Omar Porras, l’exil mélodieux
Metteur en scène de renommée internationale, Omar Porras fête les 20 ans de sa compagnie. A cette occasion, le Suisso-Colombien présente «Bolivar, fragments d’un rêve». En toile de fond, une double histoire d’indépendance, celle de son pays et celle de son art.
Un délire à deux, mais un délire canalisé par une intelligence créatrice. D’un côté, donc, Simon Bolivar, dit El Libertador, né à Caracas (Venezuela) en 1783, mort à Santa Marta (Colombie) en 1830, révolutionnaire assoiffé de femmes, de poésie et d’absolu, général néanmoins inflexible, grande figure de l’indépendance des colonies espagnoles d’Amérique du Sud.
De l’autre, Omar Porras, né en Colombie il y a 47 ans, metteur en scène et comédien, établi à Genève où il a fondé, en 1990, le Teatro Malandro, compagnie aux couleurs non locales, hantée par les démons de Shakespeare, bercée par la musique des Caraïbes et portée par le narcissisme ludique de son fondateur.
Porras/Bolivar: deux en un
Dans «Bolivar, fragments d’un rêve», Omar Porras joue Bolivar, mais aussi le rôle du metteur en scène qu’il est. Deux en un, comme on dit dans la pub. Mais qui est qui? Cette question, on se la pose tout au long du spectacle, lequel évite au public toute réponse tranchée. Porras/Bolivar: surimpression astucieuse des deux personnages. Et tant pis pour la modestie qui n’a jamais été le propre d’Omar, mais qui a sorti le théâtre romand de sa discrétion et lui a offert une magnifique vitrine dans le monde.
De cela, Porras est conscient et sans doute fier. Son Teatro Malandro – qui fête donc cette année son 20e anniversaire, comme l’Amérique latine ses 200 ans de libération – se distingue sur les scènes d’Europe, d’Asie et d’Amérique. Il brille de mille feux d’artifice (au sens propre), ne craignant ni le clinquant des lumières stroboscopiques, ni le mariage kitsch des esthétiques.
Culture populaire (Commedia dell’arte, masques, dessins animés…) et culture classique se mêlent dans les spectacles de Porras avec une aisance et une audace qui firent pâlir plus d’un lorsque le Colombien fit son apparition sur la scène genevoise.
C’était au début des années 90. Il créait alors «La Visite de la vieille dame» dans une salle alternative et offrait un sérieux lifting à la célèbre pièce de Dürrenmatt.
Alors, aujourd’hui, quand il dit, parlant sur scène au nom de Bolivar: «J’ai combattu la méfiance des uns et l’indolence des autres», on sourit. Porras/Bolivar, même combat, l’un pour une vision esthétique, l’autre pour un idéal politique. L’un arrachant le public romand à sa somnolence, l’autre les peuples latino à leur obéissance.
Mille morts et renaissances
La vie d’un exilé est faite de mille combats, de mille morts et renaissances. C’est la vie de Bolivar, issu d’une grande famille d’origine espagnole établie au Venezuela. Très jeune, il parcourt l’Europe, s’imprègne de ses idées révolutionnaires, trébuche sur ses erreurs et recommence.
C’est aussi, dans une autre dimension, la vie de Porras. Lequel pose cette question dans une note d’intention: «Qui est mon père? Le mien… celui de l’acteur (…) qui s’est éloigné de ses parents et de ses origines (…), qui a adopté comme famille (…) une troupe itinérante de théâtre. ( …) Je pense à l’héritage que nous avons, nous les Bolivariens, (…) d’une histoire que nous n’avons pas encore démêlée, et que sans doute nous n’avons pas encore oubliée».
Place donc à la mémoire. Mais une mémoire fragmentée, où l’Histoire se raconte par flashs impressionnistes. C’est ainsi que l’a voulue le poète colombien William Ospina qui, à la demande d’Omar Porras, a écrit le texte du spectacle. Une mémoire délirante aussi, comme enflammée par une fièvre intérieure qui consume aussi bien Bolivar que son interprète.
Chant de la servitude et de la vaillance
Aux côtés de Porras, dix acteurs colombiens jouent, dansent et chantent l’histoire d’une indépendance où les personnages semblent vivre constamment au bord d’un précipice. Ouverture et fermeture du spectacle sur le tremblement de terre de Caracas, en 1812. Des caisses en bois, empilées sur scène comme dans un grenier, forment une paroi sur laquelle se dessine la carte de l’Amérique latine.
La terre qui gronde déséquilibre les caisses et fissure la carte. La vie de Bolivar se glisse dans les failles d’un continent par moments hostile aux idées révolutionnaires, hésitant entre forces royalistes et républicaines. L’écho ramène de loin la voix des personnages dont les pas s’étouffent sur un sol en terreau.
Ce qui s’entend avec force, c’est le chant. Chant de la servitude, chant de la vaillance. Superbe musique colombienne des llaneros et vallenatos. L’histoire de l’Amérique latine est une ardente et douce mélodie qui berce les rêves de peuples en quête de liberté, encore aujourd’hui.
«Bolivar, fragments d’un rêve», d’après William Ospina. Mise en scène Omar Porras. Avec notamment : Omar Porras, Carlos Gutierrez, Juanita Delgado, Zoraida Rojas, Erick Bongcam…
A voir en Suisse:
Théâtre Forum Meyrin, Genève, jusqu’au 10 octobre.
Théâtre du Crochetan, Monthey, du 17 au 20 novembre.
Tournée à l’étranger:
Chambéry (France): 14 et 15 octobre
Annecy (France): du 19 au 21 octobre
Guanajuato (Mexique): du 28 au 30 octobre
Villefontaine (France): 9 et 10 novembre
Nantes (France): du 17 au 20 novembre
Shizuoka (Japon), SPAC Festival, été 2011
Né à Bogota (Colombie) il y a 47 ans, metteur en scène et acteur suisso-colombien.
Il se forme à la danse et au théâtre en Amérique latine et en Europe.
C’est en 1990 qu’il fonde à Genève le Teatro Malandro, centre de création, de formation et de recherche.
Sa technique mêle la danse et la musique, l’art de l’acteur et de la marionnette.
Dès ses débuts, il se tourne vers les grands textes en mettant en scène aussi bien les auteurs du passé (Euripide, Shakespeare…) que les écrivains contemporains (Dürrenmatt, Brecht…).
Ses spectacles sont présentés sur les plus grandes scènes européennes et dans de nombreux festivals, en Europe, en Asie, comme en Amérique latine.
Ils sont marqués par une double culture, sud-américaine et européenne.
Entouré de comédiens qui jouent masqués la plupart du temps, il explore les grands mythes de la littérature universelle, comme les Bacchantes, Don Quichotte, Faust ou Don Juan.
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