Le niveau de français des élèves en question
L’opinion s'émeut d’une baisse des compétences des élèves en français. Un projet de cours d'expression et d'argumentation de l’Uni de Neuchâtel relance le débat.
Ce projet ne vise en fait pas à combler les lacunes des étudiants. Mais l’incident a montré que la maîtrise de la langue maternelle reste un thème brûlant.
Avec un titre aguichant – «des incultes à l’université» – la presse dominicale a mis le feu aux poudres en révélant que plusieurs universités romandes songeaient à organiser des cours pour combler les lacunes de leurs étudiants en français. Le projet le plus avancé est celui de l’Université de Neuchâtel.
Ancien art de la rhétorique
Dans son plan d’intentions pour 2005-2008, cette dernière prévoit bel et bien un projet nommé «accent sur l’expression et l’argumentation». Directrice de l’Institut d’ethnologie, Ellen Hertz en est l’instigatrice. Mais pour elle, le but n’est pas de combler des déficits dans les connaissances de base.
«Il s’agit de travailler des compétences spécifiques à l’université et qui ne font pas partie de ce que les étudiants apprennent au gymnase, a-t-elle déclaré à swissinfo. Il s’agit de savoir comment établir un argument et comment utiliser la langue d’une manière qui soit belle. C’est en fait l’ancien art de la rhétorique que nous cherchons à développer par écrit et par oral.»
Quoi qu’il en soit, l’article a eu le mérite de relancer le débat sur le niveau de langue atteint par les jeunes Romands. Un niveau parfois perçu comme inquiétant. C’est en tout cas l’avis de Pierre-Alain Karlen, président du Salon de l’apprentissage et doyen des écoles de Villeneuve (Vaud).
«Bon nombre d’élèves arrivant en fin de scolarité sont de piètres lecteurs ou alors sont des lecteurs qui ne comprennent pas forcément le sens de ce qu’ils viennent de lire», a-t-il déclaré sur les ondes de la Radio Suisse Romande (RSR).
Les Romains déjà…
Un constat trop alarmiste? Peut-être pas. L’étude internationale PISA avait en effet montré que les Suisses ne brillaient pas vraiment en lecture.
Cependant, les spécialistes de la langue relativisent. Pour eux, il convient de parler d’un changement du rapport à la langue plutôt que d’une baisse de niveau. C’est en tout cas la thèse défendue, notamment, par Marinette Matthey, membre de la Délégation à la langue française de la Conférence intercantonale de l’instruction publique de la Suisse romande et du Tessin et professeur de linguistique.
«Le niveau ne baisse pas, a-t-elle indiqué à la RSR. C’est le rapport à l’écrit qui change. On ne peut pas tout faire à l’école, où on a choisi de mettre l’accent plutôt sur la production de textes et sur l’argumentation. Cela me semble être un bon choix.»
«La baisse de niveau était déjà un thème chez les Romains, poursuit-elle. C’est assez normal de considérer que les gens qui viennent après nous ne maîtrisent plus la langue. La langue évolue; il y a obligatoirement des changements qui sont considérés comme des pertes de maîtrises par les générations antérieures.»
Génération SMS
«Il y a une différence de perception entre les linguistes et les professeurs de français, déclare pour sa part Ellen Hertz. Les professeurs sont catastrophés, alors que les linguistes insistent sur l’évolution de la langue.»
Du côté du corps enseignant, justement, on est dubitatif quant à la supposée baisse de niveau en français. «Le constat n’est pas simple à faire», a déclaré à swissinfo François Piccand, recteur du Collège (gymnase) du Sud à Bulle, dans le canton de Fribourg.
«On remarque de grandes différences, explique-t-il. Il y a des gens avec des compétences en français vraiment excellentes et d’autres parfois vraiment faibles. Il n’est pas facile d’en trouver les raisons.»
Il y a bien sûr la question des élèves allophones qui n’ont pas effectué un cursus scolaire complet en Suisse. Mais ces raisons peuvent aussi être plus profondes et plus diverses.
«Je verrais notamment les questions liées à l’apprentissage de la langue, poursuit le recteur. J’ai le sentiment que l’on est en train de voir les effets de la méthode globale de lecture (NDLR: méthode qui consiste à reconnaître un mot plutôt que le décortiquer en syllabes) qui n’a pas entièrement donné satisfaction.
Autre piste: le respect à l’autorité n’est plus aussi fort qu’autrefois. «Au niveau de l’orthographe, on peut aussi retrouver une sorte de distance par rapport à la règle», note François Piccand.
Enfin, last but not least, la diffusion des nouvelles technologies de communication peut aussi avoir un effet sur la langue. «La moins bonne maîtrise du français est peut-être aussi un effet de la génération SMS pour qui l’essentiel est de faire passer un message et non les règles d’orthographe», souligne le recteur.
Ne pas surcharger la barque
L’amélioration de la maîtrise de la langue maternelle passe fatalement par l’école obligatoire. «C’est avant 15 ans que tout se joue, rappelle François Piccand. Après, il est très difficile de rattraper le retard.»
La Suisse s’est d’ailleurs lancée dans un programme d’harmonisation des compétences aux niveaux des différents programmes scolaires cantonaux, afin de fixer des objectifs minimaux communs.
Mais faut-il encore que les écoles aient le temps de remplir cette mission. En mars 2004, la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) s’est prononcée en faveur de l’enseignement d’une seconde langue étrangère dans les écoles primaires à partir de 2012/2013 au plus tard.
Une telle idée ne fait pas l’unanimité. En Suisse alémanique, la résistance est en train de s’organiser. Dix cantons, des politiciens et des associations d’enseignants ont constitué des comités d’opposition. En Suisse romande aussi, cette décision laisse perplexe.
«L’apprentissage des langues étrangères est important, relève François Piccand, Mais il vaudrait mieux ne pas avoir trop de langues trop tôt si l’on entend pouvoir se concentrer sur la langue maternelle. Il ne faut pas surcharger la barque.»
swissinfo, Olivier Pauchard
– Ce n’est pas qu’en Suisse romande que les élèves éprouvent des difficultés face à la langue de référence.
– L’étude PISA a montré que les jeunes Alémaniques ne sont de loin pas tous à l’aise avec l’allemand.
– Le problème est encore accentué du fait que, mis en concurrence avec les dialectes alémaniques, l’allemand est perçu comme une «langue étrangère».
– Pour améliorer les compétences, plusieurs cantons de Suisse orientale et centrale ont exigé que le «bon allemand» soit utilisé dans tous les cours dispensés à l’école, même s’il s’agit de musique ou de gymnastique.
– A Zurich, cette décision prendra effet à la rentrée prochaine.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.