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Le printemps chinois de Plonk et Replonk

Hubert Froidevaux et Yinna Corbaz. swissinfo.ch

Le collectif d'édition de la Chaux-de-Fonds Plonk et Replonk submerge l'Asie de ses images à l'humour décalé. Après le Vietnam, neuf expositions et des conférences se tiennent en Chine, à l'invitation de l'Alliance française et de l'ambassade de Suisse à Pékin.

Plonk et Replonk travaillent à partir de cartes postales anciennes, qu’ils modifient par photomontage pour les détourner de leur sens original, à grand recours de dérision, d’ironie et de non-sens. Leurs images revisitées sont flanquées de légendes décalées, souvent intraduisibles. L’œuvre intitulée Une mémorable partie de tir au flan montre des chasseurs arborant fièrement leur trophée: un énorme flan qui gît à leurs pieds. Allez faire comprendre cela à un non francophone. Idem pour Le capitaine au long cou ou Le feu au lac.

Dénoncer les scandales

«Si vous avez des questions, c’est bien. Si vous avez des réponses, c’est encore mieux, parce que nous, on ne sait pas pourquoi on fait ça.» C’est Hubert Froidevaux, graphiste chez Plonk et Replonk, qui le déclarait fin mars devant les étudiants de l’Académie chinoise des beaux-arts, à Pékin. Les créateurs de la Chaux-de-Fonds y donnaient une conférence en marge de leur tournée chinoise. A défaut de réponses, les questions ont bel et bien fusé: «y a-t-il beaucoup de gens comme vous en Suisse?», s’interroge une étudiante. «Pas assez!», lui répond le Neuchâtelois.

Le créateur chinois Pi San, lui, sait très bien pourquoi il «fait ça». «C’est chaque fois que je pique une colère», dit ce quadragénaire, patron d’un atelier d’animation à succès qui emploie une cinquantaine de personnes à Pékin. Pi San se soulage en postant parfois sur internet des histoires drôles et dérangeantes, coups de gueule pour dénoncer les scandales de la société chinoise. La censure est prompte à les faire disparaître. Mais les internautes sont rapides, les petits films font malgré tout grand bruit.

Grand ami de l’artiste Ai Weiwei, Pi San prenait courageusement sa défense l’an dernier, par dessin animé interposé. Un autre film marquait la transition entre l’année du tigre et celle du lapin. On y voyait des lapins opprimés par les tigres, qui les empoisonnaient au lait frelaté, les écrasaient sous les roues de leurs limousines ou les expropriaient sans ménagements… Autant d’allusions à tous ces scandales qui avaient marqué l’année chinoise. A la fin du film, les lapins se révoltaient et massacraient les tigres. Appel ouvert à la rébellion.

Peut-être le Printemps chinois

«C’est un très bon moyen de communiquer, déclare Hubert Froidevaux en découvrant le petit film de Pi San. Pas du tout ma manière de travailler, mais pour faire passer un message, on peut utiliser ce ton là. Ce qu’on voit là, c’est peut-être le printemps chinois.» Sans doute est-ce précisément la hantise d’un printemps de Pékin qui motive la récente vague de répression contre toute forme de contestation. Pour l’humoriste suisse, «tout comme autrefois, les rois avaient leur bouffon, un Etat doit pouvoir tolérer les dessinateurs. Sinon, c’est qu’il n’est pas viable».

«Plonk et Replonk, c’est la santé psychique garantie, ce sont dessinateurs qui devraient être remboursés par toutes les assurances maladie!» C’est Blaise Godet, ambassadeur de Suisse à Pékin, qui le déclarait dans son allocution au vernissage de l’exposition Plonk et Replonk à l’Alliance française de Pékin. Le diplomate présentait ses compatriotes comme «les spécialistes du marché en pleine expansion du nain de jardin bétonné» et se disait fasciné par leur «univers fou, où plus aucun repère ne tient».

Partout un parti unique

«Quand l’image présente quelque chose d’actif ou de dynamique, qu’elle n’est pas totalement basée sur la légende, là oui, on sent qu’il y a de l’amusement. Mais on sait que ce n’est pas forcément le fond de l’image qui a été compris. Si on prend le temps de creuser et de discuter avec les gens, c’est très intéressant, des deux côtés», estime Hubert Froidevaux, qui constate qu’«ici, les gens sont curieux, peut-être plus curieux qu’en Suisse, curieux de tout».

Les créateurs suisses ont très soigneusement sélectionné les œuvres qu’ils montrent au public de Chine. «L’autocensure suisse est nettement plus puissante que la censure asiatique, plaisante Hubert Froidevaux. On a choisi les plus tranquilles, les plus douces à regarder, celles qui laissent diverses interprétations possibles.»

S’agissait-il aussi de s’adapter au contexte politique particulier, et de ne pas froisser les autorités chinoises? «Il me semble que je retrouve les mêmes schémas dans tous les pays que je visite. Il y a toujours une sorte de parti unique un peu partout dans le monde», répond le dessinateur.

Le réseau des Alliances françaises de Chine, tout comme celle du Vietnam, et l’ambassade de Suisse en Chine ont choisi le collectif neuchâtelois pour représenter la francophonie cette année.

Entre mars et décembre, neuf expositions sont prévues dans huit villes différentes des quatre coins de Chine.

C’est l’occasion pour la Suisse de se présenter sous un angle plus provocateur que d’accoutumée.

Pour la francophonie, c’est l’occasion de montrer des œuvres étroitement liées à la langue et qui jouent sur les mots, au risque de ne pas toujours être comprises.

Les internautes chinois utilisent beaucoup l’humour pour contourner la censure.

Ainsi parlent-ils du «35 mai» pour évoquer le 4 juin, date de la répression de Tiananmen. Ils ont aussi inventé tout un bestiaire pour évoquer les dirigeants chinois sans devoir les nommer, et critiquer le régime.

Le jeu du chat et de la souris auquel se livrent la censure et les internautes favorise l’inventivité de ces derniers, qui sortent généralement vainqueurs. De l’avis général, le seul moyen de faire taire les critiques serait d’interdire internet… une mesure qui paraît peu réaliste.

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