«Le cinéma d’Afrique de l’Ouest n’existe plus»
Lausanne accueille la 4e édition du Festival cinémas d'Afrique. Un bonheur devenu rare car les films bon marché en home vidéo, qui forment le gros de la production africaine, ne sortent guère du continent. Les explications du producteur suisse Pierre-Alain Meier.
«Le cinéma d’auteur en Afrique de l’Ouest, c’est catastrophique. La production télé, elle, est très importante. Mais c’est aussi mauvais que les productions locales populaires de la télévision romande», assène avec un brin de provocation Alain Bottarelli, organisateur du Festival cinémas d’Afrique.
Ce festival lausannois présente cette année un panorama assez large de la production du continent, et pour ce qui est de l’Afrique francophone, essentiellement des documentaires ou des films anciens. Pas très étonnant, vu la crise du cinéma d’auteur africain francophone, constatée sur place par le producteur suisse Pierre-Alain Meier.
swissinfo: Pourquoi voit-on si peu de cinéma africain en Suisse et en Europe actuellement?
Pierre-Alain Meier: Parce qu’il n’y en a plus. Le cinéma d’Afrique du Sud existe, et quelques films en Afrique de l’Est. Mais le cinéma d’Afrique de l’Ouest dont on avait l’habitude ne fait plus de films. Il y en a eu trois sur toute la région l’année passée. J’en ai vu deux, c’était ni fait ni à faire.
swissinfo: Il n’y a plus de films parce qu’il n’y aurait plus de cinéastes…?
P.A.M.: Il y a des cinéastes, qui se recyclent petit à petit. Idrissa Ouedraogo fait de la télé et essaie de temps en temps de refaire un film… Souleymane Cissé a enrobé quelque chose dans un film de 50 minutes, présenté à Cannes, pour trouver de l’argent.
swissinfo: D’où vient, alors, que ce cinéma n’existe plus selon vous?
P.A.M.: C’est la question que je me suis posée. J’étais troublé, je suis allé voir sur place. Pour le dire de manière radicale, ce cinéma n’existe plus parce qu’après la belle époque du début des années nonante, il n’amuse plus, les moyens n’existent plus, la France n’intéresse plus. L’autre manière de voir, c’est que ces films [d’Afrique francophone] n’étaient pas vus là-bas. Ils étaient tellement déconnectés de leur public naturel que le mouvement s’est endormi pour mourir de sa belle mort.
swissinfo: Autrement dit, on avait là un cinéma africain destiné aux Européens…
P.A.M.: L’Europe était quasiment le seul bailleur de fonds du cinéma de ces pays. Avec, dans ces films, la plupart du temps ce souci de critique politique des Etats. Un cinéma, en sommes, qui arrangeait un peu le Nord, mais qui n’a pas fidélisé le public africain. Ce public s’est intéressé aux cinémas hindou puis américain. Ce qui ne veut pas dire que rien ne se passe sur place. Au contraire.
En mars, le FESPACO [Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou] présentait douze films du Cameroun. Mais des films à cinq ou dix milles francs, réalisés par des jeunes, en vidéo numérique. Des films en eux-mêmes pas très intéressants, si ce n’est qu’ils ont démarré là-bas, à partir d’idée de là-bas.
swissinfo: Autrement dit, une nouvelle ère du cinéma de l’Afrique de l’Ouest s’ouvre?
P.A.M.: Absolument. Il se fait entre 1500 et 2500 films par an au Nigeria [où des salles renaissent avec la masse critique engendrée par l’industrie nationale, le fameux «Nollywood»]. Et comme au Rwanda ou d’autres pays d’Afrique de l’Ouest, il ne s’agit plus d’un cinéma de salle mais de home vidéo [films consommés en vidéo]. Un cinéma commercial, avec des producteurs forts et des réalisateurs qui tournent en une semaine.
Le Nigeria est peut être précurseur de ce qui peut se passer en Afrique francophone, sous réserve que c’est un pays énorme. L’industrie locale a deux ou trois jours pour écouler sa production avant le piratage des DVD, qui est un problème mondial dans l’exploitation. On voit donc la difficulté d’exploiter un film francophone à travers si ou sept pays de la région.
swissinfo: Et de quoi parlent ces films?
