Le luxe du plurilinguisme
L'anglais prend une place toujours plus importante en Suisse. Les langues nationales en souffrent. Faut-il, pour autant, les préserver à tout prix?
A Bienne, des spécialistes se sont récemment penchés sur le problème dans le cadre d’un colloque.
A l’école, dans les entreprises, la publicité… L’anglais s’étend et l’emporte petit à petit sur les langues nationales en Suisse.
Tout récemment, les cantons de Suisse orientale ont décidé de faire passer l’apprentissage de l’anglais avant le français à l’école. De son côté, Zurich le fait déjà depuis deux ans.
Cher voisin
Le fossé se creuse toujours un peu plus entre une Suisse alémanique qui privilégie l’anglais et une Suisse latine qui continue de donner la priorité à une autre langue nationale.
«A long terme, tout sera réduit à un bilinguisme: langue maternelle/anglais», lance Sandro Bianconi, directeur de l’Observatoire linguistique de la Suisse italienne.
Et on peut ajouter à ce constat les résultats d’un sondage Gfs paru mardi. Deux Alémaniques sur trois trouvent les Romands sympas. L’inverse n’est vrai que pour la moitié des francophones. Et parmi eux, un tiers ne regretterait pas une séparation.
Et si on renonçait…
Alors, finalement, pourquoi se battre pour préserver la langue du voisin? Après tout, la solution de l’anglais est plus facile. Il suffit de mettre à une même table de jeunes Romands et Alémaniques pour le vérifier. Ensemble, ils communiquent… en anglais.
On surmonte ainsi le problème du dialecte. Sur un plan international, on communique plus facilement. Pour trouver un emploi, c’est un atout. Et puis, fini les traductions onéreuses au sein de l’administration fédérale.
Oui, le plurilinguisme est peut-être devenu un luxe qu’on ne peut plus (ou ne veut plus) s’offrir…
«Tout dépend de ce qu’on entend par luxe, répond François Grin, du Service de la recherche en éducation, à Genève. Certaines valeurs sont difficiles à mesurer d’un point de vue strictement financier.»
Une fortune difficile à évaluer
Autrement dit, pour faire une bonne estimation, il faut aussi prendre en compte tout ce qui n’est pas mesurable. La richesse culturelle, le désir de diversité, l’importance des langues dans le fondement de l’identité suisse.
Le professeur prend l’exemple de l’environnement. «Est-ce que c’est un luxe de vouloir un air qu’on peut respirer, une eau propre? La question est de savoir ce que nous sommes prêts à faire pour avoir une qualité de vie qui nous rende heureux.»
Une nécessité
Et, même financièrement, préserver la diversité ne coûte pas si cher, selon le professeur.
«On a tendance à surestimer les coûts. Jusqu’ici, peu d’études ont été menées dans ce domaine précis. Mais celles qui ont été faites révèlent que le surcoût n’est pas très élevé.»
«Au Pays basque, par exemple, on est passé – après la chute du franquisme – d’un système éducatif unilingue à un système bilingue. Le surcoût s’est élevé à 4,5%. C’est tout à fait raisonnable.»
Pour François Grin, la conclusion est évidente: «La diversité linguistique est précieuse, au même titre que l’environnement. En ce sens-là, ce n’est pas un luxe. C’est une nécessité. Je suis prêt à payer pour ça!»
swissinfo/Alexandra Richard
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