Le Sacre de Titeuf
Uderzo, Gotlib, mais aussi Bilal, Cosey, Juillard ou Yslaire ont participé aux «Portraits de Titeuf»: un livre, et une exposition à voir à Paris.
Après avoir décroché le Prix d’Angoulême en début d’année, le dessinateur genevois Zep est à nouveau honoré par ses pairs.
«Honoré par mes paires? Quelles paires? J’en ai qu’une, de paire, ch’uis pô mongole, moi!» pourrait s’exclamer le gamin à la mèche blonde. Surtout que les types aux noms bizarres qui signent ses 30 portraits, ils sont vraiment trop vieux pour qu’il les connaisse. Ils ont tous au moins plus de vingt ans.
Le sentiment doit être tout autre pour Zep. Lui qui, en janvier 2002, publiait un petit recueil intitulé «Mes héros de la bande dessinée». Une plaquette dans laquelle il signait les portraits de ses 9 maîtres ès BD: Morris, Franquin, Greg, Uderzo, Gotlib, Yves Chaland, Crumb, Carl Barks et Will Eisner.
Et voilà que 30 artistes, à sa demande et à celle de l’éditeur-galeriste parisien Christian-Desbois, lui renvoient l’hommage. Zep connaissait déjà le succès public, le succès critique… Après avoir reçu le Grand Prix d’Angoulême en janvier dernier, 2004 représentera donc pour lui l’année où les ‘professionnels de la profession’ l’auront sacré Roi du Phylactère.
Confrères helvétiques
Cosey, le père de ‘Jonathan’, a immédiatement accepté l’invitation: «Sans hésitation! Je trouve toujours sympa d’être appelé par les confrères et amis… D’autant plus que là, je me sentais spécialement bien entouré! Vous avez vu la liste?»
Même chose du côté de Tom Tirabosco: «C’était oui tout de suite. Philippe, c’est-à-dire Zep, je le connais depuis maintenant quelques années! On apprécie chacun le travail de l’autre, ça s’est fait assez naturellement.»
Tirabosco a représenté Zep écrasé sous le poids d’un énorme Titeuf, à l’œil très inquiétant… Pourquoi cette approche? «Le projet était de rendre hommage à Titeuf. Mais j’avais assez envie d’y mettre une petite pointe d’ironie, un regard en biais. Je me suis dit que pour l’auteur de Titeuf, tout ce succès ne devait pas aller sans certains désagréments… ça doit être parfois lourd à porter».
Cosey, lui, a représenté un Titeuf tout en douceur, qui imagine ce qu’aurait pu donner son portrait par Picasso… «Du fait que Zep a un dessin humoristique et moi presque réaliste, ça posait un problème. J’ai pensé aux déformations du dessin humoristique, et c’est ce qui m’a conduit à Picasso», explique le dessinateur vaudois.
«Je me suis dit: qu’est-ce que Titeuf penserait de cet album? Il pourrait se dire: Ouf… je vais me faire massacrer par les faiseurs de petits mickeys, mais au moins j’échappe à la mort subite avec l’art contemporain!» ajoute le dessinateur vaudois, qui précise: «Encore que j’aime énormément l’art contemporain!».
De l’art et du cochon
Ce qui frappe immédiatement en observant ces portraits, et qui rend cet ouvrage collectif intéressant, c’est la variété des écoles et des styles représentés.
Les glorieux ancêtres (Uderzo, Gotlib, Moebius, Roba) sont là, les passionnés de récit historique (Juillard), les héritiers de la ligne claire (Margerin), les alluumés (Boucq, Solé), les jeunes rigolos (Tébo), les branchés (Dupuy-Berberian, Larcenet), les références en matière de picturalité (Bilal, Loustal, Tardi)… Un beau panorama de la BD d’hier et d’aujourd’hui.
La palme du dessin crade revenant bien sûr à Vuillemin – ou quand la création artistique zeppienne puise sa source dans l’éjaculation. Et la palme de la finesse au Hollandais Swarte – en quelques traits, l’association, dans le crâne songeur de Titeuf, du visage de Tintin et d’une silhouette de sexe féminin.
Renvoi d’ascenseur: sur une double page, Zep a dessiné un rassemblement des créatures fétiches des 30 dessinateurs invités!
A l’ombre de la Tour Eiffel
Ces «Portraits de Titeuf», on peut les regarder en livre. Ou aller découvrir les œuvres originales à la Galerie Christian Desbois, à Paris, Avenue de la Bourdonnais, juste à côté du – presque – plus grand ‘zizi sexuel’ de la capitale française.
Christian Desbois est un pionnier de la BD ‘déclinée’. Sérigraphies, lithographies, sculptures, portfolios, une démarche qu’il amorce dès le début des années 80. Il ouvre sa galerie en 1986, et y accueille moult représentants du 9e Art. Depuis 1994, il édite également des livres.
Les «Portraits de Titeuf» sont nés de la rencontre de Christian Desbois et de Zep, de passage – incognito – à la galerie. Le rêve de Zep de voir sa créature illustrée par d’autres bédéastes prend alors corps, grâce à sa renommée, mais grâce aussi à la réputation du galeriste-éditeur.
Grâce aussi au soutien de Bilal, complice de Christian Desbois depuis de longues années. Bilal et Zep, le rapprochement ne saute pourtant pas aux yeux. Et pourtant: «La personnalité de Zep m’a séduit. Je retrouve beaucoup du caractère de Bilal il y a trente ans… deux univers totalement différents, mais je leur trouve des traits de personnalité communs», constate Christian Desbois.
A l’arrivée, un livre qui s’est fait «de façon gratuite, dans la camaraderie et un plaisir total… sinon, cela aurait été un livre impossible à faire», commente l’éditeur.
Qui ajoute: «C’est d’ailleurs pour cela que je ne referai plus un livre collectif de ce genre. C’est quelque chose qu’on ne peut pas refaire deux fois. On ne peut pas solliciter les auteurs une deuxième fois, on ne peut pas se réinvestir de la même manière deux fois. Mais je suis coutumier du fait: je fais rarement deux fois la même chose!»
swissinfo, Bernard Léchot
«Portraits de Titeuf» est une coédition Galerie Christian Desbois / Glénat.
Les ‘portraits’ sont signés notamment par Bilal, Cosey, Dupuy & Berberian, Gotlib, Juillard, Loustal, Mandryka, Mix & Remix, Margerin, Moebius, Roba, Tardi, Tirabosco, Uderzo, Vuillemin, Yslaire.
Les dessins originaux sont à voir à la Galerie Christian Desbois, 14 avenue de La Bourdonnais, Paris, du 10 septembre au 30 octobre 2004.
Ouverture du mardi au samedi de 14h00 à 18h00.
– Né le 15 décembre 1967 à Genève, Zep, alias Philippe Chappuis, réalise sa première histoire à 8 ans.
– En 1993, le premier album de Titeuf, «Dieu, le sexe et les bretelles», est tiré à 7000 exemplaires. En 2004, le 10e tome, paru à fin août, «Nadia se marie», à 2 millions d’exemplaires!
– Les aventures de Titeuf sont traduites dans une quinzaine de langues, dont le chinois et le coréen.
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