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Le Maroc et ses réalités au Salon du livre de Genève

Paradis des bibliophiles, le Salon n’en est pas pour autant une manifestation élitiste. Keystone

Le Maroc est l'invité d'honneur du Salon du livre de Genève. Entretien avec l'auteur Salim Jay, qui nous parle de son pays, de l’immigration, de la femme, mais aussi de la Suisse, de son chocolat et de ses auteurs.

Pour sa 26e édition, le Salon du livre, présidé par la journaliste Isabelle Falconnier, s’étoffe. L’affiche compte notamment un nouveau prix littéraire et deux expositions consacrées à Jean-Jacques Rousseau et au peintre Gustave Courbet.

Et des hôtes de renom, comme l’auteur marocain Salim Jay, que swissinfo.ch a rencontré.

swissinfo.ch: En 2001, paraissait votre livre «Tu ne traverseras pas le détroit». Vous y racontiez les difficultés vécues par les Marocains qui veulent franchir le détroit de Gibraltar. Les directives actuelles sur l’immigration sont sévères. Quels conseils donneriez-vous aux immigrés que l’Europe refoule aujourd’hui?

Salim Jay: Je ne voudrais pas manquer de modestie, mais si j’avais des conseils à donner, je les adresserais plutôt aux gouvernants en leur rappelant que la liberté de circulation doit concerner chaque individu, et non seulement les privilégiés de la terre. Mais ceci reste un vœu pieux, hélas.

swissinfo.ch: Lorsque vous dites «gouvernants», à qui songez-vous exactement?

S.J.: A tous les responsables politiques, quelle que soit leur origine. Une précision néanmoins: si les autorités marocaines refusent le droit de libre circulation à leurs citoyens, c’est à cause de la pression qui s’exerce sur elles, et non parce qu’elles éprouvent un plaisir quelconque à interdire aux Marocains de quitter leur pays.

swissinfo.ch: Remédier au chômage qui sévit dans de nombreux pays d’Afrique, c’est freiner le flux migratoire, dit-on. Qu’en pense l’écrivain engagé que vous êtes?

S.J.: Je pense que les difficultés économiques concernent aujourd’hui tout aussi bien l’Europe. Elles poussent beaucoup d’Espagnols, par exemple, à aller travailler en Argentine. J’admets qu’il y a une crise dans les pays jeunes, mais j’ajoute qu’il y en a une également dans les pays riches.

Hélas, on a souvent tendance à oublier que chaque être humain possède le droit de rêver d’un ailleurs, et d’aller vers cet ailleurs fantasmé, quitte à y travailler comme un forçat. C’est ce que dit Fernand Melgar [cinéaste suisse, auteur de deux célèbres documentaires La Forteresse et Vol spécial] dans ses films. Il montre les conditions de vie scabreuses de travailleurs étrangers en Suisse, qui effectuent des besognes dont personne ne veut mais restent à la merci d’une expulsion hors des frontières.

swissinfo.ch: Des films, prévus dans le cadre du Salon, éclairent les différentes facettes de votre pays. Parmi eux, «Marock», qui met en scène une jeunesse dorée, coincée par le retour aux valeurs traditionnelles. Quel regard posez-vous sur cette jeunesse-là?

S.J.: J’ai vu ce film, et je l’ai trouvé ennuyeux. Ceci dit, la jeunesse marocaine est diverse. On a la fâcheuse habitude de parler des pays du Maghreb et d’Afrique comme si tout y était monolithique. Or c’est faux. La société, là-bas, est riche de multiples cultures. Les modes de vie qu’elle adopte ne sont pas toujours très différents de ceux affichés par les sociétés avancées. Il arrive que ces modes soient traversés par des contradictions, exactement comme en Occident. En Suisse par exemple, vous pouvez avoir des personnes qui vivent des situations du quart monde et d’autres, à côté, qui touchent 300 fois le salaire minimum.

swissinfo.ch: Votre dernier roman, «Victoire partagée», raconte les aventures d’une femme libertine, marocaine, qui vit en France entourée d’amants. Cette femme-là peut-elle réellement exister au Maroc?

S.J.: Oui, absolument, malgré tout ce qui se dit sur le droit des femmes, sur leur liberté brimée, etc… Je l’ai affirmé et je le répète: la société marocaine est diverse.

swissinfo.ch: Revenons chez les Helvètes. Vous avez donné à Genève, il y a quelques années, une conférence sur les allusions au chocolat dans la littérature universelle. Quelle place occupe la Suisse dans ces allusions?

S.J.: Une place de choix, puisque c’est Freud qui en parle dans sa correspondance. Un jour, il envoie une lettre à un cousin lui signalant que Vienne manque de tout, et qu’il lui faut quelque douceur à se mettre sous la dent. Le cousin se montre généreux: il joint du fromage au chocolat. Freud reçoit le paquet, et réplique: «La prochaine fois vous veillerez à ce qu’il y ait une séparation hermétique entre les deux produits… qui se sont mélangés».

Voilà pour l’anecdote. Ceci dit, lorsque je veux me régaler, je ne goûte pas forcément à la Suisse du chocolat, mais à celle des grands auteurs, Charles-Ferdinand Ramuz en tête. J’ai eu le bonheur d’entendre sa voix, il y a quelques jours, sur France Culture. Il parlait de la vigne et disait qu’elle était le bien commun de peuples très divers, les Arabes et les Berbères entre autres. Ses paroles m’ont ému.

Dans le cadre du Salon, Salim Jay donnera le 26 avril, à 15h15, une conférence sur les «Figures de la littérature marocaine».

Né à Paris en 1951, d’un père marocain et d’une mère française. Il a vécu à Rabat entre 1957 et 1973. Aujourd’hui il vit et travaille à Paris.

Il tient une chronique littéraire dans Qantara, la revue de l’Institut du Monde Arabe. Il a consacré des ouvrages à des écrivains français (Michel Tournier, Henri Thomas et Jean Freustié) ainsi qu’à la littérature maghrébine francophone.

Parmi ses œuvres citons: La semaine où Madame Simone eut cent ans, Tu seras nabab mon fils, Cent un Maliens nous manquent, L’oiseau vit de sa plume, Embourgeoisement immédiat… Il est aussi l’auteur d’un Dictionnaire des écrivains marocains et d’une Anthologie des écrivains marocains de l’immigration.

Pour sa 26e édition, qui se tient du 25 au 29 avril, il met à son affiche des rencontres avec les auteurs, des conférences, des débats, des films et des expositions, dont une consacrée à Jean-Jacques Rousseau et une autre au peintre Gustave Courbet.

Parmi les écrivains internationaux invités: Frédéric Beigbeder, Pascal Bruckner, Paulo Coelho, Douglas Kennedy…

Un Prix littéraire voit le jour à l’occasion de cette 26e édition. Présidé par le romancier genevois Metin Arditi, il sera décerné le 25 avril.

Création également d’un nouvel espace d’échanges, L’Apostrophe.

Fidèle à ses classiques, le grand Salon accueille un petit, le Salon africain, qui en est à sa 9e édition. Sa thématique cette année: «Afrique, on va où là?».

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