La Villa Remarque, cherche acquéreur désespérément
Le temps presse. Faute de fonds pour couvrir les 6,1 millions de francs que coûte la dernière demeure de l’écrivain Erich Maria Remarque, la Villa Tabor à Ronco s/Ascona risque la démolition. Entre passivité et activisme, récit d’une course contre la montre.
Les promoteurs immobiliers, toujours à la recherche du moindre mètre carré de terrain avec vue et surtout accès privé au lac Majeur l’ont bien compris : la villa de l’écrivain allemand Erich Maria Remarque, décédé au Tessin le 25 septembre 1970, avec ses somptueuses terrasses, est l’endroit rêvé pour ériger un immeuble avec appartements de grand standing. Exactement le genre d’objet que s’arrachent de riches acquéreurs, souvent des étrangers, dans la région.
Pour l’heure, l’élégante demeure, une grande maison blanche aux fenêtres arquées, avec vue plongeante sur la baie d’Ascona, semble comme figée, en attente de connaître son sort. Et pourtant, la bâtisse a connu de jours meilleurs. Elle a été un rendez-vous d’intellectuels et connu les fastes hollywoodiens, puisqu’elle a servi de havre de paix pour vedettes.
Ecrin mondain et intellectuel
Parmi ces personnalités, on peut citer Marlène Dietrich, qui avait été la maîtresse de l’écrivain allemand, de 1939 à 1941. Mais surtout, l’actrice américaine Paulette Goddard, ex-épouse et muse de Charlie Chaplin, et à qui Erich Maria Remarque avait passé la bague au doigt en 1958.
Loin des paillettes, la Villa Monte Tabor, a aussi servi de refuge à des artistes et pacifistes fuyant le régime nazi, comme l’intellectuel allemand Felix Manuel Mendelssohn.
Une période mouvementée que celle des années trente, même si vécues depuis cette région tranquille et coquette, à l’abri des vicissitudes mondiales. Et c’est en 1933, confortablement installé à la casa Monte Tabor, qu’Erich Maria Remarque, apprend par les ondes de la radio, que le régime nazi a brûlé ses ouvrages et déchu leur auteur de sa nationalité allemande.
L’année suivante, c’est encore à Ronco s/Ascona, qu’il accueille malgré lui Paul Kröner, secrétaire d’Hermann Göring, venu lui soumettre une proposition de retour en Allemagne, à condition de dénoncer l’éditeur juif d’ A l’ouest, rien de nouveau, son ouvrage fétiche, aujourd’hui réputé le plus lu au monde après la Bible. Proposition vivement rejetée par Remarque.
Récolte de fonds boiteuse
Et c’est pour toutes ces raisons, que les admirateurs d’Erich Maria Remarque, mais aussi de Paulette Goddard, se sont mis en tête de sauver la villa tessinoise. Qui pour ouvrir la demeure au public et la transformer en centre culturel, qui pour des objectifs similaires mais avec des buts « de rentabilité ».
Ainsi, Michael Gaedecke, un homme d’affaire d’origine tessino-allemande, installé à Los Angeles depuis quelques années et grand admirateur de Paulette Goddard – dont il aime à répéter inlassablement le nom avec un accent américain appuyé – remue ciel et terre depuis quelques semaines, dans l’espoir de récolter les 6,1 millions de francs (prix du marché), demandés par les actuels propriétaires de la Villa Tabor.
Ces derniers, un couple d’américains, contraints de se défaire de cet « endroit magique » en raison d’une impasse financière, ont néanmoins accepté de retarder la vente de l’édifice moyennant un versement de 100’000 francs.
Un répit pour tenir les promoteurs immobiliers à l’écart, prêts à payer rubis sur l’ongle, et dont certains « ont déjà formulé des offres très intéressantes », ont indiqué les actuels maîtres des lieux. Et le temps d’espérer qu’un miracle se produise. Le 31 janvier prochain, il sera trop tard.
