Le blues dans tous ses états
Soirée blues au Montreux Jazz Festival, avec, pour honorer les légendaires 12 mesures, les tirs croisés de l'Irlandais Gary Moore, de l'Anglais John Mayall, et des Américains Otis Taylor et Buddy Guy.
En 42 éditions, tous sont venus à Montreux. Et y ont laissé flotter des notes de guitares incandescentes. Tous, qui? Les fondus de blues, ceux qui sont tombés sur une six cordes quand ils étaient petits et ne s’en sont jamais remis.
«Je ne sais plus combien de fois j’y suis venu. C’est un festival formidable, qui a une histoire», nous disait un jour le bluesman américain Robert Cray, d’ailleurs de retour à Montreux cette année (ce mardi soir).
Montreux, le lieu où BB King, avant d’y annoncer la fin de ses tournées européennes en 2006, venait presque chaque année, et participait même à des ateliers ouverts à tous. Montreux, la ville où David Bowie découvrit un jeune prodige du blues, un Texan nommé Jimmy Ray Vaughan, et, bluffé, l’invita à venir jouer sur l’album «Let’s Dance»… On connaît la suite.
La surprise
Il y a quelques mois, par hasard, je suis tombé sur l’album d’un bluesman qui m’était inconnu. Otis Taylor. Choc. Et plaisir de le découvrir ‘en vrai’ ce lundi à Montreux. Car la seule vraie surprise de la soirée, soyons franc, venait de lui. Une surprise qu’on doit à Gary Moore, qui a suggéré le musicien à Claude Nobs.
Otis Taylor a abandonnée la musique pendant une bonne vingtaine d’années pour s’occuper d’objets indiens, puis s’y est remis grâce à un petit label indépendant. Face au public, débarqué de son Colorado, il n’en revient pas de se retrouver à Montreux, seul en scène, le même soir que Moore, Guy et Mayall…
Bluesman, Otis Taylor? Oui, sans doute. Mais un bluesman qui intègre dans sa musique le banjo de la country tout en le détournant. Et qui à force de faire tourner ses mélodies sur un accord unique, avec une rythmique obsédante, évoque autant les mélopées indiennes que le blues traditionnel.
A l’arrivée, un climat étrange, une musique sombre, parfois hypnotique. Ou quand l’esclave rebelle du Mississipi rencontre le guerrier Navajo.
Le vieux renard
A Otis Taylor succède Buddy Guy, à qui on ne la fait pas. L’homme que les Stones ont invité à partager une chanson dans le film «Shine a Light» de Martin Scorcese est aussi roublard et showman que le duo Jagger-Richards. Mais dans un autre registre.
Costard clair, casquette portée à l’envers, montre et bagouzes clinquantes que ne renierait pas le plus bling-bling des rappeurs, Buddy Guy nous la joue maître ès cabotinage: il connaît ses 6 cordes et toutes les ficelles du spectacle.
Sourire incessant, alternativement charmeur, rusé, libidineux ou moqueur, Buddy Guy compense la prolixité de sa guitare par un jeu permanent sur le volume, laissant murmurer son instrument pour mieux le laisser rugir ensuite, quitte à transformer la bonne idée en procédé agaçant.
Avec Buddy Guy, même «Hookie Coochie Man» se transforme en une longue plaisanterie, de même que les clins d’œil à Clapton ou à Hendrix. Prolongeant sans complexe le temps qui lui est imparti, il n’hésitera pas à se payer une longue traversée du public, guitare au vent, et à aller jouer dans les couloirs sous l’œil de spectateurs aussi peu assidus qu’étonnés.
Le rouleau compresseur
Exit le rigolard, arrive le teigneux. Gary Moore, visage de pitbull contrarié, attaque son spectacle avec la douceur d’un impact nucléaire. «Oh Pretty Woman», hurle-t-il. Je serais elle, j’aurais peur.
Pendant tout le set, le guitariste irlandais va enchaîner les titres à un tempo d’enfer, alternant rocks bodybuildés («Hard Times», «Since I met you Babe», pourtant de BB King!) et blues. Lesquels, tout en nous faisant croire à une hypothétique accalmie, se terminent immanquablement dans un déchaînement de guitare hurlant à la mort («Still Got the Blues»).
