeudi qu’elle sera à nouveau visible.
Cette décision fait suite à un symposium d’experts appelés à se prononcer sur la question le 22 août. Ce groupe d’experts qui incluait des théologiens, des juristes, des philosophes et des historiens de l’art a clairement rejeté les reproches de l’historien.
Adrien de Riedmatten y a présenté ses arguments, rappelant notament que des enfants avaient quitté l’exposition en larmes.
Le curateur de l’exposition, Bernard Fibicher, s’est dit surpris par l’unanimité des experts. L’un d’eux, Andrea Riemenschnitter, professeur au département des études extrême-orientales de l’Université de Zurich, a cependant indiqué à swissinfo qu’une large palette d’avis avaient été exprimés lors de ce symposium ouvert au public.
«Il n’y avait pas d’unanimité dans nos opinions, confie la sinologue. Mais en tant que groupe, nous ne pouvions pas en arriver à une autre décision. En effet, interdire d’exposer cette œuvre après l’avoir autorisé dans un premier temps impliquait beaucoup trop de problèmes.»
Des avis très différents
Peter Studer relève aussi que les avis étaient très distincts parmi les experts. «Il y en avait pour qui l’art doit toujours être libre, quelles que soient les circonstances, alors que d’autres estimaient que la liberté artistique peut être limitée par d’autres droits fondamentaux comme la dignité humaine ou la dignité de l’animal», a expliqué le président du Conseil suisse de la presse.
Pourtant, ces experts ont été unanimes pour décider de continuer à exposer l’œuvre. En effet, selon le droit suisse, il n’y avait pas de raisons de la retirer, explique Peter Studer, qui a fait office d’expert en droit lors de symposium.
Le droit suisse ne considère pas le fœtus comme une personne, poursuit-il. Il n’était donc pas approprié de parler d’atteinte à la paix des morts. Le fœtus avait été acheté à une exposition médicale en Chine et l’oiseau avait été trouvé mort dans un parc.
«On doit toujours faire une distinction entre goût, éthique et droit, conclut Peter Studer. Or les opposants à cette œuvre n’ont pas fait cette distinction.»
Art dégénéré
Pour sa part, Andrea Riemenschnitter indique qu’il était erroné de faire un lien entre le fœtus exposé et la politique d’avortement très critiquée de la Chine. Le fœtus était âgé de plusieurs décennies et datait d’avant la politique de l’enfant unique.
La sinologue concède cependant que l’objet est de nature à heurter la sensibilité de certaines personnes. Elle remarque d’ailleurs qu’en Chine, cette œuvre serait considérée comme un exemple d’art dégénéré.
«Cette exposition n’a pas été montrée en Chine et ne le serait certainement pas en raison des critères artistiques des Chinois», déclare-t-elle.
Un espace séparé
L’avis des experts a donc conduit la direction du Kunstmuseum à présenter à nouveau cette œuvre controversée au public. Cependant, la manière de l’exposer sera un peu différente.
Désormais, le «bébé-mouette» sera exposé dans un espace séparé. Cette décision a été prise «par égard pour la sensibilité des visiteurs», a fait savoir la direction.
swissinfo, Morven McLean
(Traduction de l’anglais: Olivier Pauchard)
L’exposition «Mahjong, art contemporain chinois de la collection Sigg» peut être visitée jusqu’au 16 octobre au Kunstmuseum de Berne.
Cette exposition, qui tire son nom d’un jeu très populaire en Chine, propose d’admirer plus de 300 œuvres sur les 1200 rassemblées par l’ancien ambassadeur en Chine.
Quelques dizaines d’œuvres de grande dimension sont également exposées au siège de la société Holcim à Holderbank dans le canton d’Argovie.
– Le Kunstmuseum a retiré l’œuvre controversée du Chinois Xiao Yu le 10 août.
– Le 22 août, lors d’un symposium public, un groupe d’experts a débattu pour savoir s’il convenait ou non de retirer cette œuvre.
– Formé d’historiens de l’art, de juristes, de philosophes et de théologiens, le groupe a conclu qu’aucun élément juridique ou éthique ne justifiait ce retrait.
– L’œuvre sera à nouveau exposée à partir du 8 septembre dans un espace séparé.
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