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«On écoutait déjà ça en 68»

Sly, (au centre) quand elle chantait encore avec Mary's Private Eyes: «la musique, c'est un peu comme cuisiner, mélanger les goûts». swissinfo.ch

1968 – 2008: swissinfo revient pour la bonne bouche sur l'héritage de la période. Héritage musical cette fois, avec le portrait de deux jeunes talents suisses marqués - comme tant d'autres - par une culture qui n'est «pas de leur âge».

Beatles, Rolling Stones, Doors, Led Zeppelin, Jimi Hendrix, Deep Purple, David Bowie, Bob Dylan… quand on lui demande la liste de ses coups de cœur musicaux, Sly commence par citer tout ce qui aurait pu constituer la discothèque de ses parents.

… enfin, «aurait pu», parce que dans cette famille de l’Oberland bernois, où l’oncle joue du cor des Alpes, on n’est pas franchement rock n’roll. «Les vaches, les cochons et le folklore, c’est super quand tu es gamine, explique cette blonde longiligne au look plutôt baba cool. Mais quand tu arrives à l’adolescence, tu cherches autre chose».

Fuyant sa vallée natale et ses copains chevelus qui s’éclatent à la bière en secouant leurs crinières sur des gros riffs de hard, Sly arrive à Londres à 17 ans. Pour le rock et ses vibrations, son côté sauvage, torturé et authentique. Et tant pis si elle ne comprend pas l’anglais: cette musique fait résonner quelque chose en elle.

«C’était comme débarquer sur une autre planète, pour moi qui n’avais jamais vu un concert de ma vie, se souvient-elle. Tu dois apprendre la langue, lutter beaucoup aussi. Ça avait un côté effrayant, mais tout d’un coup, je me suis sentie vivante».

«Une scène de fous»

Reste que musicalement, la couleur de cette fin des années 80 n’est pas vraiment sa tasse de thé. Qu’importe: à côté du courant dominant, il y a aussi «une scène de fous», mais «extra cool». Et c’est là que Sly – après quelques cours de piano classique – va faire ses premières armes.

«Je n’ai jamais appris à chanter, admet-elle. Mais les Beatles ou Led Zep non plus, ils construisaient simplement leur musique ensemble. Quand tu écoutes les disques aujourd’hui, il y a des fausses notes, parfois le tempo ralentit, mais au moins, c’est vivant, pas formaté comme aujourd’hui».

«La musique des années 60-70, c’est vraiment le début de la musique populaire, poursuit Sly. Tous ces groupes ont puisé dans les influences blues, jazz, soul… Et aujourd’hui encore, on peut choisir ses influences, prendre ce qu’on veut. C’est un peu comme dans le classique, pratiquement tout a été fait, tout ce que tu peux faire, c’est apporter de nouvelles combinaisons. La musique, c’est un peu comme cuisiner, mélanger les goûts».

Une formule rôdée depuis son retour d’Angleterre sur les scènes romandes, où elle était encore récemment la voix de Mary’s Private Eyes, combo à la devise aussi directe que la musique: «rock n’roll is back».

Après deux ans de tournées «et de folie», Sly a toutefois choisi de quitter le groupe pour poursuivre un projet solo. Mais toujours rock… voire punk cette fois-ci.

«Du gros funk de série TV»

Là où la chanteuse dégage cette impression brute de décoffrage, Raphaël Noir apparaît lui comme son exact opposé. Avec son élégance un peu surannée de dandy british, le clavier lausannois est la parfaite image de l’intello décalé, qui consacre son mémoire de fins d’études au rock et à la littérature.

Curieux de toutes les musiques, il a brûlé les planches dès l’adolescence avec Pancake, un groupe «sapé comme Starsky et Hutch» qui jouait «du gros funk de série TV». Depuis, la bande de copains s’est rebaptisée Climax et elle fait «du rock garage, avec racines à la fois sixties et rock progressiste, qui mélange les synthés et les guitares sauvages».

Ces excentricités mises à part, Raphaël Noir est aussi le clavier de Jérémie Kisling, il joue et compose pour K, Lole ou Marc Aymon et ces collaborations l’ont amené sur des scènes prestigieuses comme l’Olympia, les Francofolies, Montreux ou le Paléo.

Véritable encyclopédie de l’histoire de la musique populaire, ce sont les rock critiques français découverts en préparant son mémoire qui l’ont amené à remonter de plus en plus loin dans le temps jusqu’aux années 60.

