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Marianne Faithfull, l’équilibre impossible

Marianne Faithfull a finalement conquis le public de Montreux. MJF

La chanteuse anglaise s’est arrêtée au Montreux Jazz Festival pour y proposer, sous le titre 'Before the Poison’, un survol de sa carrière. Force et faiblesse, alternance de moments de grâce et de longueurs, deux heures de spectacle à l’image d’une vie faite de hauts et de bas.

Idéalement, on l’imagine chanter dans deux types d’endroits: une église, sombre et dépouillée, à peine éclairée de quelques cierges aux flammes vacillantes. On se souvient du magnifique album live «Blazing Away», enregistré dans la Cathédrale Sainte-Anne, à New York.

Ou alors dans un bordel. Mais pas un triste hôtel borgne. Non, un de ces lieux fantasmatiques aux lumières tamisées et aux dorures baroques.

Eglise et bordel. Plongée en soi contre fête des sens. Une fête triste, mélancolique, qui relève davantage de la mémoire que du présent. Il y a de la gueule de bois dans tout cela.

Dans notre tête, deux images se mêlent. D’abord le visage angélique de la jeune artiste née dans le sillage des Rolling Stones, et embarquée dans leurs frasques sulfureuses. Ensuite, celle de la femme mûre, dont le corps fatigué et la voix cassée racontent son parcours chaotique.

Décalage

A Montreux, c’est au Casino que Marianne Faithfull s’est offerte au public. Ni église, ni bordel… Pas de chance.

D’autant plus que désormais, depuis que le Casino a été rénové, on entame immanquablement la soirée par une vue plongeante sur des beaufs et leurs pouliches en train de jouer au bandit manchot ou au poker clignotant. Comme entrée en matière dans l’univers sombre de Marianne Faithfull, on pourrait rêver mieux.

Et puis il faut passer devant des vitrines clinquantes, puis par un ou deux bars à champagne, et côtoyer une faune BCBG à la ‘rock n’roll attitude’ assez discutable…

Décalage toujours avec la première partie: la virtuosité du pianiste Joe Sample (en trio avec le bassiste Jay Anderson et le batteur Adam Nussbaum), rejoint bientôt par la chanteuse Randy Crawford, sa voix souple et lisse. Moment jazzy à la fois parfait et soporifique.

Pause. On rêve alors que Marianne Faithfull déchire tout cela à coup de guitares tranchantes et de spleen aigu. Son dernier album, «Before the Poison», n’est-il pas largement co-signé par PJ Harvey et Nick Drake?

Mise en jambes

Pendant un long moment, ce rêve ne s’incarnera pas. Pourtant la guitare est là, celle de Barry Reynolds en l’occurrence. Et la basse de Fernando Sounders, la batterie survoltée de Courtney Williams, les claviers de Daniel Mintseris et la trompette de Lew Soloff.

Au milieu de ses cinq musiciens, Marianne Faithfull, le visage lourd, les mouvements gauches, ne convainc pas. Voix puissante en permanence, musiciens manquant de cohésion, on a le sentiment que tout le monde peine à prendre ses marques, que ce soit sur scène ou dans la salle.

Entre chaque chanson, plusieurs spectateurs s’éclipsent. On craint le pire. Même la sublime chanson «The Ballad of Lucy Jordan», que chacun attend, ne suscite que des applaudissements polis. «Une chanson pour toutes les femmes qui ont perdu leurs rêves, ou croient les avoir perdus – en fait, ils ne sont jamais perdus, ils dorment seulement», écrivait un jour Marianne Faithfull.

Puis une première pépite va briller: «Last Song» (tirée de son dernier album, chanson signée Damon Albarn), bientôt suivie par le très beau «Times Square» de Barry Reynolds. Auxquels succéderont le «Working Class Hero» de Lennon, dans une version dure et tendue.

Cette fois, on prend conscience que Marianne Faithfull, la vraie, est devant nous. «Strange Weather» (une chanson écrite pour elle par Tom Waits) le confirme, ainsi que «Guilt», poussé vers les étoiles par un solo de trompette débridé.

L’ombre des Stones

Il est temps pour elle d’attaquer le «magic moment», selon ses termes. A savoir «As Tears Go By», sa première chanson, et par ailleurs, la première chanson signée Jagger/Richards qui ait jamais été publiée. Entre la version de 1964 et celle d’aujourd’hui, le tempo s’est ralenti, la voix a chuté de plusieurs tons, la ballade folk et gentiment nostalgique a changé de couleur.

Dans la foulée, Marianne Faithfull enchaîne avec «Sister Morphine», chanson qui figure sur l’album «Sticky Fingers» des Rolling Stones, mais dont elle a signé les paroles. Version longue, étirée, dramatisée par des explosions de batterie et hantée par une trompette dissonante. Moment intense, douloureux.

Et comme Marianne Faithfull aime les clairs-obscurs, c’est avec LA perle de son dernier album, la chanson «Crazy Love» qu’elle conclut sa prestation. Moment libérateur, presque optimiste.

Marianne Faithfull a gagné, le public est debout, elle savoure son succès. Mais décidément, le destin n’aime pas la voir sourire… C’est à ce moment-là que, trébuchant sur un objet posé sur la scène, elle s’effondre de tout son long, face contre terre. Et se relève douloureusement. Puis sort de scène. On imagine son amour-propre blessé.

Inquiétude dans le public. Le concert s’arrêtera-t-il là, sur cette image de la chanteuse à terre? Non… Marianne Faithfull rentre en scène, et campée sur ses talons aiguilles, la cigarette à la main, attaque un «Broken English» musclé et ravageur.

Des bas, des hauts, des bas… Marianne Faithfull, l’équilibre impossible.

swissinfo, Bernard Léchot à Montreux

Le 39e Montreux Jazz Festival a lieu jusqu’au 16 juillet.
Il se décline en une multitude de lieux: le cœur de la manifestation, le Centre des congrès (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), mais aussi le Casino Barrière.
La fête se prolonge en général au ‘Montreux Jazz Café’ ou au ‘Montreux Jazz Club’.
Et c’est sur plusieurs scènes le long des quais que se tient le festival off, gratuit, rebaptisé depuis peu ‘Montreux Jazz Under The Sky’.
Parallèlement aux concerts proprement dits, des concours instrumentaux et des workshops ont lieu chaque année.

– Marianne Faithfull est née en 1946 à Londres. Prise en main à vingt ans par le manager des Rolling Stones, Andrew Loog Odham, Jagger et Richards lui offrent sa première chanson, «As Tears Go By», en 1964.

– Mick Jagger et Marianne Faithfull deviennent LE couple à la mode. Malgré sa notoriété grandissante, l’égérie des ‘swinging sixties’ se brûle les ailes à la folie ambiante.

– La chanson «Sister Morphine» illustre la chose. Rupture, dépression, alcool, drogue.

– En 1979, Marianne Faithfull effectue un retour fracassant avec l’album «Broken English». Puis les albums se succéderont, avec plus ou moins de régularité et d’inspiration. Les derniers venus: «Kissin’ Time» (2002) et «Before the Poison» (2004).

– Marianne Faithfull a déjà chanté au Montreux Jazz Festival en 1995, 1999 et 2002.

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