Le festival Visions du Réel assume sa nécessité
40 ans de cinéma documentaire à Nyon, 15 ans de Visions du Réel proprement dites: le festival dirigé par Jean Perret continue à proposer une programmation aussi pointue que grand public. Il a lieu du 23 au 29 avril sur les bords du Lac Léman.
Les dangers du néolibéralisme, les sables bitumineux canadiens, un jeu de stratégie cybernétique, les grandes guerres du 20e siècle, la pêche au Maroc, la psychiatrie au Japon font partie des thèmes abordés par les vingt films en compétition internationale cette année.
Quatre d’entre eux portent le label suisse. Dans «Bassidji», Mehran Tamadon se confronte à la milice gouvernementale iranienne du même nom. Dans «Die Frau mit den 5 Elefanten», Vadim Jendreyko évoque la littérature et Dostoïevski.
«Geburt», de Silvia Haselbeck et Erich Langjahr, parle de la naissance non-médicalisée. Quant à Peter Liechti, il se penche sur un homme qui décide de se laisser mourir de faim dans «The sound of insects – Record of a mummy».
Pour les autres sections, quelques mots-clés: Beatles, Robert Frank, traders, cancer, famille, coiffure, forêt, idéologies, Bretagne, Liban, Cuba, Darfour… Jean Perret en dit plus.
swissinfo: Que verra-t-on cette année à Visions du Réel?
Jean Perret: Au moins trois choses. D’abord, encore et toujours, la formidable diversité des formes d’expression du cinéma du réel, qui se distingue du strict documentaire.
Deuxièmement, nous verrons d’un côté des films qui racontent des histoires à la première personne, à caractère autobiographique. Et de l’autre, de grands voyages. Les cinéastes du réel adorent voyager, découvrir l’autre à l’autre bout du monde.
Troisième ouverture du festival: la réunion de fait de tous ces gens qui sont au cœur de la création cinématographique et qui, grâce à leur engagement, leur opiniâtreté, leur vision, leur signature, leur personnalité, nous proposent des choses encore jamais vues.
swissinfo: Des thèmes se détachent-ils en particulier?
J.P.: Oui. D’abord ceux liés à l’état du monde. La crise économique, les crises boursières, la crise financière, la crise globale des valeurs qui fondent nos sociétés occidentales capitalistes font l’objet d’un certain nombre de films qui prennent du recul, réfléchissent, proposent, rencontrent et donnent la parole.
Un autre thème récurant: l’état de la planète du point de vue écologique. L’énergie nucléaire fait l’objet de quelques films tout à fait intéressants et engagés.
Autre thème très important pour nous, car il donne à ce cinéma du réel une impulsion du côté de la joie de vivre, de l’épanouissement, de l’équilibre entre l’homme et son univers: les films qui traitent de la création artistique. Nous montrons par exemple un film tourné au Venezuela – «El sistema» – où la musique classique permet à des enfants de se sortir de conditions de vie parfois précaires.
Certains films choisis à Visions du Réel montrent aussi comment les gens vivent au quotidien. Un exemple: «Perestroïka». On est à Saint-Pétersbourg, dans un appartement collectif, où chaque chambre est occupée par un locataire particulier. C’est la description d’un mode de vie, d’un mode de guerre froide, à la fois très drôle et très préoccupant. Des films, donc, qui font réfléchir, rire, pleurer.
swissinfo: 40e édition du festival, 15e Visions du Réel proprement dites, le moment est-il venu de tirer un bilan?
J.P.: Sans doute. On peu se poser la question: cela ne commence-t-il pas à bien faire? A faire trop long? Qu’a-t-on envie de faire encore? La réponse est double.
D’abord, nous faisons chaque année un bilan. Ce qu’on a réuni, ce qui s’est passé, l’accueil public, professionnel, le sentiment des cinéastes. Ce bilan pose toujours la question de savoir s’il faut continuer à montrer tous ces films et à vouloir les partager.
Ensuite, dans le cadre de réflexion anniversaire du festival, notre conclusion, pour l’instant, est qu’il vaut vraiment la peine de montrer ces images, choisies parmi des millions – nous avons vu 1700 films pour en sélectionner 140 cette année.
Dans cette sélection, nous cherchons à proposer au spectateur un recul nécessaire qui procure plaisir, réflexion, émotion.
swissinfo: Qu’est-ce qui a changé dans le film du réel après toutes ces années?