L’homme est impressionnant de virtuosité et de maîtrise – jouer avec une telle précision d’une distorsion aussi énorme n’est pas vraiment aisé – ce qui n’empêchera pas un bon quart du public de quitter progressivement la salle… Tout le monde n’est pas à même de rester l’oreille collée au réacteur d’un Boeing pendant près de deux heures.
Gary Moore redécouvrira l’existence du mot «sourire» en jammant avec Otis Taylor lors du premier rappel, puis gratifiera ses fidèles d’un torride et attendu «Parisienne Walkways»…
Le vétéran
Sur le coup de minuit et demi, John Mayall peut entrer en scène, devant un public moins dense qu’auparavant. L’homme qui découvrit Eric Clapton, Peter Green et Mick Taylor, a accordé son T-shirt et ses pantalons à ses cheveux blancs…
La légende vivante – mais discrète – se tient derrière son clavier, face au public, accompagné par un groupe efficace, énième mouture des fameux «Bluesbreakers». Après l’avalanche de décibels de Gary Moore, le public peut se plonger dans un blues plus sympathique qu’enflammé…
Beaucoup de notes, ce soir. Beaucoup de cordes tirées, de «babe» et autres «got the blues» ressassés. Mais l’émotion était-elle au rendez-vous? Pour moi, moins que dans cette arrière-cour de Memphis, il y a quelques années. Un soir où une vieille chanteuse noire anonyme chantait le blues accompagné d’un non moins vieux guitariste, qui égrenait ses accords sur un petit ampli pourri devant une poignée de fidèles.
Nos héros seraient-ils usés? A moins que ce ne soit moi…
swissinfo, Bernard Léchot à Montreux
John Mayall est né près de Manchester (GB) en 1933. Il est un des précurseurs du blues anglais des années 60 et un formidable découvreur de talents: Eric Clapton, Peter Green et Mick Taylor passèrent dans son groupe, les «Bluesbrakers». Tout au long de sa carrière, Mayall a régulièrement rendu hommage aux pionniers du blues américain. C’est le cas sur «In the palace of the King», son 56e album, où il salue la mémoire du Texan Freddie King.
Buddy Guy est en Louisiane (USA) en 1936. Après être «monté» à Chicago, sa rencontre avec BB King l’installera sur la scène blues américaine. Le vrai succès arrive avec les années 60. Quelque peu oublié au cours des années 70 et 80, la reconnaissance de ses cadets revient avec les années 90. Sa participation aux côtés des Stones dans «Shine a Light» de Martin Scorcese illustre son statut actuel de légende du blues.
Otis Taylor est né à Chicago (USA) en 1948, et grandit à Denver. En découvrant le banjo, puis la guitare et l’harmonica, il se passionne pour le country blues et le folk. Après avoir abandonné la musique à la fin des années 70, il revient sur le tard avec un style réellement à lui, sombre et hypnotique.
Gary Moore est né à Belfast (Irlande, GB) en 1952. Après avoir joué dans plusieurs groupes (Skid Row, Thin Lizzy, Colosseum II), il entame progressivement une carrière solo. En jouant la carte du croisement hard rock et musique celtique, puis en revenant résolument au blues en 1990. Après une brève incursion dans la pop à la fin des années 90, Moore le bluesman est de retour. Son dernier album «Close as you Get» (2007) en témoigne.
La 42ème édition du MJF a lieu du 4 au 19 juillet.
Au total, les deux scènes voient défiler près de 90 groupes.
Une trentaine de concerts sont des exclusivités suisses, dont ceux de Sheryl Crow, Joan Baez, The Raconteurs, Leonard Cohen et Madness, Gnarls Barkley et Travis, Etta James et les Babyshambles.
Maintes animations complètent la programmation, dont 250 concerts et DJ gratuits, des croisières sur le Léman et des voyages musicaux en train.
Les organisateurs disposent d’un budget de 18 millions de francs.
Le festival a été créé en 1967 par Claude Nobs, toujours aux commandes. De nombreux disques live y ont été enregistrés.
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