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«Le privilège de vivre très bien de sa plume»

Martin Suter, traduit en 27 langues ! dr

Il est le romancier suisse – vivant - le plus lu au monde. Martin Suter, 63 ans, attitude modeste et plume alerte, publie «Allmen et les libellules», premier volume d’une série policière qui s’annonce haletante. Il nous en parle depuis Ibiza où il réside une partie de l’année.

L’histoire est celle d’un couple, pas très ordinaire il faut le dire, puisqu’il s’agit d’un gentleman cambrioleur, qui répond au nom d’Allmen, et de son majordome Carlos.

Allmen et Carlos sont donc les principaux personnages imaginés par Martin Suter dans une série policière que l’écrivain zurichois entame avec un premier volume Allmen et les libellules (paru dans la traduction française d’Olivier Mannoni aux éditions Christian Bourgois).

Johann Friedrich von Allmen est Suisse. Il appartient à la bourgeoisie alémanique, a hérité d’une immense fortune mais l’a dilapidée. Comme il est à cours d’argent il se met à voler et à jouer les détectives en même temps.

Carlos, quant à lui, est guatémaltèque. Autrefois cireur de chaussures au Guatemala, il est aujourd’hui le confident et le conseiller d’Allmen. Il travaille et vit aux côtés de son maître, probablement dans le canton de Saint-Gall, comme le romancier nous le laisse supposer.

«C’est toujours très pratique d’avoir un couple dans un polar. Une réflexion à deux s’annonce souvent fructueuse lorsqu’il  s’agit d’entourloupe», s’amuse à dire Martin Suter, pensant au couple Maigret et Lucas ou à Sherlock Holmes et Watson. Mais chut! La trame  d’un polar ne se dévoile pas. On laissera donc le lecteur lire avec délectation ce dernier opus de Suter. En attendant, voici une mise en bouche en compagnie de l’auteur.

swissinfo.ch: «Allmen et les libellules»  part-il vraiment d’un fait divers, comme vous l’insinuez dans une note à la fin du roman?

Martin Suter: Bon, il me faut préciser que le sujet, je l’avais en tête bien avant de commencer le travail d’écriture. Ce que je cherchais, c’était donc une pièce d’art ou un objet autour duquel devait tourner mon histoire de vol. Et c’est là que j’ai appris – par hasard – qu’en 2004, cinq coupes d’Emile Gallé (céramiste français, 1846-1901, ndlr) aux motifs de libellules, avaient été volées au Château de Gingins lors d’une exposition. J’ai alors voulu en savoir plus, mais la police du canton de Vaud a refusé de me donner des détails: «L’affaire n’est toujours pas résolue, une enquête est en cours», m’a-t-on rétorqué.

swissinfo.ch: Avec ce roman, vous démarrez une nouvelle série policière. Combien de volumes comptera celle-ci?

M.S.: Je viens de terminer le deuxième qui sera très bientôt publié en allemand. Il s’intitule Allmen et le diamant rose. Ceci dit,  je ne sais pas encore combien d’épisodes il y aura, ni à quelle cadence ils sortiront. Entre-temps, je vais certainement publier d’autres romans, de nature différente. Là par exemple, j’écris une histoire classique qui n’a rien à voir avec ma série policière. Vous savez, chacune de mes œuvres rend hommage à un genre littéraire.  Allmen est un salut adressé au polar.

swissinfo.ch: Avec ce personnage de gentleman cambrioleur, pensez-vous introduire dans la littérature suisse un nouvel Arsène Lupin, ou du moins une nouvelle ère du thriller?

M.S.: Je rappelle qu’il existe déjà dans notre littérature des auteurs de polar. Je pense notamment à Friedrich Glauser (mort en 1936 à 42 ans, créateur du personnage du commissaire Studer, ndlr). On peut même ajouter ici le nom de Dürrenmatt. Deux de ses textes, La Panne et Le Juge et son bourreau, peuvent être mis  sur le compte du thriller, même si la portée en est parabolique. Le commissaire Bärlach dans Le Juge…  envoie d’ailleurs un clin d’œil à Maigret.  Au fil du temps, réapparaissent ainsi, chez différents écrivains, plus ou moins les mêmes figures du polar. Il s’agit donc de récurrence ici,  mais d’innovation, non, je ne pense pas.

swissinfo.ch : Vous parliez d’hommage. Quels autres genres littéraires saluent vos autres romans?

