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Les oeuvres contemporaines ont la cote

«FC (Fire-Colour 1)», réalisé par l’artiste français Yves Klein en 1962, a été vendu le 8 mai 2012 à New York au prix de 36,5 millions de dollars. Keystone

Les artistes contemporains ont le vent en poupe: leurs oeuvres sont vendues à des prix exorbitants et pulvérisent un à un tous les records. Un phénomène que l’on doit surtout aux nouveaux collectionneurs, affirme l'artiste suisse Nadia Berri, qui vit à Londres, où elle enseigne au Sotheby's Institute of Art.

Vendue 142,4 millions de dollars en dix minutes, Trois études de Lucian Freud, un tryptique peint par Francis Bacon en 1969 et mis aux enchères par Christie’s, le 13 novembre dernier à New York, est devenue l’œuvre d’art la plus chère de l’histoire. Plusieurs autres records ont été atteints durant la même vente et à celle qui a eu lieu le lendemain chez Sotheby’s (voir encadré).

Ces chiffres à faire tourner la tête donnent une idée du boom des prix sur le marché international de l’art contemporain. Cette année, faisant fi de la crise économique, la hausse a été de 15%, dépassant pour la première fois un milliard d’euros, a annoncé récemment la société Artprice, numéro un mondial des statistiques du marché de l’art. Dans le même temps, le marché global de l’art a enregistré une baisse de 2,4%. Les auteurs contemporains sont désormais mieux cotés que les grands maîtres de la Renaissance.

Née à Zurich, Nadia Berri enseigne l’histoire de l’art contemporain aux adultes auprès du Sotheby’s Institute of Art et aux enfants au Musée Tate Modern. Elle aime se reconnaître dans la devise de l’écrivain américain John Cage: «l’art est un jeu utile».

Nadia Berri participe activement à des projets collectifs comme le LUPA (Lock Up Performance Art) qui s’est tenu de 2011 à 2013 à Londres. Les artistes exposaient dans un garage un soir par mois pour un public qui ne se contentait pas de regarder.

Parmi ses oeuvres au LUPA, citons Now, Voyager, une performance qui allie un ballon rouge géant à une pompe.

Son art se base sur plusieurs disciplines, comme c’est le cas pour l’un de ses derniers travaux: Darren, une bande vidéo qui recueille les hurlements de passants en séquence.

swissinfo.ch: Vous êtes à la fois artiste et enseignante, comment parvenez-vous à concilier ces deux professions?

Nadia Berri: Chaque leçon ressemble à une performance. J’enseigne l’art et je propose des laboratoires pratiques. Il s’agit de deux réalités qui se complètent, qui ne sont jamais séparées. J’enseigne aussi dans des domaines très différents comme le Sotheby’s Institute of Art, le Musée Tate Modern et la Charity Bow Art.

swissinfo.ch: Comment expliquez-vous cet intérêt soudain pour les cours donnés par des institutions liées aux grandes maisons de vente aux enchères?

N.B: Le Sotheby’s Institute of Art était auparavant «l’école» de la société du même nom. Depuis 2002 cependant, il dépend de l’Université de Manchester, même s’il a conservé le nom de la maison de vente aux enchères avec laquelle il a d’excellents rapports. Aujourd’hui, l’art représente une opportunité de travail. A l’institut d’art de Sotheby’s, j’enseigne l’histoire de l’art contemporain depuis 2008 et les cours sont en train d’augmenter. A l’Art & Business Course pour lequel je suis un des principaux consultant-lecteur, j’avais commencé avec 25 étudiants mais leur nombre a doublé ces trois dernières années.

sothebysinstitute.com

swissinfo.ch: Qui fréquente ces cours?

N.B: Des jeunes du monde entier arrivent à Londres. Ceux qui choisissent de tels cours se distinguent par leur haut niveau d’instruction en la matière – souvent atteint dans leur pays d’origine – et par une disponibilité financière qui leur permet d’investir dans une formation de niveau élevée. Nous nous trouvons également face à des personnes qui veulent changer de profession.

swissinfo.ch: Peut-on affirmer dès lors que Londres est la capitale européenne de l’art contemporain?

N.B: Oui car ici toutes les tendances sont représentées. Les musées, les maisons de vente aux enchères, les galeries d’art, l’argent. Mais il y a aussi des groupes d’artistes qui se retrouvent, produisent par eux-mêmes leur propre art qu’ils proposent au public sans passer par des «intermédiaires».

Le nouveau record absolu pour une oeuvre d’art atteint par un tryptique de Francis Bacon le 13 novembre dernier a pulvérisé le précédent – pour Le cri d’Edward Munch en mai 2012 à une vente de Sotheby’s à New York – de 119.9 millions de dollars.  Vu la tendance du marché, il n’est pas certain que ce nouveau record dure longtemps.

Toujours chez Christie’s, le 13 novembre, le record de l’oeuvre la plus chère  d’un artiste vivant a été battu: la sculpture Ballon Dog (Orange) de l’artiste américain Jeff Koons a été vendue pour 58,4 millions de dollars. Des chiffres records ont en outre été atteints pour des oeuvres de Christopher Wool, Ad Reinhardt, Donald Judd et Willem de Kooning.

Le lendemain, lors de la vente aux enchères organisée par Sotheby’s, de nouveaux records personnels ont été battus pour Andy Warhol (son Silver Car Crash a été cédé pour 105 millions de dollars) Cy Twombly, Agnes Martin, Martin Kippenberger, Brice Marden, High Quality Foundation et Mark Bradford.

