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Le Tessin des contrebandiers dans une expo du souvenir

Guerino Piffaretti, 'bricolle' sur le dos, rejoue les contrenbandiers... Keystone

Tout au sommet du Val Muggio, au-dessus de Chiasso (Tessin), le bourg de Scudellate accueille une exposition consacrée à l'époque des contrebandiers.

Clin d’œil sur le ‘bon vieux temps’ des «spalloni», porteurs de cigarettes et de café…

Il faut avoir le cœur bien accroché pour rejoindre Scudellate en voiture. De Chiasso, la route grimpe en étroits lacets sur les flancs du Monte Generoso, jusqu’aux confins de l’Italie.

Escarpée et sauvage, belle à couper le souffle, la vallée de Muggio – du village du même nom – égrène ses villages pittoresques semés d’églises romanes ou baroques aux mille surprises architecturales. De couleurs ocres, jaunes, roses, ou simplement blanches, les maisons tessinoises forment autant de taches sur la ligne verte de l’horizon.

Au-dessus de Muggio, à près de mille mètres d’altitude et à un kilomètre du Val d’Intelvi en Italie, Scudellate accueille chaleureusement le visiteur. Tout à côté de l’Osteria Manciana, l’ancienne école primaire devenue auberge de jeunesse, reçoit une exposition du souvenir.

Le temps des derniers «spalloni»

De tout temps, le nom du Val Muggio a toujours été étroitement lié au phénomène de la contrebande. Les derniers «spalloni» hantaient la vallée il y a plus de 30 ans désormais.

Mais ses habitants n’ont pas oublié ces hommes jeunes et rudes qui, pour arrondir des fins de mois difficiles, transportaient sur leurs épaules des «spalle» en italien (d’où le terme «spalloni»), soit des sacs remplis de café, sucre, chocolat, bouillons gras, mais surtout de cigarettes suisses.

Une sorte de tendresse est restée dans le cœur des gens de la vallée pour cette ère révolue. La première exposition qui lui est consacrée, organisée par la région Val di Muggio, leur rend hommage.

A travers la «ramina»

Intitulée «Ramina e sigarette» («Fil de fer barbelé et cigarettes»), l’exposition présente une vingtaine de clichés en noir-blanc, réalisés dès la fin de la guerre et jusqu’au début des années 70, par le photographe Christian Schiefer, mort en 1998 à Lugano à l’âge de 102 ans. Elle propose aussi une série de documents d’archives et d’objets liés à la contrebande.

Provenant du Val d’Intelvi tout proche ou des abords du lac de Côme, les «spalloni» entraient clandestinement dans le Val Muggio, munis par exemple de riz ou de salami, mais aussi de soie ou de pneus usés. Ils repartaient chargés de cigarettes.

Ils se déplaçaient de nuit, et franchissaient la «ramina», ce grillage de barbelés qui marquait la frontière entre l’Italie et la Suisse. Ils s’y faufilaient après l’avoir trouée, risquant à tout moment de tomber sur quelque douanier italien zélé.

Leur route passait d’Erbonne, en Italie, à Scudellate. Aujourd’hui, le minuscule hameau italien et le village tessinois sont reliés par une passerelle piétonnière qui enjambe la rivière Breggia. Construite en 2005, elle a renforcé les liens déjà solides entre les deux communautés.

Auparavant, pour atteindre le Val Muggio, les «spalloni» devaient descendre jusqu’au fond du torrent, le traverser à gué, puis remonter de l’autre côté. En même temps que Scudellate et son exposition, Erbonne a organisé une fête populaire de deux jours sur le thème des contrebandiers. Elle leur a aussi dédié un musée, ouvert dans l’ancien poste de douane.

Des liens particuliers relient les deux localités. D’autant plus que 10 des 11 habitants d’Erbonne sont de nationalité suisse. En fait, le hameau, faisait partie du Val di Muggio jusqu’en 1604…

Témoins directs

«La contrebande nous a toujours unis, nous avons un passé commun», commente Guerino Piffaretti, 62 ans, patron de l’Osteria Manciana et responsable de l’exposition. Il est lui-même un témoin direct du temps des «spalloni».

«J’étais encore un gosse, au milieu des années 50, lorsque je devais aider mon père à préparer les ‘bricolle’. Je n’ai pas un bon souvenir de ces années-là, tous mes loisirs passaient à la confection de ces sacs que nous vendions aux contrebandiers. Je n’avais jamais un moment pour jouer avec mes copains après l’école.»

Fernando Bossi, 75 ans, de Chiasso, se souvient avec nostalgie de cette époque. Durant des décennies, il a confectionné les «bricolle», sacs de cartons recouverts de jute qui contenaient la marchandise de contrebande, les cigarettes principalement. Les «bricolle» pouvaient contenir de 25 à 50 kilos de «blondes», réparties en cartouches de 25 paquets.

Gérant du dépôt tessinois des «Fabriques de tabac réunies» de Neuchâtel, de 1958 à 2002, Fernando Bossi, auparavant, ne se contentait pas de fabriquer les «bricolle»: il les remplissait. «J’achetais les cigarettes au grossiste Attilio Morosoli de Lugano et je les revendais aux contrebandiers.»

Monopole italien

«Pour nous, raconte-t-il, ce genre d’exportation, dite ‘exportation 2’ était légale. Nous recevions l’autorisation de l’Administration fédérale des douanes et dédouanions régulièrement notre marchandise. Pour les Italiens en revanche, il s’agissait de contrebande, puisque l’Etat détenait le monopole sur les cigarettes.»

«En 1973, poursuit-il, ‘l’exportation 2’ a cessé à cause du change peu favorable entre le franc et la lire et en raison de la hausse du prix des cigarettes suisses. Cela a été la fin de l’ère des contrebandiers.»

Une ère que le septuagénaire – qui passe l’été dans le Val Muggio – n’a pas oublié. Il la revit ces jours-ci grâce à l’exposition pour laquelle il a prêté ses fameuses «bricolle».

«En une vingtaine d’années, à raison de 40 pièces par jour, j’en ai fabriqué environ 250.000. Elles étaient connues loin à la ronde pour leur qualité et ma réputation était excellente, du Val d’Intelvi aux rives du lac de Côme!»

swissinfo, Gemma d’Urso à Scudellate

– Comme d’autres vallées tessinoises telles que le Val Colla et le Val Morobbia notamment, le Val Muggio a été durant des décennies, un fief des contrebandiers italiens.

– Dès la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’en 1973, environ 5000 «spalloni» œuvraient au commerce clandestin de riz, soie, salamis et pneus vers la Suisse, de café, chocolat, montres et cigarettes en direction de l’Italie.

– S’ils finissaient entre les mains des douaniers italiens ou de la «Guardia di finanza» (police financière), ils perdaient leur marchandise, étaient lourdement amendés et parfois même incarcérés.

– La contrebande dans les vallées tessinoises a été marquée par de nombreux drames. Plusieurs passeurs ont été abattus par des douaniers, d’autres sont morts accidentellement en montagne durant des tentatives de fuite.

L’exposition «Ramina e sigarette» est ouverte jusqu’au 20 octobre à l’Auberge de jeunesse de Scudellate, tous les jours sauf le mercredi. Entrée libre.
Elle propose une vingtaine de photos du Fonds Christian Schiefer, prêté par les Archives cantonales de Bellinzone.
Elle présente aussi des onjets d’époque: «bricolle» (sacs à dos), «pedule» (housse de jute pour marcher silencieusement) etc.

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