Quand intégration rime avec humour
Avec son fort accent et ses tenues tape-à-l’œil, il joue sur les clichés attribués à la communauté turque. Ses chansons traitent de politique, de migration et d’intégration. Derrière le personnage de Müslüm se cache Semih Yavsaner, qui a reçu en 2013 un prix pour l’intégration. Provocateur sur scène, en privé ce fils d’immigrés est une personne réfléchie et modeste. Rencontre.
L’homme, qui a choisi le Café Kairo dans un quartier alternatif de la ville de Berne comme lieu de rencontre, ne passe pas inaperçu, même sans déguisement: il est grand et maigre, a le teint mat et des cheveux bouclés. Pas question de le photographier en simple citoyen. Seules des images de MüslümLien externe, son personnage, existent et elles sont toujours semblables: faux sourcils et moustache, costumes colorés, chemises à fleurs et un air renfrogné. Lorsque Semih Yavsaner s’exprime, il n’a rien de l’éclatant Müslüm. L’homme de 36 ans parle avec une voix basse et sans accent.
Müslüm est bien différent: dans un allemand égratigné, il dit tout ce qui lui passe par la tête sans ménagement. Le fait que Müslüm soit perçu comme un personnage comique ne heurte pas Semih Yavsaner. Il estime avoir réussi à toucher les gens en plein cœur. «Être pris au sérieux ne m’apporterait rien si je ne pouvais pas transmettre des émotions.»
Il ne craint pas non plus que le très caricatural «Müslüm» soit accusé de racisme ou de discrimination. Ses intentions sont claires: «Mon personnage est construit sur des clichés pour accrocher le public.» Jusqu’à présent, il n’a pas eu de réactions négatives, même pas du côté de la communauté turque.
Müslüm est effronté, Semih discret
Müslüm et Semih: deux hommes qui ne pourraient pas être plus différents. Alors que Müslüm a déjà sauté sur un journaliste au cours d’une interview télévisée, Semih Yavsaner est plutôt discret et réservé. Müslüm a confiance en lui et n’a pas honte d’être différent. Semih Yavsaner, lui, a souffert de grandir en Suisse en tant que fils de travailleur immigré. Il avait le sentiment de devoir fournir plus d’efforts que les autres pour réussir.
Fils d’un concierge et d’une employée des services de soins à domicile, Semih Yavsaner est né et a grandi à Berne. A l’adolescence, il a mené la vie dure à ses parents et a dû changer cinq fois d’école en raison de son comportement inapproprié. Aujourd’hui, ses parents sont toutefois fiers de lui et de ses nombreuses activités.
Célèbre grâce à des blagues téléphoniques
Semih Yavsaner est un artiste polyvalent: il est musicien, chanteur, danseur, humoriste, comédien, interprète, acteur au cinéma comme au théâtre. Après avoir suivi une formation commerciale, il a lancé sa propre émission humoristique pour la chaîne alternative Radio BernLien externe. Il s’y est fait connaître grâce à des blagues téléphoniques. C’est ainsi qu’est né le personnage de Müslüm, grâce auquel Semih Yavsaner est devenu musicien et comique. Ses chansons se sont hissées au sommet du hit-parade suisse. A partir du 1er avril, son spectacle humoristiqueLien externe sera diffusé à la télévision suisse alémanique.
Il a fait ses premiers pas au cinéma en 2013 grâce au film allemand «300 Worte Deutsch». Il y joue un Suisse d’origine turc qui déménage à Cologne. Actuellement, il joue dans la pièce de théâtre «Hotel Cosmos» avec la metteure en scène Meret Matter. Il y incarne un réceptionniste d’un pays du sud, qui cultive les préjugés sur les clients. La pièce constitue une métaphore de la situation actuelle de l’Europe, comme l’explique Semih Yavsaner: «C’est un éternel recommencement. Des tensions se créent lorsque différentes cultures se croisent.»
Etranger dans sa propre culture
Bien que toutes ces activités soient très différentes, elles ont un point commun: la question des «étrangers» est toujours centrale. Un thème qui se veut le fil rouge de la vie de Semih Yavsaner. L’artiste se sent suisse, même sans avoir le passeport rouge à croix blanche. «Je ne vais pas laisser un bout de papier définir mon identité.»
Semih Yavsaner s’est aussi engagé contre l’initiative pour le renvoi des criminels étrangers, lancée par l’Union démocratique du Centre (UDC, droite conservatrice) et approuvée en 2010 par le peuple suisse. Il a été choqué par les affiches qui représentaient un mouton noir chassé de la Suisse par les moutons blancs. C’est pourquoi il a décidé de composer une chanson sur un père NoëlLien externe qui ramène tous les moutons noirs à la frontière. «Nous sommes assis dans le même traîneau et si tu tombes, je vais te rattraper», chante-t-il.
En 2013, Semih Yavsaner a reçu le Prix pour l’Intégration des populations migrantesLien externe de la Ville de Berne, qui récompense son engagement. Les autorités ont salué la capacité de l’artiste à thématiser les questions de migration et d’intégration par le biais d’une nouvelle approche, la comédie: «Semih Yavsaner pourrait avoir une influence plus importante dans certains milieux qu’une campagne traditionelle.» Müslüm a réussi à démontrer comme personne d’autre que l’intégration n‘est pas toujours quelque chose de contraignant, et peut même être agréable.
(Traduction de l’allemand: Katy Romy)
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