M.S.: Je ne vais pas tous les citer. Mais prenons Small world, ma première œuvre romanesque. C’est une machine à remonter le temps et une manière pour moi d’honorer la mémoire et les romans qui y sont dédiés. Autre exemple: La face cachée de la lune, qui raconte une escapade dans la forêt et célèbre ainsi les récits d’aventures, plus communément appelés «robinsonnades».  Quant à Un ami parfait, il exprime une sympathie, voire même une admiration, envers la figure  du détective que l’on retrouve, comme je le disais, d’époque en époque.

swissinfo.ch : De livre en livre, vos personnages se recoupent. Allmen, par exemple, présente les mêmes traits de caractère qu’Adrian Weynfeldt dans Le dernier des Weynfeldt: il dépense sans compter, s’habille avec goût, apprécie la grande cuisine, déteste les ordinateurs, n’aime pas conduire… Bref, il fonctionne à l’antique. Peut-on en déduire que vous aimez les produits «vintage»?

M.S.: Non, je leur préfère les produits modernes. En revanche, j’aime bien les personnes qui appartiennent à une race en voie d’extinction, que j’appelle les «élégants».  Comme je savais qu’Allmen serait une série et que je passerais beaucoup de temps avec son personnage principal, j’ai donc voulu ce dernier agréable. Et comme je me suis plu en la compagnie d’Adrian Weynfeldt, j’ai pensé que j’avais tout intérêt à répéter l’expérience. A cette différence près qu’Allmen est un Weynfeldt mal foutu.

swissinfo.ch : Dans vos livres, les hommes sont souvent faibles et les femmes opportunistes. Pourquoi?

M.S.: Je nuancerais en disant que mes personnages féminins sont plutôt forts et les hommes pas très actifs, dans ce sens où ils ont du mal à prendre des décisions; la vie leur passe à côté.

swissinfo.ch : Pour parler trivialement, disons que les femmes les mènent par le bout du nez, non?

M.S.: Oh! pas toujours, les femmes essaient, mais cela ne veut pas dire forcément qu’elles réussissent.

swissinfo.ch: Vous êtes un fin analyste des caractères, en plus vous savez tenir en haleine le lecteur. Vos romans connaissent un succès fou. Peu-t-on dire que vous êtes l’écrivain suisse, vivant, le plus lu dans le monde?

M.S.: Comme auteur vivant, je crois que oui.

swissinfo.ch: Autant que Frisch et Dürrenmatt en leur temps?

M.S.: Je ne connais pas les statistiques, tout ce que je puis affirmer, c’est que je suis traduit en 27 langues.

swissinfo.ch : Cela vous monte-t-il parfois à la tête?

M.S.: Pas du tout. Au Guatemala par exemple, où je passe plusieurs mois par année et où j’écris aussi, on ne me connaît pas. Remarquez, je ne m’en plains pas. Pour tout vous dire, j’estime que c’est un privilège que de vivre très bien grâce à ce qu’on aime faire le plus au monde. Le reste importe peu.

Allmen et les libellules (Allmen und die Libellen) de Martin Suter.

Traduit en français par Olivier Mannoni.

Editions Christian Bourgeois, Paris.

166 pages.

Zurich. Il est né à Zurich en 1948.

Reportages. Après avoir été publicitaire à Bâle, il multiplie les reportages pour Géo.

 

Diversification. Il a écrit des scénarios pour le cinéaste Daniel Schmidt, des comédies pour la télévision et des textes de chansons pour Stephan Eicher.

 

Best-sellers. Depuis 1991, il se consacre à l’écriture de romans, devenus des best-sellers. Parmi ceux-ci: Small world, Un ami parfait, Le diable de Milan etc.

 

Cinéma. Certains de ses livres ont fait l’objet d’adaptations cinématographiques.

Il  vit entre Zurich, Ibiza et le Guatemala.

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