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Le cinéma suisse vu de Cannes, avant Locarno

Reuters

Au moment où s'ouvre le 62e Festival de Cannes, Olivier Père, patron de la Quinzaine des réalisateurs et futur directeur artistique de Locarno, dit ce qu'il pense du cinéma suisse, absent cette année des compétitions sur la croisette.

La surprise n’en est pas une, mais tout de même: à pas encore quarante ans, Olivier Père se dit «très fier et très impatient» de poser ses valises à Locarno.

Dans cette partie italophone de la Suisse au parfum de Sud, le Français né à Marseille entamera le 1er septembre une nouvelle étape de sa carrière vouée au 7e art.

Alors qu’il remplacera à la direction artistique du festival le Romand Frédéric Maire, appelé à la tête de la Cinémathèque suisse, Olivier Père préfère la retenue. Il détaillera ses objectifs en temps voulu.

«Mon beau souci, ma grande préoccupation, c’est le cinéma. Le cinéma du monde entier, prévient-il. Le Suisse, évidemment, comme celui des autres pays.»

Une coproduction à trois

Un cinéma suisse qui, cette année, figure aux abonnés absents de Cannes, premier festival de la planète, à part une coproduction à trois pays («Ordinary People» de Vladimir Perisic) retenue pour la Semaine internationale de la critique.

Olivier Père ne fait pas un fromage de cette absence et rappelle que l’an dernier, le film «Home» d’Ursula Meier participait lui aussi à la Semaine internationale de la critique.

Son explication? «Cette absence tient au nombre assez faible de films suisses soumis aux différentes sélections et à une conjoncture de calendrier. Les cinéastes qui avaient l’ambition ou la possibilité d’être à Cannes n’avaient pas de films prêts.»

Le patron de la Quinzaine des réalisateurs note d’ailleurs que «peu de pays sont capables chaque année de fournir des films d’auteurs et de cinéastes importants». Ce regard bienveillant, l’ex-chroniqueur aux Inrockuptibles l’étend à la production actuelle du cinéma suisse.

Il observe ces dernières années l’émergence de «nouveaux jeunes auteurs» suisses. Il cite Ursula Meier, Lionel Baier et d’autres. Ces «cinéastes à suivre», actifs dans la fiction ou le documentaire, «nous sont proches mais ne sont peut-être pas suffisamment distribués dans les pays limitrophes comme la France.»

Un cinéma d’auteur

Après les Tanner, Godard, cette réapparition d’un «véritable cinéma d’auteur» suisse intervient à côté de productions plus populaires que le Français juge moins ou pas destinées à l’exportation.

«C’est ce cinéma très personnel, intimiste, avec un ton extrêmement original, qui a le plus de chances de voyager, d’attirer l’attention de la critique et, je l’espère, du public.»

Impossible de parler de la Suisse sans évoquer sa diversité linguistique. Olivier Père en est conscient. Il avoue mieux connaître le cinéma suisse francophone, en raison de «son actualité mais aussi de son histoire».

Une question se pose à ce stade. Pourquoi ce cinéma suisse voyage-t-il plus mal que ses homologues belge ou danois, par exemple?

Dans le cas danois, Lars von Trier représente quasiment à lui seul le cinéma de son pays dans les festivals. «On peut avoir l’impression de connaître ce cinéma, alors qu’on connaît surtout un réalisateur, une œuvre. Les autres films sont mal connus et ont beaucoup de peine à s’exporter.»

«La route est prise»

Le cas belge est différent. Après l’explosion des frères Dardenne dans les années nonante, beaucoup d’autres cinéastes, comme Bouli Lanners ou Joachim Lafosse, «ont su s’imposer dans leur propre pays comme à l’extérieur des frontières».

Le cinéma suisse, lui, a longtemps connu des figures emblématiques. Mais «il lui manque peut-être aujourd’hui un chef de file». Quelqu’un qui donnerait l’exemple et, par l’émergence de son œuvre, permettrait à d’autres cinéastes d’apparaître.

Mais Olivier Père est optimiste. «Avec des cinéastes comme Ursula Meier ou Lionel Baier, j’ai l’impression que la route est déjà prise dans cette direction.»

Pour se faire connaître et voyager, le cinéma suisse, comme les autres, est tributaire de la réussite des films, «de leur personnalité, de leur singularité, de leur importance».

Les œuvres fortes ne sont possibles qu’avec des cinéastes «qui ont quelque chose à dire et font preuve de beaucoup de courage, de persévérance et d’une forme de radicalité, d’indépendance».

Elles dépendent aussi d’«un paysage culturel qui permette l’émergence d’un cinéma d’auteur, d’un cinéma artistique qui ne cherche pas la réussite commerciale avant tout.»

Une double tradition

Aux yeux d’Olivier Père, la Suisse fait partie des pays qui réunissent «une certaine tradition pour le cinéma d’auteurs et une tradition d’aide au cinéma». Ce qui pourrait réserver quelques bonnes surprises ces prochaines années.

Cela dit, un cinéma doit-il voyager pour se justifier? Le futur patron de Locarno en est convaincu mais pousse l’idée plus loin. «Je crois à la nécessité d’un cinéma national, reflet d’une culture propre», plaide-t-il.

«Comme le cinéma japonais, plus un cinéma est local, régional, voire national, plus il peut tendre à l’universalité. L’important est que chaque auteur exprime sa propre culture, son propre sentiment culturel, et qu’ensuite, ses films puissent voyager. Je pense que les films doivent naître d’un lieu très précis pour pouvoir voyager dans le monde entier.»

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

Dates. Le 62e Festival de Cannes se déroule du 13 au 24 mai.

Noms. Les derniers films de Pedro Almodovar, Jane Campion, Michael Haneke, Ang Lee, Ken Loach, Quentin Tarantino ou Lars von Trier font partie des vingt visant la palme d’or.

Présidente. Le jury de la compétition principale est présidé par Isabelle Huppert.

Chiffres. Le festival a reçu 4272 films de 129 pays. Il a retenu 56 longs métrages de 32 pays et 26 courts métrages de 19 pays.

Quinzaine. Créée en 1969, la Quinzaine des réalisateurs est une section indépendante du festival qui a pour but d’aider les cinéastes et de favoriser leur découverte par le public et la critique. Elle a attiré 40’000 spectateurs l’an dernier.

Depuis 2004, Olivier Père est délégué général de la Quinzaine des réalisateurs de Cannes.

Cette section parallèle du Festival de Cannes est organisée par la Société des réalisateurs de films.

A partir de l’automne, il dirigera le Festival international du film de Locarno.

Né en 1971, il a fait des études de lettres. A la Cinémathèque française depuis 1995, il a été responsable de programmation et organisateur de nombreux cycles thématiques.

En 1996, il a entamé une collaboration avec le festival « Entrevues » de Belfort et organisé des rétrospectives.

Entre 1997 et 2004, il collaboré aux chroniques cinéma, télévision et DVD de l’hebdomadaire culturel Les Inrockuptibles.

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