Le Kunsthaus de Zurich expose le «feu froid» de Seurat
Le pointilliste Georges Seurat ouvre le cycle d'expositions du centenaire du musée Kunsthaus de Zurich. Une septantaine de dessins et de tableaux retracent de façon exemplaire la construction d'une œuvre, stoppée net par la mort de l'artiste à 31 ans.
Un grand jeune homme silencieux et distant: c’est ainsi que ses amis décrivaient Georges Seurat (1859-1891), une des grandes figures parmi les précurseurs de la modernité et père du pointillisme. Mais un peintre qui s’enflammait dès qu’il parlait de son art.
L’historien de l’art et philosophe Gottfried Boehm résume la personnalité secrète de Seurat avec une fulgurante expression: «le feu froid». Entre dessins et tableaux à la construction si maîtrisée, c’est ce qu’on découvre dans l’exposition «Georges Seurat. Figure dans l’espace» au Kunsthaus de Zurich.
Seurat: le choix semble idéal pour inaugurer les festivités du centenaire du musée, qui culminera, dans une année, avec une grande rétrospective Picasso.
La modernité de la Tour Eiffel
Ayant ouvert tant de perspectives à ses successeurs en une si courte période de création, l’artiste, comme d’autres impressionnistes, se trouve aussi à la charnière des époques.
Prêtée par le Fine Arts Museum of San Francisco, la «Tour Eiffel», peinte vers 1889 alors qu’elle était terminée aux quatre cinquièmes, en est la parfaite expression: la pointe inachevée s’efface dans un ciel brumeux où la théorie de Seurat se manifeste pleinement. La couleur pure posée en taches et en points les uns à côté des autres se mélange dans la perception du spectateur.
Œuvre fragile…
Le directeur du musée Christoph Becker rappelle dans le catalogue à quel point il est difficile de rassembler des œuvres de Seurat. La surface des tableaux étant très fragile, on évite le plus possible de les déplacer.
Les scènes peintes à même le bois, dans des boîtes de petits formats emportées par le peintre à l’extérieur, ne sont que très rarement montrées. L’exposition zurichoise est donc une des rares occasions de suivre l’œuvre de Seurat au fil de son évolution.
De façon surprenante, l’entrée dans l’exposition se fait sans tableau. Il faut tourner dans la première salle pour découvrir, seule, une «Tête de jeune fille», (1877-1879), baissée, dans un profil presque caché.
Timidité avec les personnages
On le voit dans la suite de l’exposition sur de très nombreux dessins et tableaux: Seurat peint de préférence la figure humaine de dos ou de profil, une manifestation, peut-être, de sa timidité et de sa grande réserve.
L’exposition a le mérite d’accorder beaucoup de place aux dessins. Avec le crayon Conti sur des papiers à gros grain, le peintre réussit de magnifiques clairs-obscurs qui montrent déjà son amour pour les lignes géométriques. Plusieurs «femmes au manchon» ont des tailles presque carrées.
La difficulté de concevoir une exposition presque exclusivement avec des petits formats est compensée par le choix de couleurs des parois de séparation des salles, souvent très judicieux au Kunsthaus.
De la théorie à la pratique
Mais la géométrie et la recherche scientifique de la couleur et de la forme exacte prennent leur force dans les toiles. Seurat a lu de nombreux ouvrages qui montrent son obsession dans ce domaine.
Il connaît les théories d’artistes comme Delacroix mais aussi les écrits du physicien américain Ogden N.Rood, («Théorie scientifique des couleurs»,1881) ou du mathématicien Charles Henry avec ses idées sur l’expression harmonieuse des couleurs et des lignes.
Dans ses dernières grandes œuvres, «La Parade de cirque» et «Le Cirque», inspirées d’affiches publicitaires, Georges Seurat ne laisse rien au hasard pour ces compositions, un peu froides, et fortement géométriques.
«Le Cirque», attraction de l’exposition
«Le Cirque», «star» de l’exposition (provenant du Musée d’Orsay de Paris) est mis en scène avec quelque grandiloquence par de grands panneaux latéraux «ouvrant» sur le tableau, est aussi la parfaite expression de cet équilibre. La savante mise en abime – la cavalière debout sur son cheval au galop a un équilibre aussi parfait que tout le tableau – donne, pour le coup, un sentiment de vertige au spectateur…
Si aucune autre des grandes œuvres les plus connues n’est présente, les études préparatoires pour «Une baignade, Asnières» et pour «Un dimanche à la Grande Jatte» les remplacent avantageusement. L’attachement aux détails permet en effet de vivre et d’apprécier la «construction» des œuvres.
Ariane Gigon, Zurich, swissinfo.ch
Georges Seurat est né le 2 décembre 1859, troisième enfant d’une famille aisée de Paris. Même peu intéressés par son art, ses parents le soutiendront toujours et il n’aura jamais de difficultés financières.
En avril 1879, étudiant à l’Ecole des Beaux-Arts, il visite la quatrième exposition des Impressionnistes.
Il y vit «un choc inattendu et profond», surtout devant les œuvres de Claude Monet et de Camille Pissarro. Après son service militaire, il ne retourne plus à l’Ecole et ouvre son atelier.
En 1884, «Une baignade, Asnières», sa première toile de grand format, est refusée par le jury du Salon officiel. Avec Signac et d’autres, il expose alors au Salon des Indépendants, où il aura une présence régulière.
En 1886, son œuvre «Un dimanche à la Grande Jatte» en fait le fondateur du néo-impressionnisme et du pointillisme.
Son fils Pierre-Georges naît le 16 février 1890. Le bébé mourra, comme son père, de la dipthérie, à l’âge de 13 mois.
Presque personne ne connaissait sa relation avec la mère, la modèle Madeleine Knoblock (1868-1903). Sa mère n’apprendra la relation et la naissance que quelques jours avant la mort de son fils.
Seurat décède le 29 mars 1891 à l’âge de 31 ans.
Son œuvre comprend 400 dessins, six livres d’esquisses, 170 croquetons (petits croquis) et 60 toiles.
On recense traditionnellement 6 œuvres principales: «Une baignade, Asnières», «Un dimanche à la Grande Jatte», «Les Poseuses», «La Parade de cirque», «Le Chahut» et «Le Cirque».
L’exposition «Georges Seurat, Figure dans l’espace» est à voir jusqu’au 17 janvier 2010. Elle comprend environ 70 dessins et toiles prêtées par des musées et des collectionneurs du monde entier.
Tout en préparant un agrandissement avec l’architecte britannique David Chipperfield, le Kunsthaus lance ainsi le cycle d’expositions de son centième anniversaire. Le bâtiment actuel, conçu par l’architecte Karl Moser, avait été inauguré en 1910.
De février à mai, la Collection Bührle – victime d’un vol en 2008 – sera à l’honneur avec des tableaux de Van Gogh, Cézanne et Monet.
Elle sera notamment suivie par le photographe Thomas Struth (de juin à septembre) et, événement majeur, Picasso (octobre-janvier 2011), qui a tenu sa première exposition dans un musée précisément au Kunsthaus de Zurich, en 1932.
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