Massimo Rocchi, le virtuose des mots
Le comique polyglotte italo-bernois vient de recevoir le Prix suisse de la scène. La récompense lui a été remise à Thoune, à l'occasion de la Bourse des spectacles de l'Association artistes-théâtres-promotion (atp). Entretien.
Humoriste, maître de la mimique et de l’expression gestuelle, Massimo Rocchi, se joue des mots comme des barrières linguistiques – on se souvient de son célèbre spectacle «Äuä» en dialecte bernois – et jongle avec les idiomes avec finesse et un grand sens de l’observation.
swissinfo: Vous avez interrompu un voyage en Inde pour recevoir le Prix suisse de la scène. Est-ce une récompense importante à vos yeux?
Massimo Rocchi: C’est un prix très important parce qu’il est juste, suisse et précis. En Suisse allemande, pour dire «recevoir un prix» on utilise l’expression «einen Preis kriegen». Or, «Krieg» est aussi la racine du mot «guerre» et donc, vous pouvez vous imaginer ce qu’il représente! C’est une distinction inattendue, qui me vient de ma patrie, de la terre où je vis et j’espère qu’il récompense mes trente-cinq ans d’activité.
swissinfo: Mais la Suisse vous a déjà honoré plusieurs fois. En 1997, vous remportiez le Prix Walo, deux ans plus tard on vous attribuait le Paul Haupt Preis, en 2005 vous étiez lauréat du Swiss Award et enfin, en 2006, vous décrochiez le Prix suisse du cabaret. Dès lors, quelle importance revêt cette dernière distinction?
M.R.: Je suis un acteur, j’ai suivi la filière de l’art dramatique et mon public aime la scène; ce prix est donc extrêmement important pour moi et je suis conscient qu’il ne s’agit pas d’un cadeau. Jusqu’en 2001, j’ai été membre de la commission qui le décerne et je sais combien on y discute et tergiverse jusqu’au dernier moment, juste avant de voter. Un vote secret, et le résultat est ce qu’il est.
Ce prix m’est attribué par mes collègues, hommes et femmes, par des directeurs de théâtre, et par toutes les personnes qui, dans ce pays, créent un réseau d’opportunités, destiné à celles et ceux qui se lancent dans le spectacle.
swissinfo: Justement, comment a débuté votre carrière théâtrale?
M.R.: J’ai 51 ans aujourd’hui et j’en avais 16 lorsque j’ai débuté sur les planches. Un ami me disait alors «je suis amoureux d’une fille, si tu m’accompagnes au cours de théâtre, lundi, je te passerai mon devoir de chimie».
Et c’est ainsi que j’ai laissé tomber la natation et que je me suis lancé dans l’art dramatique, avec un enthousiasme presque sportif. J’étais très timide et même un peu souffreteux. La scène m’a ouvert les yeux. J’ai vu le regard que les autres posaient sur moi et j’ai commencé à me faire remarquer. Et ça m’a fait beaucoup de bien.
Et ensuite, je suis littéralement tombé amoureux, non pas d’une fille, mais des planches. Je le désirais tellement que je me suis emballé comme une locomotive. La locomotive de Guccini, qui m’a permis de partir pour Bologne, à l’Académie des arts dramatiques et en sciences de la communication.
Ensuite pour Paris, sans penser d’ailleurs un seul instant que je ne parlais pas le français, et que je devais quitter l’Italie. Paris où durant quatre ans, je cherchais le théâtre éperdument, ivre de spectacles que j’étais, de cette passion qui m’emportait. J’étais comme une sorte de Don Quichotte à l’assaut des géants.
swissinfo: A Paris, où vous avez aussi fréquenté les cours de mime d’Etienne Decroux et de Marcel Marceau. Pourtant, on dit de vous que vous jonglez avec le verbe. A quel moment le langage a-t-il pris de l’importance dans votre travail?
M.R.: Ma rencontre avec les mots s’est faite en Suisse, grâce aux dialectes et aux récits. Le Suisse est habité par une grande envie de raconter. Et il raconte beaucoup, peut-être parce qu’il lit davantage que les autres.
swissinfo: Votre père était philologue en langues anciennes. Votre berceau familial n’a-t-il pas aussi influencé quelque peu votre rapport ludique avec les langues?
M.R.: Mon père ne parlait presque jamais à la maison. Lorsqu’il nous adressait la parole, c’était en grec ou en latin. Ainsi, avec mes sœurs, si nous rentrions affamés, il ne nous disait pas «mangez lentement, on dirait que l’on ne vous nourrit pas». Non, il prononçait une phrase en latin, extraite de l’Enéide de Virgile qui signifiait «ils étaient si affamés par leur voyage, qu’ils dévorèrent même la table».