Contacts tous azimuts
« Voyant que le temps passait sans que rien ne soit entrepris, je me suis rué sur mon téléphone pour contacter le maire de Ronco s/Ascona pour tenter de trouver les fonds nécessaires au plus vite », affirme le jeune homme, qui aime à répéter qu’il a grandi à Ascona, que Paulette Goddard était une cliente du restaurant tenu par son père, qu’il connait « des gens de part et d’autres de l’Atlantique qui pourraient faire en sorte que la villa soit sauvée ».
En vendeur chevronné et doté d’un sens du marketing très développé, Michael Gaedecke a aussi profité de l’afflux de personnalités suisses et internationales à Locarno, accourues pour le Festival international du film, pour promouvoir sa récolte de fonds.
« Marco Solari est emballé par mon projet et m’a ouvert toutes les portes », s’enthousiasme celui qui défend des « intérêts commerciaux suisses aux Etats-Unis » et veut « promouvoir la plateforme touristique tessinoise », projet pour lequel il serait notamment en discussion avec des autorités cantonales.
Inquiétudes et doutes
Mais le fait est, qu’en l’absence de projet concret – « il fallait parer au plus pressé, le projet et le business plan suivront », assure Michael Gaedecke – difficile de stimuler la générosité des donateurs, peu enclins à sortir leur chéquier sans savoir où ira leur argent. « J’ai eu de très nombreuses discussions, et l’intérêt est là. Il faut désormais définir les base juridiques de la récolte menée entre les USA, la Suisse et l’Allemagne », explique-t-il.
En Allemagne précisément, où se trouve la « Erich Maria Remarque Gesellschaft », une société où l’on considère la récolte de fonds lancée au Tessin comme « une bonne chose », mais non sans cacher une certaine inquiétude, comme celle de voir la mythique villa Monte Tabor, le cas échéant, se « transformer en Mecque du tourisme, voire en parc d’attraction », laisse entendre le président de ladite société, Derk-Olaf Steggewentz, qui admet néanmoins que « ceux qui apporteront les fonds nécessaires auront leur mot à dire ».
Quant aux autorités tessinoises, leur position est définitive : « Nous avons consulté des spécialistes du patrimoine et le constat est clair, à savoir que cette demeure ne présente aucune valeur architecturale particulière. Nous ne pouvons pas intervenir avec de l’argent public pour sauver tous les édifices dans lesquels ont séjournés des célébrités », explique le ministre tessinois de l’éducation et de la culture, Manuele Bertoli.
Pour les promoteurs du sauvetage de la villa Monte Tabor, il s’agira maintenant de convaincre les éventuels donateurs du contraire.
Erich Maria Remarque est né en 1898 à Osnabrück (Allemagne). Il est décédé à l’âge de 72 ans, le 25 septembre 1970, dans une clinique de Locarno, où il était soigné pour son alcoolisme.
Nom. Il abandonne la version Remark de son nom de famille, pour reprendre la version française de « Remarque », elle-même abandonnée par son grand-père paternel au 19e siècle.
Sa vie. Dans son plus célèbre romand, l’auteur de A l’ouest rien de nouveau (1929), raconte sa vie de soldat blessé au front en 1917.
Exil. Il fuit le régime nazi en 1933.
Demeure. Il avait acquis la Villa Monte Tabor, à Ronco s/Ascona, construite en 1931, deux années auparavant.
Valeur. Achetée pour 70’000 franc, elle est estimée aujourd’hui à 6,1 millions de francs (valeur de marché).
Lieu. C’est à Ronco s/Ascona qu’il écrit notamment Les camarades (1937), Les exilés (1939) et L’arc de triomphe (1946).
Cimetière. Erich Maria Remarque repose au petit cimetière de Ronco s/Ascona.
Radcliffe. L’acteur anglais Daniel Radcliffe, qui a incarné Harry Potter, incarnera le jeune soldat Paul Bäumer, dans le remake hollywoodien de A l’ouest rien de nouveau, produit par Ian Stockell.
Oscarisé. Le roman a déjà été porté à l’écran deux fois. La première version de 1930, avait été récompensée par un Oscar, celle de 1979, avait été couronnée par un Golden Globe.
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