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Locarno à l’heure du road-movie

Quand l’écran déborde dans les rues de Locarno! Swissinfo / SRI

Jeudi, le public du festival s'est offert deux films de voyage: «Alla revoluzione sulla due cavalli», de Maurizio Sciarra, et «Die Reise nach Kafiristan», de Donatello et Fosco Dubini. L'un est nostalgique et joyeux, l'autre grave et austère. A votre avis, lequel est suisse?

Vous avez deviné? Bravo. Et pourtant, les Dubini (nés à Zurich et passés par Cologne) tenaient un sujet en or: le voyage effectué en 1939 par l’ethnologue genevoise Ella Maillart et l’écrivaine zurichoise Anne-Marie Schwarzenbach en direction du Kafiristan, une vallée d’Afghanistan qu’elles ne parviendront finalement pas à atteindre.

Deux femmes suisses, et totalement en avance sur leur temps: l’une incroyable aventurière, l’autre artiste, toxicomane et lesbienne avouée. Tout cela sur fond de guerre imminente, et de voyage au travers de magnifiques territoires: Balkans, Turquie, Iran, Afghanistan… Pour un scénariste, que souhaiter de plus?

Sourire proscrit

Mais voilà. Avec les Dubini, on n’est pas là pour rigoler. Entre leurs mains, Ella Maillart (Nina Petri) devient-elle carrée comme un bloc de béton et sèche comme un coup de trique. Et si Anne-Marie Schwarzenbach (Jeanette Hain) garde un charme sulfureux, c’est ponctuel, si possible entre deux phrases parmi les plus cérébrales qu’elle a pu écrire au cours de leur voyage.

La notion même de voyage est tristement épurée: les villes orientales, en principe colorées et grouillantes, sont ici dépeuplées, asséchées. Et les rencontres que font les deux femmes sont suspendues dans le vide, ainsi cette brève relation qu’Anne-Marie noue avec la fille de l’ambassadeur de Turquie à Téhéran, filmée par ailleurs avec une invraisemblable pruderie.

Les paysages sont beaux? Oui, et alors? Même un manchot planté dans un sublime désert de rocaille, ou face à une mosquée éclatante, en rapporterait de belles images.

Sans mettre en doute le fait qu’Ella Maillart ait été austère et Anne-Marie Schwarzenbach torturée, n’étaient-elles que ça? Au point de transformer leur périple en pensum? Il a plu jeudi soir à Locarno, sans doute une vengeance des deux femmes depuis leur petit nuage.

«Deuch’» jaune contre Ford noire

L’après-midi même avait été projeté, en compétition, «Alla revoluzione sulla due cavalli», du réalisateur italien Maurizio Sciarra. L’histoire de Victor, un jeune Portugais émigré à Paris qui, en avril 1974, en compagnie de Claire son ex-compagne, et de Marco, un ami italien, file sur Lisbonne pour tenter d’y vivre en direct la Révolution des Œillets.

Ou comment évoquer un grand événement (un coup d’état sans violence qui mit fin à 48 années de dictature) en racontant de petites choses: le décalage entre l’enthousiasme révolutionnaire «à distance» et la réalité locale, la musique d’alors (merci Clapton), la mythique Deux Chevaux, ou les aléas d’un voyage qui en deviennent finalement l’essence même. Ainsi que la tendresse nostalgique qui réchauffe le cœur de trois adultes, soudain redevenus adolescents.

Bref. Ford noire ou Deux Chevaux jaune, choisissez votre camp.

Bernard Léchot, Locarno

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