«Mettre le porno au milieu du village»
C'est du moins ce que souhaite Camille Rebetez, dramaturge jurassien, 28 ans, auteur de «Nature morte avec œuf».
Sa pièce, éditée chez Campiche, est présentée à Lausanne puis Genève, dans une mise en scène d’Andrea Novicov
«Transforme petit oiseau mort en dard de guerrier». L’annonce a de quoi épater le plus tenace des impuissants.
Ce n’est pourtant pas une pub pour du Viagra. C’est tout simplement une réplique à découvrir entre les lignes d’une pièce intitulée «Nature morte avec œuf», écrite par le dramaturge jurassien Camille Rebetez (28 ans).
Camouflet
Cette pièce n’a pourtant rien d’un tableau paysagiste. Méfiez-vous de son titre apaisant, car il cache bien des surprises. La pièce est un camouflet. On le dit à l’auteur, qui s’en défend: «Non, avec ‘Nature morte…’, j’ai voulu mettre la pornographie au milieu du village». Mais qu’est-ce que cela signifie? Votre texte c’est plutôt du porno mal léché, lui réplique-t-on. Et là, l’auteur se met à rire. Il est pourtant sérieux, Camille Rebetez.
Il dit: «Ce qui me choque aujourd’hui, c’est qu’on met la pornographie toujours au mauvais endroit. Il est scandaleux de voir, par exemple, le ramdam qu’a suscité, il y a quelque temps, le sein nu de Janet Jackson. On en a fait un événement international, alors que c’est un fait d’une grande banalité. Je suis tout aussi irrité lorsque je vois un journal faire la Une avec les dentelles de Miss Suisse. Et dire qu’on vous vend cela comme de l’info!»
Donc «Nature morte avec œuf» met, primo, «le porno au milieu du village» et, secundo, Camille Rebetez sur la place publique théâtrale. Car il faut dire que cette pièce est le premier texte de Rebetez publié chez un grand éditeur, Campiche, (dans la collection Théâtre en camPoche).
Il est aussi le premier ouvrage du Jurassien monté sur une scène institutionnelle. Après donc sa présentation, dans la mise en scène d’Andrea Novicov, à L’Arsenic, à Lausanne, il sera donné au Poche de Genève du 5 au 25 juin.
Pour ce qui est de la trame, on dira qu’il fallait y songer. Le sexe y est posé avec une lubricité étrange. Jugez plutôt. Evariste, qui se dit impuissant, essaie avec l’aide de Thérèse, une vieille rebouteuse, de guérir sa défaillance sexuelle en engageant une putain bossue dont «l’excroissance dorsale» possède des pouvoirs magiques.
Dire en divertissant…
A partir de cette situation de base saugrenue, l’auteur tire, avec plus ou moins de réussite, les fils d’une histoire foldingue où il s’égare parfois dans des considérations sociales et religieuses à l’ironie laborieuse.
«J’ai voulu éviter tout manichéisme, dit-il. Aujourd’hui, le public ne supporte pas qu’on lui assène des leçons. Dès qu’on affirme quelque chose, on se trouve invalidé par l’opinion des spectateurs. Je ne recherche pas la noirceur. On peut estimer que le monde va mal, mais le dire en divertissant, ce qui est parfois très efficace, et c’est mon but».
Camille Rebetez remarque que depuis le début du XXIe siècle les jeunes dramaturges suisses ont davantage leur place sur les scènes helvétiques.
«J’ai l’impression, avoue-t-il, que l’arrivée de Blocher au Conseil Fédéral a déclenché des talents. Elle a aiguisé la volonté de dire ouvertement ce qui dérange dans notre société.» (Christoph Blocher, ministre de Justice et Police, UDC, droite dure, NDLR).
«Ma prochaine pièce, ajoute-t-il, portera sur le problème de l’immigration et de l’asile politique. C’est un problème suisse, mais c’est aussi un problème international. Et je pense qu’un auteur, s’il veut exister, doit savoir faire le lien entre le local et l’universel.»
swissinfo, Ghania Adamo
Camille Rebetez est Né à Saignelégier en 1977. Etudes d’écriture dramatique de 2001 à 2003 à l’UQÀM (Université du Québec à Montréal).
Lorsqu’il revient de Montréal en 2003, il s’établit à Porrentruy (Jura).
Il y fonde le Théâtre Extrapol avec de jeunes professionnels jurassiens. Auteur associé de la compagnie, il écrit le textes des deux spectacles créés à ce jour, Comme un quartier de mandarine sur le point d’éclater, avec pour cadre les anciens fours à chaux de St-Ursanne en 2004, et Guten Tag, ich heisse Hans.
Il écrit parallèlement Nature morte avec Œuf lors de l’opération Textes en Scènes en 2004. Depuis 2005, il enseigne également le théâtre à l’Ecole de Culture Générale à Delémont.
«Nature morte avec œuf» de Camille Rebetez.
Mise en scène Andrea Novicov /Cie Angledange (CH)
Avec: Jean-Jacques Chep, Vincent Fontannaz, Anne-Catherine Savoy, Sylviane Tille
Après Lausanne (Théâtre de l’Arsenic), ce spectacle est à voir à Genève, Théâtre Le Poche, du 5 au 25 juin.
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