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«Les Helvètes», de Lausanne à Avignon

Les élèves de la HETSR de dos... modestes ou timides? SP

Le très plaisant spectacle de Christian Geffroy Schlittler dresse des portraits truculents de quelques personnalités de ce pays. Joué par les élèves de la HETSR à Lausanne, il sera présenté à Paris, dès le 24 juin, puis au festival d’Avignon, en juillet.

Une photo de famille. Une de celles qui brouillent malicieusement les repères, multiplient les anachronismes et transcendent le temps. Il faut dire que la photo est spéciale. Une pose. Un flash. Et voilà que naît sur scène une Suisse éternelle. Non pas celle des Alpes et des chalets. Pour une fois, la carte postale nous est épargnée.

Car la Suisse que l’on découvre ici se joue des attentes. Elle s’affiche gaiement et audacieusement dans « Les Helvètes », un spectacle signé Christian Geffroy Schlittler et joué par les élèves sortants (4e volée) de la Haute école de théâtre de Suisse romande (HETSR ).

Le Général Guisan joué par un Noir

Exit donc les clichés. Et bien venue chez «Les Helvètes». Pas n’importe lesquels. Car la famille réunie sur la photo est celle des héros. C’est un grand mot «héros». Pour être moins pompeux, on dira qu’il s’agit plutôt des personnes qui ont marqué l’histoire littéraire, scientifique, artistique, sportive, économique et politique de ce pays.

On s’amuse à les deviner ces personnes, car le temps qui passe a gommé quelques traits, brouillé les visages et les a même barbouillés. Le Général Guisan est joué par un Noir, et ce n’est pas innocent. L’homme du « Réduit national » devient celui de la diversité. C’est que depuis les années 1940, la Suisse a changé d’état… d’esprit. Tout le spectacle procède de ce décalage critique qui pose un regard amusé sur une grande famille.

Aux mille facettes

Comme dans toute grande réunion familiale, il y a une photo évidemment, mais aussi un avant et un après-la-photo. Avant, on discute, on se dispute, on boude, on fait la fête, on chante, on danse… Puis, arrêt sur image, et rebelote. Le rythme est celui imprimé par les modulations d’un cœur et d’un esprit qui oscillent entre souffrances et espérances, entre craintes et bonheur de vivre. La Suisse ? Un être à part entière, avec ses contradictions et ses jouissances. Un être fait de mille facettes.

Pour les éclairer, seize comédiens et comédiennes qui bousculent et caressent les Helvètes. Cela va de Carl Gustav Jung à Fritz Zorn, en passant par Charles-Ferdinand Ramuz, Anne-Marie Schwarzenbach, le Général Guisan, Le Corbusier, Albert Cohen, Jo Siffert… Sans oublier l’indécrottable Max Frisch, figure emblématique du spectacle et pensée dominante d’un pays qui n’en finit pas de s’interroger sur son libéralisme économique et sur sa place politique dans le monde. « La neutralité ce n’est pas un gène, c’est un concept », hurle l’auteur d’«Andorra».

«Etre linguiste, ce n’est pas sexy»

Bien sûr, les mots mis dans la bouche des personnages sont inventés. Bien sûr, il y a des écarts physiques très drôles entre la réalité et la fiction. Barbe touffue et cheveux hirsutes, Ferdinand de Saussure a l’air d’un clochard céleste. Surgi de sa « boîte », comme il dit, visiblement en manque d’affection, il jette à la face du public : «Etre linguiste, ce n’est pas sexy».

Carl Gustav Jung n’est guère mieux loti, qui, pour pallier à son manque d’attrait, s’est incarné en femme, drapée dans une robe vaporeuse et translucide. De ce même Jung, Jacques Chessex dressa autrefois un portrait tout aussi surréaliste. Il vit en ce psychiatre tourmenté le « flûtiste d’une ronde ininterrompue de faunesses pâmées sur la rive lisse du lac de Zurich». C’était dans «Le Simple préserve l’énigme», roman dudit Chessex auquel font curieusement penser ces «Helvètes», à la fois vieux et frais.

Une excellente visibilité

Car comme Chessex, le metteur en scène Christian Geffroy Schlittler a su capter ce qu’il y a de plus singulier dans ce pays : son baroquisme. Un mélange criant de folie et de sagesse.

Créé à Lausanne début juin, à la Haute école de théâtre de Suisse romande, ce spectacle constitue le deuxième volet d’un projet consacré à l’Helvétie, dont la première partie, décevante, fut présentée à Genève en mai dernier (voir articles en relation avec le sujet).

«Les Helvètes», en revanche, procurent un plaisir certain. Schlittler dit qu’ils lui ont permis de mieux s’acclimater, lui l’étranger qui vit à Genève depuis 12 ans. Son spectacle ira à Paris le 24 juin, puis sera accueilli au festival d’Avignon du 22 au 26 juillet. Une excellente visibilité donc pour ces «Helvètes» qui risquent, néanmoins, d’être encore mal compris des Français.

Ghania Adamo, swissinfo.ch

Lausanne. «Les Helvètes », spectacle écrit et mis en scène par Christian Geffroy Schlittler. Avec les élèves de la Haute école de Théâtre de Suisse romande (4e volée).

Paris, Théâtre de la Tempête, du 24 au 27 juin.

Festival d’Avignon, Institut des sciences et techniques du spectacle (ISTS), du 22 au 26 juillet.

Auteur et metteur en scène d’origine française, vit et travaille à Genève depuis 12 ans.

De 1998 à 2005, il codirige le collectif Demain on change de nom.

Depuis 2007, il est en résidence d’écriture au Théâtre Saint-Gervais à Genève où il a créé, en 2008, « Pour la libération des grands classiques », spectacle très remarqué, suivi, en 2009, de « Utopie pour une mise en scène »

Il travaille régulièrement à la Haute école de théâtre de Suisse romande à Lausanne où il dirige des stages.

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