«Ondine» ouvre une semaine fantastique à Neuchâtel
Le Festival International du film fantastique de Neuchâtel s’est ouvert dimanche soir par la projection de «Ondine», du réalisateur irlandais Neil Jordan. Rencontre avec la directrice artistique Anaïs Emery pour évoquer cette 10ème édition du «NIFFF».
Ondine… depuis 1974, cette figure de la mythologie germanique a un visage: celui de la très jeune Isabelle Adjani, qui avait marqué ad aeternam ceux qui l’avaient vu interpréter le personnage de Jean Giraudoux à la Comédie-Française, ou dans sa déclinaison télévisée.
Un peu moins de quarante ans plus tard, une ondine revient, sur grand écran cette fois-ci, dans un film du très irlandais Neil Jordan. Une ondine belle et blonde (Alicja Bachleda), qui se fait prendre dans les filets du pêcheur Syracuse (Colin Farrell), dans une Irlande verte et marine.
Mais alors que Giraudoux nous embarquait dans une histoire atemporelle, usant du merveilleux, de la féérie, pour amener à une interrogation sur la relation amoureuse entre un homme et une – presque – femme, Neil Jordan use de la mythologie celtique (en fait d’ondine, c’est d’une «Selkie» qu’on parle dans ce film, une femme-phoque issue de la légende écossaise) pour amener une part de rêve dans une réalité sociale dure et contemporaine.
Un film fantastique? Non, sans doute pas. Et pourtant, un long moment, on peut croire à l’irruption du surnaturel, on est tenté en tout cas…
swissinfo.ch: Comment choisit-on un film d’ouverture? S’agit-il de faire un choix tout public, pour faire plaisir à ceux qui ne viennent qu’à l’ouverture, comme certains officiels?
Anaïs Emery: Un film d’ouverture est un film très spécial, parce qu’effectivement, cela doit être un film abordable, pas nécessairement par le grand public, mais par toutes sortes de cinéphiles différents. Il donne un peu sa couleur au festival. Et c’est un film qu’on choisit sur un coup de cœur. Là, avec «Ondine», on a trouvé un long métrage qui remplit ces deux conditions. Un film romantique qui aborde des questions de tradition celtique, et qui joue avec pas mal de subtilité sur la frontière entre réalité et le fantastique.
swissinfo.ch: Quel est votre état d’esprit au lancement de cette dixième édition?
A.E.: Les choses ont changé en dix ans. On est passé d’une époque où on cherchait à exister à tout prix à une époque où on défend un programme. Et cette année, par rapport à nos idéaux, nos ambitions, on a vraiment un programme qui nous satisfait.
swissinfo.ch: A cause d’un effort particulier ou parce qu’une certaine vitesse de croisière a été atteinte?
A.E.: Plusieurs choses se mêlent. Il y a l’incroyable vitalité du fantastique en ce moment, la qualité des œuvres sur le marché. Et ça c’est quelque chose sur quoi on n’a pas d’influence: c’est comme les vins, il y a des années meilleures que d’autres.
Et puis effectivement, le fait que le festival commence à trouver un rythme de croisière nous permet de travailler à long-terme, d’où des programmes spéciaux de qualité, grâce à des recherches qu’on a pu adapter aux transformations du monde cinématographique, qui change beaucoup en ce moment.
Beaucoup de pays émergents proposent des films, alors que ce n’était pas le cas avant. Il faut donc organiser des recherches dans le monde entier, être à l’écoute. Et puis le fantastique est passé de la marge à, non pas une dominance, mais une omniprésence, dans toutes les cinématographies. On a donc beaucoup plus de films à regarder, à évaluer.
swissinfo.ch: Après l’ajout des projections en plein air, il y a une salle de plus cette année, la cinquième… le petit festival n’en finit pas de grandir?
A.E.: Cela nous permet d’aérer un peu la programmation: l’année passée, nous avons atteint un taux de remplissage de 85%, ce qui n’est pas forcément agréable pour le public. Et puis nous avons étayé notre programmation avec des projections spéciales liées à l’actualité mondiale…
On n’a pas forcément des rêves fous par rapport au volume du festival. Mais il faut qu’on évolue encore un peu; disons qu’idéalement, il faudrait que dans dix ans, on puisse atteindre 30 à 35.000 spectateurs, alors qu’actuellement on est à 23.000.
On a besoin de s’agrandir à cause de notre programmation, mais aussi parce qu’autour du cinéma, nous proposons de plus en plus d’événements multimédia: le symposium sur les nouvelles technologies de l’image, des conférences, et on s’intéresse de plus en plus à tout ce qui concerne les différents métiers impliqués dans la production fantastique. Il y aura donc peut-être, à terme, une 6ème salle.
swissinfo.ch: Vous développez effectivement une dimension interdisciplinaire avec le symposium «Imagine The Future», et en collaborant avec d’autres institutions régionales, comme le Centre d’Art Contemporain de Neuchâtel ou la Maison d’ailleurs à Yverdon-les-Bains…
A.E.: On a réussi à placer le NIFFF au centre du calendrier cinématographique suisse. Maintenant qu’on va peut-être pouvoir stabiliser notre structure, c’est important pour nous de développer la question du fantastique dans les autres médias. Et effectivement, la littérature, l’art contemporain, sont des domaines dans lesquels le fantastique a aussi une histoire très riche et une actualité très forte, c’est donc important pour nous de pouvoir les explorer. Et cela d’autant plus que le cinéma prend parfois son inspiration visuelle dans l’art contemporain, et souvent dans la littérature.
swissinfo.ch: 10 ans de NIFFF… de nombreux objectifs ont été atteints. Y en a-t-il qui ne l’ont pas été?