P.A.M.: Souvent de conflits mystiques, de révélations spirituelles. Le phénomène a d’ailleurs démarré dans les cercles religieux, avec l’argent des églises. Une industrie a germé, l’intérêt à consommer local est revenu.
Ce mouvement vers des films proches des telenovelas, s’adressant à un public local, démarre actuellement au Cameroun, qui est le pays d’Afrique francophone le plus avancé sur cette voie. D’ailleurs, en parallèle, la dernière salle de cinéma y a fermé en février dernier.
Au Burkina, le cinéaste Boubacar Diallo a fait sept long métrages ces dernières années [les films du dromadaire]. Il fait 50’000 entrées pour des films coûtant 30’000 francs. Kaboré, un des pères du cinéma africain, défend quelque part cette approche. Il estime que c’est à ce prix que le public continuera à voir les films.
swissinfo: Dans cette perspective, l’Occident doit-il continuer à vouloir intervenir, avec ses financements et ses choix?
P.A.M.: Des Blancs qui repensent leur système à la place des Noirs – on retombe inévitablement sur cette critique. En même temps, avec un peu d’ordre mis dans le système, en inventant des modèles de financement automatiques, ils ont sans doute cinq à dix ans à gagner. Je le vois bien, certains se découragent. Car avec de l’argent privé, en offrant les films à la télévision, les 30 ou 40’000 francs pour faire un film, ça reste malgré tout dur à trouver.
swissinfo: Le contraste semble évident avec l’Afrique du Sud, qui connaît son heure de gloire cinématographique…
P.A.M.: Je connais moins ce cinéma. Mais sur le fond, l’Amérique est proche, avec un marché de la publicité énorme. Beaucoup de boîtes mondiales réalisent leurs pubs là-bas en raison des coûts de tournage, ce qui a engendré une véritable industrie. Certaines TV y sont très actives aussi, rachetant pour une bouchée de pain les films noirs-africains avec les droits internet. Il y a sur place un vrai dynamisme, un professionnalisme qui n’existe pas dans la majeur partie des pays d’Afrique de l’Ouest.
Pierre-François Besson, swissinfo.ch
4e A Lausanne, le Festival cinémas d’Afrique tient sa quatrième édition du 27 au 30 août. Au menu, une bonne vingtaine de fictions, documentaires, films d’animation et courts métrages, avec la notion de travail pour fil rouge – thème qui donnera aussi lieu à un débat.
Hommage Parmi les rendez-vous cette année, un hommage au cinéaste malien Adama Drabo, décédé durant l’été, et la présence confirmée des réalisateurs Idris Diabaté et Lucie Thierry,
Foot A découvrir sur grand écran, en première européenne, la fiction de Junaid Ahmed, («More than just a game», 2008). Interprété par des stars du cinéma sud-africain, le film revient sur l’époque où, longtemps avant le mondial 2010, les prisonniers antiapartheid de la prison de Robben Island organisaient des matches de foot, un droit conquis de haute lutte.
Soul Autre film attendu, «Soul Power», de Jefrey Levi-Hinte (2009), un documentaire qui lie, en 1974, la combat de boxe Foreman-Mohamed Ali et le festival de musique soul de Kinshasa, avec les grands noms de l’époque.
Né en 1952, Pierre-Alain Meier est réalisateur et producteur. Il a créé et dirige Thelma Film à Zurich et Ciné Manufacture à Paris.
Le Suisse a produit une quinzaine de films dans le Sud, dont dix ont été sélectionnés pour différentes éditions du Festival de Cannes.
Parmi les films produits: Yaaba (Idrissa Ouedraogo, 1989, Burkina Faso), Hyènes (Djibril Diop Mambéty, 1990, Sénégal), Laafi Tout va bien (Pierre Yameogo, 1991, Burkina Faso), Les Gens de la Rizière (Rithy Panh, 1994, Cambodge), Bab el Oued City (Merzak Allouache, 1994, Algérie) ou Memoria del Saqueo (Fernando Solanas, 2004, Argentine).
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