Le surréalisme redécouvert à Winterthour
Le surréalisme s’est développé avec la photographie et le cinéma. La fascination du mouvement pour l’image fait l’objet d’une exposition au Fotomuseum de Winterthour, qui en propose, après Paris, une passionnante nouvelle lecture.
Elles sont tellement connues, ces images, qu’on oublie presque d’où elles viennent et dans quel contexte elles ont été créées. Les œuvres photographiques des surréalistes ont été tant et tant reproduites qu’elles sont devenues des icônes de la modernité, parfois banalisées par leur utilisation dans la publicité.
Les expositions telles que celle reprise jusqu’au 24 mai par le Fotomuseum de Winterthour, présentée jusqu’à mi-janvier à Paris, permettent de retrouver l’originalité du mouvement surréaliste dans toute sa splendeur. Et toute son ampleur. Car ses artistes inclassables, protéiformes, intarissables, ont tout exploré.
C’est le premier rappel – ou le premier enseignement – du vaste parcours concocté par le Musée national d’art moderne du Centre Georges Pompidou: la curiosité des surréalistes était infinie.
Leurs trouvailles techniques et leurs champs d’exploration (distorsions des images, collages, réactions chimiques des supports, etc.) peuvent sembler banales aujourd’hui, à l’ère du multimédia. Mais revoir les œuvres originales fait renaître l’excitation de l’époque à défricher des terres vierges.
Réaction à la guerre
Mouvement révolutionnaire opposé aux valeurs bourgeoises et à la folie guerrière, né vers 1920 à Paris, proche parent du dadaïsme, le surréalisme a immédiatement été fasciné par le média photographique et cinématographique. Pour le Fotomuseum, c’est même la photographie qui a permis au groupe de se constituer une identité.
Les très nombreux portraits de groupe – tels le collage «L’échiquier surréaliste» de Man Ray (1934), l’Américain arrivé à Paris en1921 – montrent le goût des protagonistes surréalistes pour l’auto-représentation et la mise en scène. Nombre de ces images ont illustré des exemplaires de la revue La révolution surréaliste. L’exposition présente simultanément l’original et son utilisation imprimée.
Esprit ludique
Les portraits rappellent aussi l’esprit résolument ludique des surréalistes. Photomatons grimaçants, clichés dans des mannequins de foire (où l’on glisse sa tête pour se faire passer pour un forain musclé ou pour un aviateur) donnent l’impression que les artistes passaient leur temps à s’amuser…
Mais l’absurde, la magie, l’étrange, souvent théâtralisés, ne sont jamais loin pour susciter un climat parfois inquiétant. Les portraits flous de Raoul Ubac font penser à des fantômes. La passion pour les animaux, morts ou monstrueux, de préférence marins chez Jean Painlevé ou, souvent, des araignées, inspirent des pensées métaphysiques («Les années vous guettent» de Dora Maar, 1936).
«Désinhibé»
Les idées et la désinhibition des artistes (pour reprendre Man Ray, disant de Meret Oppenheim, dont il réalisera la célèbre photographie nue avec bras tachés d’encre devant la presse à eau-forte, qu’il avait rarement vue «une femme aussi peu inhibée») débouchent sur des chefs d’œuvre, tel le «Violon d’Ingres» de Man Ray, encore lui.
L’érotisme est aussi omniprésent, tourmenté comme chez Hans Bellmer et ses Poupées, ou poétique, comme les clichés de Kiki de Montparnasse par Man Ray ou son «Torso», où l’ombre d’un rideau dessine des lignes sur des seins.
Les photographes Brassaï et Manuel Alvarez Bravo ou, moins connus, Eli Lotar ou Jindřich Styrsky, se révèleront aussi par le surréalisme, tout en développant leur propre langage. Leurs clichés de rues vides, d’arrière-cours ou de vitrines témoignent du goût, typiquement surréaliste, pour les superpositions étranges
Comme à Paris l’an dernier, l’exposition suscite un vif intérêt en Suisse alémanique depuis son ouverture fin février. Le Magazin, supplément publié par le quotidien Tages-Anzeiger le samedi, a consacré tout un dossier à cette seule question: «Qu’est-ce que le surréalisme?»
Serait-ce que le début du 21e siècle, à l’instar des années 1920, est à la recherche de nouvelles zones d’expérimentation révolutionnaire ? Le taciturne (sur les photos du moins) André Breton continue en tout cas à hanter les esprits avec sa prophétie: «C’est par la force des images que, par la suite des temps, pourraient bien s’accomplir les vraies révolutions».
Ariane Gigon, Winterthour, swissinfo.ch
Jusqu’au 24 mai. Préparée par le Centre Pompidou de Paris et exposée en collaboration avec la Fondation Mapfre de Madrid et le Fotomuseum de Winterthour, l’exposition «Subversion des images – surréalisme, photographie et film» est à voir jusqu’au 24 mai 2010 au Fotomuseum de Winterthour. Le titre est emprunté à une série du surréaliste belge Paul Nougé en 1929-1930.
Très vaste panorama de la création surréaliste, l’exposition comprend plus de 400 photographies, films et documents divers. Les clichés les plus célèbres, des extraits des manifestes surréalistes, d’écriture automatique ou encore des collages sont présentés à côté d’œuvres méconnues.
La photographie et toutes ses distorsions possibles se prêtaient particulièrement bien à l’expérimentation surréaliste, mouvement né – dans l’entre-deux-guerres – en réaction aux valeurs bourgeoises.
Artistes exposés (liste non exhaustive): Man Ray, Brassaï, Hans Bellmer, Claude Cahun, Raoul Ubac, Paul Eluard, André Breton, Antonin Artaud, Leo Malet, Lee Miller, Salvador Dali, Joan Miró, Max Ernst, George Bataille, Dora Maar.
Films projetés: La Coquille et le Clergyman de Germaine Dulac, version restaurée, 1927. L’Age d’or, de Luis Buñuel, 1930, Un chien andalou, de Luis Buñuel et Salvador Dali, 1929, Vormittagspuk, de Hans Richter, 1927-1928.
Le Fotomuseum de Winterthour a été créé en 1993.
Les locaux vis-à-vis abritent depuis 2003 la Fondation suisse pour la photographie (Fotostiftung Schweiz), créée en 1971.
Ensemble, ils forment le Centre pour la photographie, dont les archives comprennent 30 legs et environ 30’000 tirages originaux, complétés par des prêts de la Confédération.
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