A.E.: Notre budget! Au niveau de la stabilisation de la structure du festival, on espère pouvoir passer d’une organisation d’année en année à quelque chose qui serait construit sur le plus long terme. On touche cela du doigt, mais il faut encore travailler.
L’Office fédéral de la Culture (OFC) est le seul prestataire qui nous garantit des subventions sur plusieurs années – sachant que tous les trois ans, ces subventions sont remises en ballotage pour tous les festivals de Suisse. Pour le reste, c’est d’année en année. Au niveau local, il y a encore pas mal de choses à faire, parce qu’il me semble qu’aujourd’hui encore, le NIFFF est perçu comme un événement de niche, plutôt élitiste.
swissinfo.ch: Nicolas Bideau, le patron de la Section cinéma de l’OFC, a annoncé son départ. Or il a beaucoup soutenu le NIFFF. Inquiète?
A.E.: Je ne suis pas inquiète, parce que finalement, advienne que pourra! Par contre, c’est vrai que j’ai apprécié l’énergie apportée par Nicolas Bideau, sous deux angles. Premièrement, il n’a pas peur des jeunes, ce qui nous a beaucoup aidés: il nous a pris au sérieux. Et deuxièmement, il était ouvert à l’idée que le cinéma peut être populaire! Avec le fantastique, on est dans un cinéma qui a une importante dimension populaire, la preuve avec «Avatar». Et ici, on ne rejette pas non plus cette dimension, on la défend même.
Bernard Léchot, Neuchâtel, swissinfo.ch
10ème. La 10e édition du Neuchâtel International Fantastic Festival (NIFFF) se tient du 4 au 11 juillet, dans cinq salles et un cinéma en plein air.
Chiffres. 118 séances, dont 80 longs métrages et 50 courts-métrages produits dans 19 pays.
Compétition internationale. Elle «explore toutes les déclinaisons du fantastique, des plus pures aux plus hybrides».
New Cinema from Asia. La sélection de la compétition asiatique reflète les spécificités du cinéma populaire asiatique.
Cinéma suisse. Une section consacrée aux éléments fantastiques à l’œuvre dans le cinéma suisse (dont deux films de daniel Schmid, «Jenatsch» et «La Paloma».
Québec. Le NIFF présente six œuvres représentatives du cinéma fantastique émergent du Québec.
Cinéma de plein air. Il accueille en avant-première plusieurs œuvres destinées au grand public. Notamment le péplum «Agora» du réalisateur Alejandro Amenabar, le film d’animation «Metropia» de Tarik Maleh et «Tannöd» de la réalisatrice suisse Bettina Oberli.
Sogo Ishii. La rétrospective est consacrée au cinéaste japonais Sogo Ishii, également invité d’honneur de la manifestation. Le réalisateur nippon proposera une performance musicale en direct à partir de son film «The Codename is Asia Strikes back».
Young Gods. Le 8 juillet, le NIFFF montrera «Swissmade 2069» de Fredi Murer. Le groupe de rock The Young Gods assurera l’accompagnement musical en direct de l’œuvre.
Symposium. Le festival organise son traditionnel symposium «Imagine the Future», consacré à l’évolution de la technique des effets spéciaux.
Evénements. Le festival inclut plusieurs événements spéciaux consacrés à l’évolution du genre fantastique en littérature ainsi que dans la musique et l’art contemporain. Le centre culturel La Maison d’Ailleurs à Yverdon-les-Bains et le Centre d’art Neuchâtel sont associés à ce volet de la manifestation.
Irlande. Acteur, Réalisateur, Scénariste, Producteur, irlandais né en 1950 à Sligo.
Du livre au film. Il se révèle comme écrivain avec le recueil de nouvelles Night in Tunisia publié en 1976, puis comme cinéaste avec «La Compagnie des Loups» (1984), adaptation sombre et fantastique du «Petit chaperon rouge».
On lui doit aussi «Mona Lisa» avec Bob Hoskins, le film américain «Nous ne sommes pas des anges» avec Robert De Niro et Sean Penn (1989).
Thématiques irlandaises. «The Crying Game» est l’histoire d’une sombre manipulation au sein de l’IRA (Oscar du meilleur scénario original), la fresque «Michael Collins» est consacrée au père de l’indépendance irlandaise (Lion d’or du Festival de Venise), «Breakfast on Pluto», lui permet de de revenir sur les traces de sa jeunesse.
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