Les grands auteurs de la Francophonie revisités
La maison d'édition genevoise Zoé inaugure «Le Cippe», une nouvelle collection destinée aux universitaires aussi bien qu'aux amateurs de littérature francophone.
Objectif: commenter et éclairer grâce à de courts essais les grands textes d’auteurs suisses, belges, québécois, antillais ou africains. Mais pas français.
Depuis quelque temps, le débat s’enflamme dans l’espace littéraire francophone, avec cette question épineuse: y a-t-il deux types d’auteurs, ceux qui écrivent en français et ceux qui s’expriment en langue d’outre-France?
Suisses, Belges, Québécois, Antillais ou Africains se plaignent d’être souvent placés par les Français dans la deuxième catégorie et de subir, de ce fait même, un regard sournoisement condescendant sur leurs œuvres.
Heureusement, quelques passionnés veillent et défendent le métissage culturel, source de toutes les richesses. C’est ainsi qu’a été créé l’an dernier en France le Prix Nicolas Bouvier, et ce sur l’initiative du journaliste Michel Le Bris qui se bat pour «une littérature-monde en français».
Il faut croire que ce concept a ses adeptes. Car c’est un peu dans le même esprit qu’agissent aujourd’hui les éditions Zoé, à Genève, en inaugurant une nouvelle collection littéraire baptisée «Le Cippe» et dirigée par Patrick Amstutz.
Un regard personnel
Objectif: «Faire comprendre, sans aucun jargon, la portée des grandes œuvres suisses et francophones», grâce à de courts essais qui, à la manière des «Petits classiques» de Larousse, guideront les étudiants dans leur travail et les curieux dans leur lecture.
A la différence néanmoins de Larousse ou des «Profils d’une œuvre» publiés par Hatier, la collection «Le Cippe» ne se veut pas explicative.
«Il s’agit, commente Marlyse Pietri, directrice des éditions Zoé, d’un regard très personnel et surtout pas scolaire, posé sur un grand texte par un spécialiste».
Chaque spécialiste reste donc libre du choix de sa thématique. Et chaque essai compte 100 pages réparties sur 5 chapitres qui ne sont pas forcément liés par des liens de causalité. «On a préféré éviter la structure rigide pour se concentrer sur une interprétation imagée des œuvres», précise Marlyse Pietri.
Place donc au commentaire plutôt poétique, très bien reflété d’ailleurs dans l’essai consacré au «Poisson-Scorpion», récit de voyage houleux et délicieux de l’écrivain genevois Nicolas Bouvier, avec lequel «Le Cippe» ouvre les feux.
Normal, car qui mieux que Bouvier, voyageur intrépide, pouvait représenter le métissage culturel? Son «Poisson-Scorpion» est analysé par un essayiste français, Jean-Xavier Ridon. Même approche pour «Paysages avec figures absentes» du poète vaudois Philippe Jaccottet, deuxième livre de cette nouvelle collection qui fait l’objet d’un essai écrit également par une Française, Laure Himy-Pieri. Un essai hélas un peu trop conceptuel à notre goût.
La francophonie… pas la France!
«Dans un cas comme dans l’autre, nous avons voulu que ce soit des étrangers qui commentent une œuvre suisse, explique Marlyse Pietri. Cela ouvre des horizons et pose de nouveaux jalons. Il en sera de même pour les autres titres à paraître».
Ainsi donc, un essayiste antillais pourra présenter et analyser l’œuvre d’un Québécois et un Québécois celle d’un écrivain africain, par exemple. Histoire de croiser les sensibilités. On l’a dit, la collection comptera, outre les titres suisses, ceux d’auteurs francophones. Ce qu’on n’a pas dit en revanche, c’est que «Le Cippe» ne prévoit pas d’essais sur les œuvres françaises.
«Les Français s’y entendent comme personne pour mettre en perspective leurs grands textes. Leurs collections regorgent d’appendices explicatifs sur leurs propres auteurs, alors qu’elles ne retiennent pratiquement pas d’œuvres suisses ou francophones», résume Marlyse Pietri.
A noter que le prochain essai à paraître sera consacré à l’écrivain antillais Aimé Césaire et à son livre «Les Armes miraculeuses».
swissinfo, Ghania Adamo
La collection «Le Cippe», aux Editions Zoé, est dirigée par Patrick Amstutz chargé de cours à l’Université de Fribourg et de Paris III.
Grâce au soutien de l’ACEL (Association pour une collection d’études littéraires), «Le Cippe» favorise l’accès au riche patrimoine littéraire francophone.
Cette nouvelle collection bénéficie de l’aide financière des cantons romands, de la Fondation Pro Helvetia et de la Loterie romande.
Elle comptera trois titres par année, deux sur des œuvres suisses et un sur une œuvre issue d’une autre région francophone.
Premiers ouvrages parus: «Le Poisson-Scorpion» de Nicolas Bouvier, analysé par Jean-Xavier Ridon, et «Paysages avec figures absentes» de Philippe Jaccottet, analysé par Laure Himy-Pieri.
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