Comme Sly, il est partisan des métissages musicaux et comme elle, il est persuadé que les ingrédients de base ne changent pas. Sa métaphore gastronomique à lui, c’est la cuisine moléculaire, «où l’on mélange des choses qu’on avait pas pensé à mettre ensemble avant».

Toujours rebelles

Et la révolte ? Fait-elle toujours partie de la culture rock ? A cette question, Raphaël Noir répond par une autre: «le rock, à l’époque, c’était de la contre-culture. L’ennemi, on le voyait bien, c’était les traditions, les institutions. Aujourd’hui, c’est qui l’ennemi ?»

«Mais après tout, on s’en fiche», poursuit le jeune homme. Le rocker d’aujourd’hui n’a plus la prétention de changer ni de sauver le monde, mais juste «de pouvoir encore créer un peu de rêve, d’espoir de sourires autour de nous, sans vouloir faire du tout grand, ‘just act locally’».

Raphaël Noir n’en est pas moins conscient des grands problèmes du temps. Dans le dernier album de Pierre Lautomne, auquel il a collaboré, les chansons traitent d’écologie, d’immigration, d’intégration et d’exclusion. Des thèmes qui parlent particulièrement à Raphaël Noir, par ailleurs enseignant de français pour les élèves non francophones de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne.

Le «act locally» Sly le met aussi en pratique à sa manière. «Je n’ai ni voiture ni télévision, explique la jeune femme. J’ai trouvé une autre façon de vivre. Il m’arrive même d’aller faire du ‘busking’ [la manche] dans la rue avec ma gratte. Pour moi, c’est ça la rébellion. Et pas les parties, ni les drogues».

swissinfo, Marc-André Miserez

Si le terme «soixante-huitard» est passé dans le langage (question de sonorité, essayez donc avec 66, 69, ou 71…), le «mouvement» ne commence pas le 1er janvier 68 pour s’arrêter le 31 décembre.

Il n’empêche: l’année 1968 est particulièrement riche, et ses échos résonnent parfois encore dans le monde d’aujourd’hui.

Quand les étudiants parisiens descendent dans la rue au mois de mai, leurs camarades de Dakar, de Berlin, de Tokyo, de Rome, de Chicago, de Mexico, ou de Prague les ont déjà précédés ou vont les suivre. Et la répression là-bas sera parfois bien plus dure qu’ici.

Aux Etats-Unis, Martin Luther King et Robert Kennedy tombent à quelques semaines d’intervalle sous les balles des assassins. Même si cette année voit la mise sous toit définitive de la loi sur les droits civiques, il faudra encore bien des poings gantés de noir – comme ceux de Smith et de Carlos aux Jeux de Mexico – pour que l’idée d’égalité entre dans les esprits.
En 1968, Barack Obama n’est qu’un petit garçon de sept ans.

On ne parle pas encore de réchauffement global, mais une sécheresse sans précédent ravage le Sahel. Les vingt années suivantes ne seront guère meilleures, jetant sur les routes des millions de réfugiés de la faim. Et c’est en 1968 que le Royaume-Uni, puis la France, prennent leurs premières mesures pour limiter l’immigration.

Le 24 août explose la première bombe H française (170 fois Hiroshima) et à Noël, les trois astronautes d’Apollo 8 sont les premiers hommes à survoler la face cachée de la Lune.

Tandis que la jeunesse prône la liberté des mœurs, au Vatican, le pape Paul VI réaffirme en juillet, dans son encyclique Humanae vitae, l’indissociabilité du mariage et la condamnation de l’avortement et de la contraception artificielle.

1968, c’est aussi l’album blanc des Beatles, Beggars’ Banquet des Rolling Stones, Electric Ladyland de Jimi Hendrix, Crown of Creation de Jefferson Airplance, le premier Led Zeppelin, le deuxième Pink Floyd, les duos Gainsbourg-Bardot ou le Comme d’habitude de Claude François, qui deviendra My Way en passant l’Atlantique.

Au cinéma, c’est l’année de 2001, l’odyssée de l’espace de Kubrick et à la télévision, celle des Shadoks de Piéplu.

1968 est aussi la date de naissance de Pierre Palmade, Céline Dion, Kylie Minogue, Will Smith, Monica Bellucci ou Carla Bruni (future Sarkozy).

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