Selon un commentaire du quotidien zurichois Neue Zürcher Zeitung (NZZ), l’évolution actuelle du marché de l’art montre que «beaucoup d’argent est à la recherche d’un investissement sûr. L’art en fait partie. Les acheteurs proviennent de pays toujours plus différents. Parmi les trois derniers candidats à l’achat du Bacon [une œuvre de Francis Bacon vendue 142,4 millions de dollars chez Christie’s], deux étaient asiatiques».

Par ailleurs, les prix élevés seraient liés à la conjoncture économique mondiale: «Lorsque le marché immobilier fait des bulles, l’art explose. Les records sont ainsi un signal d’alarme».

swissinfo.ch: Comment peut-on évaluer une oeuvre contemporaine?

N.B: Comprendre l’oeuvre d’art et son véritable message est une chose, faire aimer une oeuvre d’art au public en est une autre. Le goût est personnel, il ne faut pas se laisser influencer mais être particulièrement critique. Une oeuvre d’art exposée dans une galerie n’est pas forcément une oeuvre de qualité mais peut simplement être du goût du propriétaire de la galerie: la promotion et la cotation vont de pair. Comme toujours, l’art est sujet aux modes, aux époques. Nous vivons actuellement la période des contemporains, ce qui fait que de nombreux nouveaux collectionneurs les convoitent et plusieurs d’entre eux s’adressent à des conseillers en art. C’est une bonne chose même si souvent trop de conseils étouffent la liberté de choix et la créativité individuelle.

swissinfo.ch: Pourquoi les nouveaux collectionneurs se tournent-ils avant tout vers les artistes contemporains?

N.B: Parce que l’art contemporain est «glamour», c’est un détail «intellectuel» qui fait la différence parmi les nouveaux collectionneurs qui l’acquièrent. Il existe aussi des collectionneurs sérieux qui comprennent véritablement l’art, celui qui frappe et transmet un message. Mais cette tendance du contemporain va de pair avec les nouveaux collectionneurs.

swissinfo.ch: Qui est à la mode en ce moment?

N.B: Il existe des situations que je désigne sous le nom de «The Murillo Syndrome», dans lesquelles un collectionneur commence à acheter quelque chose ou a été encouragé à acheter quelque chose découvert par quelqu’un d’autre, comme c’est le cas actuellement pour l’artiste colombien Oscar Murillo. Sa popularité me rappelle celle de Jean-Michel Basquiat durant les années 1980, lorsqu’Annina Nosei, sa galeriste, le présentait comme la «vraie» voix de la rue.

Avec un investissement d’un milliard de dollars, Al-Mayassa bint Hamad bin Khalifa Al-Thani, âgée de 30 ans, est sans conteste la personnalité la plus influente dans le monde de l’art. C’est ce qu’a décrété la prestigieuse revue ArtRevie, qui établit chaque année la liste des cent personnes les plus importantes de tout le secteur, des propriétaires de galeries aux critiques, des collectionneurs aux artistes mêmes. La jeune femme, sœur cadette de l’actuelle émir du Quatar, le cheik Tamim Bin Hamad Al-Thani, est la directrice du Qatar Museums Authority et est considérée comme la plus grande mécène du monde.

Une autre femme figure parmi les dix premières places du classement: il s’agit de l’Allemande Beatrix Ruf, qui se place au septième rang. Elle dirige le Centre d’exposition d’art contemporain Kunsthalle de Zurich et elle siège au sein du Cultural Advisory Board du CERN de Genève.

Deux Suisses se trouvent parmi les dix personnalités les plus influentes. Iwan Wirth (3e), un galeriste et marchand d’art zurichois qui est aussi co-président et propriétaire de Hauser & Wirth, une galerie d’art moderne et contemporain parmi les plus connues au monde et qui dispose de locaux à Londres, New York et Zurich. Le cinquième est Hans Ulrich Obrist, lui aussi zurichois, conservateur, critique, historien d’art et co-directeur de la très célèbre Serpentine Gallery, l’un de centres londoniens d’art contemporain et moderne parmi les plus importants, sis à Hyde Park.

swissinfo.ch: Et les artistes suisses dans tout cela?

N.B: Alberto Giacometti est un grand artiste et son nom est synonyme de chiffres impressionnants alors que Paul Klee, tout en étant lui aussi un grand peintre auquel le Musée Tate Modern est en train de consacrer une très belle exposition, ne connaît pas le même succès durant les ventes aux enchères.

swissinfo.ch: Existe-t-il un artiste qui se vend bien aux enchères, pas par mode mais davantage pour son message?

N.B: A en croire mon expérience, je diraisYves Klein. Ce Français génial a réussi à vendre Zones de sensibilité picturale immatérielle de Paris en échange d’or qu’il jetait ensuite dans le Seine. Klein [dont le record à une vente aux enchères pour Le Rose du Bleu a été battu à Londres en juin 2012 pour la somme de 23,5 millions de livres] est célèbre pour ses toiles monochromatiques dont les plus connues sont bleues. Il voulait atteindre «l’expression la plus parfaite» de cette couleur et il y est parvenu après d’innombrables tentatives, à tel point qu’en 1956 il a breveté son International Klein Blue, connu dans le monde de l’art par la sigle IKB.

swissinfo.ch: Quelle oeuvre conseilleriez-vous à un véritable collectionneur, d’après votre goût personnel?

N.B: Certainement Erased de kooning drawing du peintre-sculpteur américain Robert Rauschenberg.  Il s’agit de la feuille blanche d’un dessin effacé de l’expressionniste abstrait Willem de Kooning, datant de 1953. Il est conservé au San Francisco Museum of Modern Art (SFMOMA). Etant donné l’histoire de cette oeuvre, qui sait à combien elle serait battue à une vente aux enchères.

(Traduction de l’italien: Gemma d’Urso)

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