Marlyse Pietri ou la passion des mots
Le 1er février à Genève, Marlyse Pietri, fondatrice des Editions Zoé en 1975, a passé le témoin de la direction à sa «fille élective» Caroline Coutau. Mais elle continuera à s’occuper du domaine allemand et d'auteurs de langue française qu'elle chaperonne depuis longtemps.
«Notre politique est de publier des auteurs pour qui l’écriture est un engagement total, pour qui les mots sont au centre de leur vie.» Marlyse Pietri-Bachmann a toujours placé la barre très haut, si grande et totale est sa passion pour les livres et l’édition de littérature et d’histoire. Interview.
swissinfo.ch: Vous avez 70 ans, 36 d’édition et 1000 titres au compteur. De quoi vous donner le vertige quand vous regardez en arrière?
Marlyse Pietri: Ah, oui, parce que cela a été une suite d’actions les unes derrière les autres, motivées par une très, très grande passion de l’écrit, du texte et des écrivains. Si bien que cet enchaînement a fini par donner une maison respectée, d’abord ici en Suisse romande, mais surtout là où je voulais arriver, une maison respectée en France. Avec l’apothéose en 2009, lorsque nous avons gagné le Prix Femina étranger avec Matthias Zschokke.
Aucun des grands prix littéraires n’avait jamais été attribué à un éditeur hors Hexagone. On m’avait laissé entendre en France que ce n’était pas possible et, en Suisse, qu’il ne fallait même pas y penser. Alors voilà, c’est la preuve qu’il suffit de croire aux textes, parce que je n’ai jamais développé de stratégie particulière, surtout pas de relations mondaines, jamais.
swissinfo.ch: Au départ, en 1975, vous étiez quatre jeunes historiennes et vous travailliez un peu comme des artisanes?
M.P.: Oui, c’était un vécu en pleine mouvance de Mai 68, c’est-à-dire que nous voulions suivre toutes les étapes du livre, manier des machines, etc. C’était comme l’exercice d’une idée, d’une utopie. Après six ans, les trois autres n’en pouvaient plus, elles en ont eu marre et sont parties de l’association.
J’ai continué d’imprimer moi-même les livres encore pendant quatre ans, puis c’est devenu plus professionnel. A la même époque, Bertil Galland a cessé ses activités d’édition et j’ai commencé à publier davantage de littérature. Puis on s’est lancé dans la diffusion et, aujourd’hui, nous sommes une société de six salariés.
swissinfo.ch: Zoé a surtout créé un pont avec la Suisse allemande en développant les traductions…
M.P.: Oui et dès le départ nous avons lancé notre «collection CH», sans idée préconçue sur la Suisse mais par goût littéraire, par envie de faire connaître la Suisse et ses écrivains. Nous étions aussi attirées par des gens comme Nicolas Meienberg, impliqués dans une réflexion, voire une critique de la Suisse.
A l’époque, la Suisse était faite de plusieurs mondes très peu perméables les uns aux autres. Mais nous, nous n’avons jamais réfléchi en tant que Suisses romandes, une notion qui nous aurait enfermées, d’une certaine façon, et nous nous sommes toujours considérées comme une maison des littératures suisses.
swissinfo.ch: Et puis vous éditez aussi des écrivains non francophones?
M.P.: J’ai commencé en effet en 1992 avec un ou deux livres par an, quand j’ai trouvé un diffuseur en France, ce qui m’a permis d’acheter des droits. J’ai commencé par une Sud-Africaine exilée au Botswana, Bessie Head. Cela a continué et, depuis qu’elle nous a rejoints en 2008, Caroline Coutau a dynamisé le processus, si bien que cela commence à ressembler à une collection.
swissinfo.ch: Vous avez trouvé un diffuseur en France en 1992, cela a-t-il été difficile?
M.P.: C’est très simple: à l’époque, je croyais que j’allais devoir arrêter l’édition, tant c’était démoralisant de publier des livres dont les journaux français ne parlaient pas et qui ne touchaient pas le lectorat de France. J’ai fini par rencontrer des opportunités chez Harmonia Mundi, une maison d’édition de musique qui cherchait à développer un secteur livres, justement avec de petits éditeurs débutants.
Mais le marché français est resté difficile, avec des exigences et une concurrence beaucoup plus importantes que le tout petit marché suisse (1,5 million de Romands contre 70 millions de Français…). Cela m’a donc pris du temps, mais je n’ai jamais défendu autre chose que la littérature, je n’ai pas défendu LA Suisse, elle n’est pas assez exotique!
Ce qui intéresse les Français, ce sont des Chappaz, des Chessex, des Bouvier, des Walser, etc. et, derrière, on peut accrocher d’autres d’auteurs et on peut arriver à quelque chose.
swissinfo.ch: Vous quittez la direction de Zoé mais vous continuez de vous occuper de vos auteurs fétiches comme Jean-Marc Lovay?
M.P.: Oui, j’ai la grande chance de publier Jean-Marc Lovay depuis 1985, après qu’il a quitté Gallimard (qui avait publié ses trois premiers livres) et j’ai un goût effréné de ses livres, de ses phrases pleines d’images, de féerie, d’un esprit incroyablement imaginatif. C’est un auteur réputé difficile, mais je suis convaincue que c’est un auteur exceptionnel.
Avec des qualités d’écriture pareilles, je suis convaincue qu’il faut continuer de défendre ses textes qui sont des grands textes et qui font partie de la littérature du monde, qu’ils aient du succès ou non, ça, ça n’a pas d’importance.
Orbe. Née en 1940 de père zurichois et de mère vaudoise, passe son adolescence à Orbe, dans un milieu protestant très strict.
Voyage. Après des séjours prolongés en Allemagne, en Angleterre, en Californie et au Mexique, retour en Suisse.
Bergier. Après un diplôme de traductrice de l’Ecole d’Interprètes et une licence en histoire à l’Université de Genève, elle engagée par le professeur Jean-François Bergier comme assistante en histoire, de 1969 à 1974, avant de lancer les Editions Zoé en 1975.
1975: création à Carouge (Genève) par, Marlyse Pietri, rejointe l’année suivante par Michèle Fleury-Zurcher, Sabina Engel et Arlette Avidor.
1982: départ de ces trois dernières. Michèle Fleury-Zurcher a ensuite travaillé comme historienne pour le Rapport Bergier sur «La Suisse et la 2e guerre mondiale»; Sabina Engel travaille sur le Fonds photographique Nicolas Bouvier à la Bibliothèque de Genève; Arlette Avidor est restée dans l’édition.
1992: trouve une diffusion en France via Harmonia Mundi.
2009: Prix Femina étranger pour «Maurice à la poule» de Matthias Zschokke.
1er février 2011: Marlyse Pietri, 70 ans, cède la direction à Caroline Coutau mais continue de s’occuper du domaine allemand et d’auteurs de langue française qu’elle publie depuis longtemps.
Caroline Coutau, 44 ans, formée aux Editions Labor et Fides, avant d’être engagée chez Zoé en 2008, prend la direction.
700 titres. Le catalogue compte aujourd’hui 700 titres: romans et récits d’écrivains de Suisse romande et allemande (en traduction), dont Catherine Lovey, Blaise Hoffmann, Michel Layaz, Matthias Zschokke, Robert Walser ou Jean-Marc Lovay. Mais aussi découverte d’écrivains étrangers, des livres de poches et une collection de petits livres au format de cartes postales (79 titres pour connaître la littérature suisse).
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