Les photographes amateurs entrent au musée
En mettant en scène des photographies d'amateurs – un genre qui a explosé avec l'arrivée du numérique - le célèbre musée lausannois de l'Elysée joue les pionniers.
Conçue comme un laboratoire, l’exposition «Tous photographes !» offre la possibilité aux amateurs d’appareil numérique et autres photophones d’envoyer leurs œuvres pour qu’elles soient projetées sur les murs du musée.
Avant même l’ouverture de l’exposition, le Musée de l’Elysée a déjà reçu plus de 3000 images provenant d’une trentaine de pays. Et ce grâce à un site – tousphotographes.ch – développé par l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL).
Les images ainsi collectées sont ensuite projetées sur l’un des murs du musée. L’objectif de son directeur William Ewing et de son équipe est de donner toute sa mesure à un phénomène qui bouleverse le monde de la photographie professionnelle
«Depuis quasiment les débuts de la photographie, on trouve des images d’amateur dans la presse. Mais les technologies numériques ont fortement amplifié ce phénomène», explique Luc Debraine, un des commissaires de l’exposition.
«Aujourd’hui, dit-il, chacun de nous sort de chez lui avec un appareil capable de prendre des photos. Lors d’un événement, les témoins peuvent le prendre en photo et les transmettre instantanément. »
L’espoir de Marx et Engels!
William Ewing parle de révolution: «Il n’y a quasiment plus d’obstacle entre le désir de prendre une photo et sa réalisation. »
«C’est presque ce qu’espérait Marx, renchérit Luc Debraine. Dans L’idéologie allemande, Marx et Engels avaient en effet l’espoir que chacun puisse être critique, journaliste ou auteur. Or nous sommes en train d’atteindre ce but.»
Dans le même temps, Luc Debraine et les autres responsables de l’exposition admettent avoir peu de recul face à ce phénomène émergent. L’exposition cherche à poser des questions, plutôt que d’apporter des réponses toutes faites.
L’amateurisme en question
Le Musée de l’Elysée présente par exemple des images de Martin Parr. «Ce fameux photographe britannique s’inspire beaucoup de cette photographie amateure. De fait, il est souvent très difficile de faire la différence entre ces images et celle d’amateurs », souligne Luc Debraine.
Et le journaliste de citer l’exemple de «JPG», un magazine photo alimenté par des amateurs. «Nous assistons à l’apparition d’une catégorie professionnelle-amateur», remarque le journaliste.
Luc Debraine pointe également la multiplication des communautés photographiques virtuelles qui mettent en commun leurs photos sur le Net, comme le site de partage Flickr ou des sites photo centrés sur telle ou telle ville.
Dans ce domaine, comme dans les autres, la révolution numérique transforme les conditions de production de la photographie, en supprimant nombre d’intermédiaire.
De nouvelles formes esthétiques
«Comme conservateur de musée, tout change, témoigne William Ewing. Par exemple, cette exposition est alimentée par des images reçues par email et que nous imprimons sur place. Autre exemple : dans ma poche, j’ai une puce avec 4000 images. Donc je suis moi-même un musée. »
William Ewing estime également qu’avec le téléphone mobile, les gens prennent des photos différemment.
«Ils photographient des détails, plutôt que des paysages. Les personnes photographiées, elles, posent différemment. Le rituel change, car les prises de vue ne coûtent plus rien », rappelle le directeur du Musée de l’Elysée qui signale qu’avec l’apparition des photophones, le nombre de photographe a été multiplié par quatre.
Reste à savoir si cette démocratisation accélérée de la photographie débouche sur de nouvelles formes esthétiques.
Se fondant sur les images reçues via le site tousphotographes.ch, William Ewing assure qu’il y a toujours beaucoup de coucher de soleil.
«Très peu de photos sortent de la norme. Peut-être l’envoi à un musée influence-t-il le choix des photos. En tous cas, les gens sont trop polis. Nous allons peut-être les inciter ultérieurement à sortir des sentiers battus. »
swissinfo, Frédéric Burnand à Lausanne
Le Musée de l’Elysée présente jusqu’au 20 mai l’exposition «Tous photographes ! »
Plusieurs débats accompagnent cette exposition, comme le 18 février avec le journaliste Luc Debraine, le 11 mars avec Jean-François Leroy, directeur du Festival Visa pour l’image de Perpignan, ou le 28 avril avec le photographe britannique Martin Parr.
Le 29 avril se tient une table ronde au musée Olympique de Lausanne avec, entre autre, Luc Debraine, l’un des commissaire de l’expo, William Ewing, directeur du Musée de l’Elysée et commissaire de l’exposition, le photographe Martin Parr et Fred Ritchin, Professeur à New York University et directeur de la maison d’édition PixelPress.
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