J.P.: Une chose marquante dans l’évolution du cinéma du réel depuis quinze ans est sans doute la considérable révolution technologique liée aux images numériques.
La mise sur le marché de petites caméras légères, avec lesquelles n’importe qui peut filmer avec trois francs cinquante, images qu’on peut ensuite monter sur son ordinateur, graver sur un DVD et diffuser, cette technologie-là est une révolution, parce qu’elle permet à tout un chacun de s’exprimer.
Résultat: des découvertes passionnantes. Par exemple, on ne connaîtrait pas dans nos pays la Chine telle qu’elle est vécue par des millions de Chinois aujourd’hui sans cette nouvelle vague de vidéastes-cinéastes totalement indépendants des studios d’Etat.
swissinfo: Vous présentez cette année une série de haïkus en images. Quel est le sens de cette initiative?
J.P.: Les haïkus, magnifique tradition poétique japonaise, proposée à des cinéastes. Trois plans, montés «cut» les uns aux autres, avec, simplement, une signature à la fin. Un moment court, entre 50 secondes et deux-trois minutes, un moment de méditation, de suspension du temps quotidien.
Pourquoi? Vu les anniversaires du festival, au lieu de s’auto-congratuler, on a choisi de demander un petit cadeau aux cinéastes que nous avons déjà accueillis à Nyon. Un haïku, que nous allons présenter et partager avec les spectateurs au début de chaque projection.
swissinfo: La création documentaire sur internet prend de l’ampleur. C’est un autre rendez-vous de cette édition 2009. Quel est votre regard sur ce phénomène?
J.P.: Notre regard est un regard d’observation. Nous essayons de comprendre le développement de cette nouvelle façon de financer des films – ils coûtent moins cher sur internet- de les diffuser et de les concevoir.
En quoi la diffusion internet de documentaires, de films du réel, modifie la façon qu’ont les cinéastes de raconter des histoires, de filmer, de monter, de diffuser ces images. Nous voulons mener cette réflexion, autour d’un réseau de diffusion passionnant, s’il est utilisé par des cinéastes de talent.
Cette année, nous accueillons Lech Kowalski – un Polonais qui a vécu dans l’underground américain à New York et qui revient en Europe. Lech Kowalski propose chaque semaine sur son site internet – camerawar.tv – un épisode qui, avec d’autres épisodes, raconte une histoire, mais qui a son identité propre.
Sa tentative consiste à filmer, quasiment au quotidien, aux Etats-Unis, ce qu’il appelle «la chute du capitalisme». Aventure à suivre, non?
Pierre-François Besson, swissinfo.ch
Dates. La 15e édition de Visions du Réel à Nyon se déroule du 23 au 29 avril avec palmarès au soir du mercredi 29.
Œuvres. Plus de 150 films sont à découvrir dont 20 (de 16 pays) en compétition internationale. Jury international: Molly Dineen, Sally Berger, Fernand Melgar et Hollman Morris.
Catégories. Le festival se décline en dix sections et deux ateliers consacrés aux Libanais Joanna Hadjithomas et Khalil Joreige ainsi qu’au Kazakhe Sergey Dvortsevoy.
Spécial. Sont programmées des soirées autour du double anniversaire du festival, des dix ans du réseau Eurodoc, des 20 ans de la chute du mur de Berlin, de la création documentaire sur internet, etc.
No1. Visions du Réel est le premier festival de cinéma de Suisse romande et fait partie des trois principaux du pays, avec Locarno et Soleure. Il a attiré 28’000 spectateurs en 2008.
Large. Relancé en 1995 sous sa forme actuelle après à une première formule conçue en 1969, il présente un cinéma en prise directe avec le réel qui dépasse les limites du strict documentaire.
Pro. Visions du Réel est aussi un rendez-vous privilégié pour les producteurs et distributeurs européens. Le marché Doc Outlook propose un choix de 250 films.
Né en 1952, Jean Perret dirige le festival Visions du Réel depuis 1995.
Auteur d’un mémoire consacré au cinéma documentaire suisse des années 30, il a été enseignant et a pratiqué le journaliste durant de longues années.
Il fut délégué général de la Semaine de la Critique au Festival de Locarno entre 1990 et 1994.
Et contribue à plusieurs instances de promotion, de production et de diffusion du cinéma.
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