Ou cette autre expression dont il usait souvent: «cave canem», soit «attention au chien», et nous lui répondions, en le taquinant: «pourquoi le chien est à la cave?» Donc oui, je pense que l’on garde en soi une grande part de cet acquis. C’est un peu comme le raisin et le vin. Ils n’ont rien en commun. Qui pourrait imaginer que le vin est le fils de la vigne?
swissinfo: Dans vos spectacles, on sent votre grand sens de l’observation et votre perception du monde qui vous entoure, tout en gardant un certaine distance avec la politique. Quels sont finalement les thèmes que vous privilégiez?
M.R.: La politique occupe une place marginale dans mon travail. J’en parle mais je m’intéresse davantage à notre façon de vivre. J’aimerais faire rire – et je m’y applique – sans toucher aux politiciens.
Je m’intéresse par exemple à l’être humain à table. Des choses m’interpellent aussi, comme la raison qui fait qu’au Tessin on appelle une cigarette une «paille», alors que la paille se trouve sur la «cadrega» (la chaise)! Ou encore, pourquoi «le» météo en Italie, devient «la» météo en Suisse. Pourquoi en Suisse, un magasin de lunettes devient une «brilleria». Mais que sont donc tous ces mots?
swissinfo: Quel rapport entretenez-vous avec le public?
M.R.: C’est le même que celui du poisson avec l’eau. Je ne crains pas le public, il nourrit mon identité professionnelle avec bonheur. Un bonheur parfois plus intense que celui que vous procure l’être humain.
Le public est aussi synonyme de sécurité économique. Si je lui plais, il vient. Si je lui déplais, il me boude. C’est un risque que j’ai accepté de prendre. Mais le public a aussi une dimension immatérielle à mes yeux. Ce ne sont pas des individus, le public je ne le connais pas, mais je le sens. Je le sens même très bien.
swissinfo: Qu’est-ce qui compte pour un humoriste?
M.R.: La première chose qu’il faut oublier, c’est de vouloir faire rire. Celui qui déclare: «je suis comique, je dois faire rire le public ce soir», n’est pas un vrai comique à mes yeux, c’est un conteur de blagues.
Le véritable comique n’a pas conscience de son état. C’est quelqu’un qui prend des risques, qui accepte un bide, une expression française que je trouve magnifique. Le comique propose toujours une opinion C, à mi-chemin entre A et B. Celui qui n’accepte pas l’éventualité d’échouer ne touchera jamais la facette inconnue du public avec l’avis C.
Ceci dit, on ne peut pas définir un humoriste. Disons simplement que lorsqu’il monte sur scène, avant de prendre une première respiration, il sait déjà que le public sourit.
Mais le comique n’est pas fait que de spontanéité; il fonctionne aussi au talent, à la sensibilité ainsi qu’à l’étude de l’information.
swissinfo: Et quelles sont vos deux sources d’informations principales?
M.R.: L’expérience, le Teletext, la radio et Internet, un peu à la façon d’un grand filtre. Il y a une dizaine d’auteurs que je cherche chaque semaine sur la toile. Je suis aussi très attentif aux tenues vestimentaires du présentateur ou de la présentatrice du journal télévisé, ou encore à la manière dont sont présentées les prévisions du temps.
Il faut avoir trois oreilles, comme un comique… et de la chance.
swissinfo, Paola Beltrame, Thoune
Massimo Rocchi est né le 11 mars 1957 à Cesena (I), où il a passé son baccalauréat et vécu ses premières expériences théâtrales. Il poursuit sa formation à l’Académie des arts dramatiques de Bologne, avant de partir pour Paris et suivre les cours d’Etienne Decroux et de l’Ecole internationale de Marcel Marceau.
En 1986, il réalise son spectacle de pantomime «Spiagge Italiane» (plages italiennes). Trois plus tard, il signe «Mammamia», qu’il présentera en Suisse et dans la Péninsule. En 1991, il met en scène «L’oracle dans le désert». Deux ans plus tard c’est au tour de «Massimo & Rocchi» et, en 1994 «Äuä», le spectacle qui le rendra célèbre en Suisse. En 1997, il produit aussi «Je viens de partir» et «Adèle», de même que la version allemande de «Circo Massimo» en 2001, qui sera suivie, deux ans plus tard, d’une adaptation en Schwyzerdütsch.
Entretemps, Massimo Rocchi travaille aussi pour plusieurs chaînes de télévision: en 1991 et 1992 pour le «Costanzo Show»; entre 1992 et 1994 en Espagne avec Raffaella Carrà, dans l’émission «Hola Raffaella»; et entre 1997 et 1999 en Allemagne et en Suisse, pour les émissions «Benissimo» et «Piccobello».
Actuellement, l’Italo-Bernois est en tournée en Suisse avec le spectacle «Circo Massimo».
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