Le gouvernement divisé par les langues
Pascal Couchepin dénonce avec véhémence les dérapages de la succession du porte-parole du gouvernement, le Tessinois Achille Casanova.
Pour le ministre, une alliance entre Alémaniques et socialistes a permis d’écarter les minorités linguistiques des deux postes cruciaux de vice-chancelier de la Confédération.
«La chancellerie a mal fait son travail», tempête le ministre de l’Intérieur dans une interview au Matin Dimanche. Pascal Couchepin revient sur la nomination mercredi d’Oswald Sigg comme vice-chancelier et porte-parole, ainsi que de Corina Casanova comme 2e vice-chancelière de la Confédération..
Le Tessinois Achille Casanova était célèbre à Berne pour son élégante maîtrise des trois langues officielles de la Confédération. Le porte-parole contribuait fortement au délicat équilibre des langues au sein du gouvernement et de la Chancellerie fédérale, qui en est en quelque sorte l’état-major.
Un candidat hors concours
Sa succession a été l’objet d’une véritable foire d’empoigne lors de la réunion du gouvernement mercredi. Finalement, la chancelière fédérale Annemarie Huber-Holtz a obtenu l’aval du gouvernement pour faire nommer son candidat, Oswald Sigg.
Ce socialiste zurichois, qui ne sait pas l’italien et dont le français est plutôt «fédéral», avait été contacté alors que la procédure de recrutement était achevée. Ce qui fait regretter à Pascal Couchepin qu’il «n’a pas été soumis aux mêmes règles que les autres» candidats.
Cette nomination fait également jaser en raison de sa dimension politique. Le démocrate-chrétien Achille Casanova est remplacé par un socialiste. Ce dont se réjouit Reto Gamma, secrétaire général du PS. «Le PS a une oreille de plus au sein du collège gouvernemental», déclare-t-il dans la NZZ am Sonntag de ce dimanche.
Une fausse vraie latine
En outre, pour respecter un semblant d’équilibre linguistique, Annemarie Huber-Holtz a proposé Corina Casanova, démocrate-chrétienne d’origine romanche, à l’autre poste de vice-chancelière. La titulaire, Hanna Muralt, a proposé de céder sa place, même si elle n’est pas censée prendre sa retraite avant novembre 2007, précise de son côté la SonntagsZeitung.
Mais malgré son homonymie aux consonances latines avec le vice-chancelier sortant, Corina Casanova est identifiée comme Alémanique dans l’annuaire fédéral. Ce qui irrite au plus haut point Pascal Couchepin, l’un des trois conseillers fédéraux romands.
«Si on veut chercher des candidats latins pour des postes à responsabilité qui ont les mêmes compétences que les Alémaniques, on les trouve», déclare-t-il.
Du coup, avec le départ d’Achille Casanova, il n’y plus un seul Tessinois dans les hautes sphères de la Berne fédérale. Le monde politique latin s’en est également ému cette semaine, certains parlant même d’affront.
Trois contre trois
Pour sa part, la NZZ am Sonntag évoque les échanges peu amènes que cette affaire a provoqué au sein du collège gouvernemental. Pascal Couchepin aurait exigé de recommencer toute la mise au concours.
Mais il était trop tard et, de l’aveu du ministre, cela «aurait eu de graves conséquences». Cela aurait également été une «véritable gifle» pour la chancelière Annemarie Huber Holz, commente le journal zurichois.
Son choix était soutenu par la socialiste Micheline Calmy-Rey (Corina Casanova est vice-secrétaire générale dans son Ministère des affaires étrangères), le démocrate-chrétien Joseph Deiss et le président de la Confédération, Samuel Schmid.
Dans le «camp latin», Pascal Couchepin a pu compter sur son camarade radical Hans-Rudolf Merz et sur Christoph Blocher (démocrate du centre). Le septième ministre, le socialiste Moritz Leuenberger, s’est abstenu, «très énervé» précise la NZZ am Sonntag.
Cette dernière invoque «plusieurs sources concordantes» pour écrire que la discussion a été virulente et que le vote s’est conclu par une victoire à un cheveu de la chancelière fédérale. Et le journal de noter qu’en sortant de la séance de mercredi, la chancelière «avait l’air d’être libérée d’un grand poids».
La politique est plus brutale
Pascal Couchepin a donc perdu, mercredi, mais c’est la raison pour laquelle il est déterminé à se faire entendre. «Quand il arrive des dérapages comme celui-ci, il faut les dénoncer afin qu’ils ne se multiplient pas», déclare-t-il encore au Matin Dimanche.
«La démocratie n’est pas seulement la loi du nombre. Elle signifie aussi la volonté de respecter les minorités et certaines valeurs», ajoute le ministre. Et de conclure avec un brin de fatalisme: «La politique est devenue aujourd’hui plus brutale. Et la loi sur nombre est celle de la force.»
Promotion des langues
De son côté, Corina Casanova a invoqué sa qualité de romanche pour exprimer son intention de lutter contre les coupes budgétaires dans la promotion des langues au plan fédéral, dans une interview parue samedi dans la Südostschweiz.
Elle estime important de continuer à publier l’ensemble des publications de la Confédération dans toutes les langues officielles. Mme Casanova rappelle en outre que la Suisse italienne est aujourd’hui sous-représentée parmi les hauts fonctionnaires: les conseillers fédéraux mais aussi les départements doivent faire un effort pour engager plus de collaborateurs italophones.
Il faudra sans doute plus qu’une déclaration d’intention pour calmer la frustration des Tessinois.
swissinfo et les agences
Après 24 ans d’activité, le vice-chancelier et porte-parole du gouvernement Achille Casanova quitte ses fonctions à fin-juillet.
Pour lui succéder, le Conseil fédéral a désigné mercredi Oswald Sigg, actuel chef d’état-major du Ministère de l’environnement, des transports et de la communication.
L’autre poste de vice-chancelier a été libéré par sa titulaire, Hanna Muralt-Müller. Le gouvernement y a nommé Corina Casanova, actuelle vice-secrétaire générale du Ministère des Affaires étrangères.
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