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Montreux, du club jazz à la discothèque géante de Seal

Seal ou la force tranquille. MJF - Lionel Flusin

Seal était la star de l'Auditorium Stravinsky, vendredi soir à Montreux. Soul and dance au programme. Il était précédé par le jeune premier Peter Cincotti et l'étonnante Melody Gardot.

Joyeux melting-pot, vendredi soir à Montreux. Alors que la légende Jeff Beck chauffe à blanc – imagine-t-on, car on n’a pas le don d’ubiquité – le Miles Davis Hall, l’Auditorium passe par toutes les géographies musicales possibles. Club de jazz. Salle de concert. Discothèque géante.

Cela grâce – ou à cause – d’une succession d’artistes qui n’ont pas grand-chose en commun, sinon le fait de puiser dans l’océan de la musique américaine – jazz, blues, soul, pour se les approprier et en tirer leur propre recette.

Belle surprise pour commencer avec Melody Gardot, chanteuse en provenance de Philadelphie, dont c’est le deuxième passage à Montreux.

Une femme fracassée par un accident de la circulation à l’âge de 19 ans, et que sa longue convalescence n’a fait que pousser un peu plus vers la musique. Pianiste, elle deviendra également guitariste, et écrira ses chansons depuis son lit d’hôpital…

Je t’aime aussi

Elle ouvre son set par une mélodie bluesy, a capella, car le jazz vient de là, dit-elle, de cet «endroit de la douleur». Puis, accompagnée de cinq musiciens (basse, batterie, vibraphone, saxophone, trompette), elle va dérouler pendant une bonne heure un tapis de soft jazz moelleux, que découpe sa superbe voix.

Alternance de reprises («Ain’t No Sunshine» ou «Somewhere Over The Raibow», qui figure sur son nouvel album) et de compositions personnelles imprégnées d’un jazz hors du temps («Our Love is Easy»).

Pleine d’humour, à la fois très star dans sa dégaine (lunettes noires et cheveux blonds platine) et très anti-star dans son attitude, c’est sur un délicat «Je t’aime aussi» qu’elle quittera la scène, pour répondre au public qui ne veut pas la lâcher…

Autre registre avec le new yorkais Peter Cincotti, né en 1983, et dont le premier passage au Montreux Jazz Festival remonte à ses… 17 ans!

And the winner is…

Cette année-là, il avait remporté la compétition internationale de piano qu’organise le festival. Et depuis, est devenu un fidèle, comme il le dit lui-même sur scène: «Ensuite, je suis passé par chaque scène, à chaque fois un peu plus grande… et ce soir, je suis là!», s’enthousiasme-t-il, découvrant avec bonheur l’Auditorium Stravinsky côté scène pour la première fois. Et de remercier Claude Nobs pour la constance de son soutien.

Peter Cincotti vient de boucler la tournée américaine de Seal, dont il assurait la première partie. Comment décrire le personnage? Vous voyez Tom Cruise? Le côté jeune premier dynamique, propre sur lui, dents hollywoodiennes et sourire complice? Et bien c’est un peu cela… Peter Cincotti, manifestement, a tout compris de ce qui signifie le mot «entertainer». Charme, humour, familiarité amicale avec le public, il pourrait tout aussi bien être animateur de télévision.

Sauf qu’il joue du piano comme un petit génie. Mais on regrette souvent que le formidable instrumentiste se cache un peu trop derrière des compositions aux ficelles variété parfois envahissantes. Qu’il soit dans le registre du rock shuffle («Be Careful») ou de la tendre ballade («Cinderella Beautiful»), c’est un peu comme si Elton John se cachait dans son piano et ses mélodies.

Tom Cruise qui chante Elton John, voilà qui va agacer les aficionados de Peter Cincotti. Mais allons, ce ne sont que des images!

Seal soul?

Depuis son dernier album, constitué de reprises, Seal vit à l’heure soul. A Montreux, il attaque son spectacle par «Papa’s Got A Brand New Bag» (James Brown, 1965), qui ne figure pas sur l’album «Soul», puis enchaîne les titres de ce disque qui se veut un hymne aux black sixties/seventies: coup sur coup, «It’s A Man’s Man’s Man’s World» (James Brown, 1966), «I Can’t Stand The Rain» (Ann Peeble, 1973), «A Change Is Gonna Come» (Sam Cooke, 1964)…

Interprétations très proches des versions de l’album. C’est-à-dire belles et lisses à la fois. Ce qui enchante les uns et peut énerver les autres: le mythique Apollo Theater de Harlem, sa fureur, est en effet très loin.

Seal ne cherche pas à imiter les figures géantes de la soul, mais adapte leurs chansons à son flegme plutôt classieux, comme aurait dit Gainsbourg. Malgré tout, au bout d’un moment, on aimerait que Seal le majestueux se laisse aller au rugissement, à l’explosion. Mais chez lui, tout est toujours sous contrôle. Même sur «I’ve Been Loving You Too Long», traversé dans ma tête par les hurlements d’Otis Redding.

Etonnamment d’ailleurs, il ne fait aucune référence aux géants dont il reprend les standards. Pas un mot. Les chansons des autres sont placées dans son répertoire au même titre que les siennes, point à la ligne. Bizarre, non?

Quoi qu’il en soit, la mécanique du show Seal tourne bien, évidemment. Section de cuivres exclusivement féminine (pour contredire le «It’s a Man’s World Man’s World Man’s World» du Godfather of Soul?), guitare, batterie, et un bassiste qui assure également les claviers, tout en lançant les – nombreuses – programmations.

Seal, charmeur, dialogue avec le public en anglais, en français, même en allemand…

Et progressivement, le spectacle va se métamorphoser, ses propres chansons prenant le pas sur celles de ses maîtres. Avec «My Vision» et le très binaire «Right Life», Seal secoue sérieusement son public. Avec l’incontournable «Kiss From A Rose», il l’attendrit. Avec «Future Love Paradise» puis «Crazy», il transforme carrément l’Auditorium Stravinsky en dancefloor géant.

Mais dans l’attente des rappels, ils sont nombreux à déjà quitter la salle. Un truc qui ne devait pas arriver souvent à l’Apollo, dans les années soixante…

Bernard Léchot, Montreux, swissinfo.ch

Compliqué. Seal, de son vrai nom Seal Henry Olusegun Olumide Adelo Samuel, est né en 1963 à Londres, d’un père nigérian et d’une mère brésilienne, qui ne l’élèveront pas.

Architecture. Ebauche d’études d’architecture, petits boulots, musique dans les clubs, avec notamment le groupe «Push».

Crazy. Les chansons «Killer» (enregistré avec le groupe «Adamski») puis «Crazy» seront ses premiers succès, titres qui figurent sur son premier album «Seal» (1991).

Batman. Seal II (1994) comportera le tube «Kiss From A Rose», qui sera intégré à la BO de «Batman Forever».

Mylène. Suivront plusieurs albums, qui ne connaîtront pas tous le succès. A noter en 2001 un duo avec la chanteuse française Mylène Farmer, «Les mots».

Soul. En 2009, Seal publie l’album «Soul», qui reprend des standards de la soul music américaine.

Obama. Gros succès. Le titre «A Change is Gonna Come» (à l’origine interprété par Sam Cooke) est utilisé lors de la campagne présidentielle de Barack Obama.

Heidi. Seal est marié depuis 2005 avec le mannequin Heidi Klum.

Cicatrices. Les cicatrices qui marquent le visage de Seal ne sont pas dues à quelque scarification rituelle comme d’aucuns l’imaginaient, mais à une maladie cutanée.

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