Le Corbusier, passionné, passionnant, critiqué
C'est à une rencontre exceptionnelle que convie le Vitra Design Museum près de Bâle: avec Le Corbusier sous toutes ses facettes.
Cette rétrospective permet d’aborder le génial Chaux-de-Fonnier dans sa quête de «fusion des arts». Des objets rares sont exposés.
Un esprit universel, peut-être typique du 20e siècle, une quête imprégnée d’optimisme et de croyance dans le progrès, malgré l’expérience de la guerre: aujourd’hui encore, Le Corbusier impressionne par la quantité de domaines abordés, d’œuvres pionnières et d’écrits théoriques publiés.
Il n’est pas fréquent de pouvoir aborder toutes les facettes de ce génial touche-à-tout au même endroit, dans une démarche synthétique et analytique qui plus est digeste et jamais ennuyeuse.
C’est le tour de force réussi par les commissaires de l’exposition montée par le Vitra Design Museum de Weil am Rhein (Allemagne), tout près de Bâle, avec deux institutions partenaires. En un parcours superbement agencé, le visiteur traverse tout le 20e siècle et même au-delà, puisque la dernière œuvre, la chapelle de Firminy, a été achevée en 2006.
Grande variété d’objets exposés
La brillante idée a sûrement consisté à diviser l’œuvre en trois étapes, de grandeur inégale : «Contextes», «Privacy and Publicity» et «Built Art». Chaque partie compte dessins, maquettes, plans, photos, objets, livres ou encore petits films qui font progresser tout en douceur et en diversité dans la compréhension de l’œuvre.
De nombreux petits textes – en allemand, anglais et français – permettent d’approfondir, sans avoir un quelconque caractère obligatoire.
Crête du Jura
«Contextes», c’est le début, La Chaux-de-Fonds, où Charles-Edouard Jeanneret, nom civil du Corbusier, naît en 1887. Un tableau de Charles L’Eplattenier, son maître à l’école de graveur, des photos des premières villas, rappellent les origines horlogères, mais aussi la crête du Jura aux découpes presque géométriques.
Les récits de voyages, entrepris dès 1907, témoignent des influences subies par le jeune homme. Balkans, Italie (il évoquera tout au long de sa vie la Chartreuse de Galluzzo, près de Florence), Allemagne: partout Le Corbusier dessine, collectionne, rassemble les idées.
Voiture toute-puissante
L’idée de fusion des arts apparaît déjà, en filigrane, avec un projet d’Atelier d’Arts réunis, pour La Chaux-de-Fonds, dessiné en 1910. Les premières visions utopiques, comme ce haut viaduc circulaire pour des appartements à Rio, démontrent la fascination pour les villes, qui ne le quittera jamais.
Une fascination qui a un revers – vu d’aujourd’hui: la croyance en la toute-puissance de la voiture rend plusieurs projets, comme le «Plan Voisin» pour Paris ou le «Plan Obus», pour Alger, impensables.
Les curateurs ne cachent pas non plus, dans cet exemple, que, même fasciné par l’Algérie et désireux de rendre hommage à ses habitants, Le Corbusier voulait imposer un projet plutôt guerrier en rasant près de 60% de la casbah.
L’exposition n’oublie rien: la polémique sur le projet pour le siège de l’ONU à New York, les projets moscovites, les maisons particulières, la Villa radieuse, les unités d’habitation mal copiées de Marseille, les chapelles, le pavillon Philips pour l’Exposition universelle de Bruxelles et bien sûr, plus tard, Chandigarh, avec une extraordinaire maquette en bois et des extraits d’un film d’Alain Tanner.
Agence de design
Et le mobilier. Le mobilier dessiné avec son cousin Pierre Jeanneret, présent à ses côtés jusqu’en 1940, et la designer Charlotte Perriand ne saurait être absent d’une rétrospective Le Corbusier.
On y admire des prototypes, des modèles rares, des reproductions, mais aussi le sens des affaires, puisque Le Corbusier et son cousin avaient déjà créé une agence de design à La Chaux-de-Fonds en 1911.
Mais c’est à Paris que naît la «théorie des objets-types», comme le fauteuil colonial que Le Corbusier considère comme universel. Autre théorie, chez ce penseur inlassable, celle des cinq points en architecture, conçue dès 1927: pilotis, toit-terrasse, plan libre, fenêtres en longueur et façade libre marqueront des générations d’architectes.
Au passage, l’exposition soulève la question de l’influence de Dada et du surréalisme, encore peu étudiée, rejetée par Le Corbusier en architecture, et pourtant bien présente, selon les curateurs.
Enfin, dans la partie «Built Art», l’exposition montre Le Corbusier s’élargir, en quelque sorte, en plasticien, théoricien, encore et toujours. Sa théorie des «objets à réaction poétique» n’est peut-être plus de première actualité, mais le titre pourrait convenir à l’exposition elle-même, dont la visite est aussi, outre ses aspects pédagogiques, une promenade poétique.
swissinfo, Ariane Gigon, Weil am Rhein
Préparée avec le Netherlands Architecture Institute et le Royal Institute of british Architects, l’exposition «Le Corbusier, l’art de l’architecture» a été conçue par Stanislaus von Moos, Arthur Rüegg et Mateo Kries, qui comptent parmi les meilleurs connaisseurs de l’architecte.
Elle a été inaugurée à Rotterdam durant l’été 2007.
Elle est accrochée au Vitra Design Museum (bâtiment conçu par Frank Gehry) jusqu’à 10 février.
L’exposition se compose de nombreux objets prêtés par la Fondation Le Corbusier à Paris, dont 20 tableaux originaux, 8 sculptures, de nombreux meubles originaux, plus de 80 dessins et plans, dont de premières esquisses et 70 objets de son mobilier personnel.
Des maquettes originales, ainsi que d’autres reconstruites par le Vitra Museum sont également exposées.
Prochaines étapes: Museu Berardo, Lisbonne, du 5 mai au 15 août 2008. Royal Institute of British Architects, Liverpool, du 2 octobre 2008 au 11 janvier 2009, Royal Institute of Bristish Architects, Londres, du 12 février au 17 mai 2009.
Charles-Edouard Jeanneret est né le 6 octobre 1887 à La Chaux-de-Fonds d’un graveur émailleur et d’une professeure de piano.
1902: entrée à l’Ecole d’art du lieu pour une formation de graveur-ciseleur. Influence de son maître Charles l’Eplattenier, représentant de l’Art nouveau suisse.
1917: s’installe à Paris.
1919: création de la revue l’Esprit Nouveau.
1920: apparition du pseudonyme Le Corbusier, de «Lecorbésier» nom de l’arrière grand-père maternel.
1940: occupation allemande, fuite vers Ozon, dans les Pyrénées.
1948-1955: Unité d’habitation à Rézé-lès-Nantes, Marseille.
1951-1964: conception et construction de la ville de Chandigarh en Inde.
1965: décède le 27 août en se baignant dans la mer à Roquebrune-Cap Marin.
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