Avec «Godless », le Léopard d’or prend l’accent bulgare
Les films d’Europe de l’Est ont particulièrement séduit le jury de la 69e édition du Festival du film de Locarno, qui a attribué le Léopard d’or à «Godless», première œuvre de la réalisatrice bulgare Ralitza Petrova. Les deux films suisses en concours repartent bredouilles ou presque.
«Godless» se déroule dans une petite ville bulgare perdue où le temps semble s’être arrêté. Le film est une réflexion sur la perte totale des valeurs. Gana, infirmière à l’enfance difficile, s’occupe de patients affectés de démence sénile, mais trempe aussi dans un trafic de cartes d’identité. L’obscurité semble recouvrir aussi bien les vieilles générations, qui ont perdu toutes leurs illusions, que les jeunes, attirés par des valeurs malsaines.
- Concours international, Pardo d’Oro: “Godless”, de Ralitza Petrova, Bulgarie/Danemark/France
- Prix spécial du jury: « Inimi Cicatrizate » (Scarred Hearts) de Radu Jude, Roumanie/Allemagne
- Piazza Grande, Prix du Public: “I, Daniel Blake”, de Ken Loach, Grande-Bretagne/France/Belgique
- Concours Cineasti del presente: “El auge del humano”, de Eduardo Williams Argentine/Brésil/Portugal
Œuvre néoréaliste, «Godless» a également permis à l’actrice Irena Ivanova, de remporter le prix de la meilleure interprétation féminine. Le prix spécial du jury est allé à «Scarred Hearts», du Roumain Radu Jude, qui se passe dans un sanatorium au bord de la Mer Noire, en 1937, dans un contexte d’expansion du fascisme.
Sans surprise, c’est le dernier film de Ken Loach, « I, Daniel Blake », Palme d’or à Cannes cette année, qui a remporté le prix du public du meilleur film diffusé sur la Piazza Grande.
Les deux films suisses en compétition internationale n’ont pas fait aussi bien. Michael Koch, avec son premier long-métrage « Marija », a dû se contenter d’une mention spéciale du jury oecuménique et du prix de l’environnement du jury des jeunes.
Milagros Mumenthaler, avec « La idea de un lago », repart elle les mains vides. Elle avait remporté le Léopard d’or en 2011 avec « Abrir portas y ventanas ».
Accueil plutôt froid
Les deux œuvres ont suscité des réactions contrastées dans la presse suisse et internationale.
Histoire d’une immigrée ukrainienne à Dortmund, «Marija» s’inscrit dans «un courant cinématographique basé sur un grand travail documentaire, mais avec peu de concessions faites au public», écrit Emilio Mayorga, sur Variety.
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Milagros Mumenthaler, la présence de l’absence
Le réalisateur suisse a en effet passé plusieurs mois à étudier le quartier populaire de cette ville allemande située dans la région industrielle de la Ruhr. Michael Koch est «à mi-chemin entre le cinéma de lutte sociale à la Ken Loach et l’exploration humaine des frères Dardenne», a apprécié le critique cinématographique de la télévision suisse alémanique SRF Michael Sennhauser. Le journal français Libération a également été séduit, son envoyé spécial Gilles Fumey évoquant un film «qui prend aux tripes».
Les journaux romands se montrent plus critiques. Le film «ne dépasse guère le stade d’un télé-constat social», tranche Vincent Adatte, dans l’Express et l’Impartial, alors que dans les colonnes du Temps, Antoine Duplan écrit: «Un film bien glauque, irréprochablement construit, inscrit dans une réalité précisément documentée, mais qui a le défaut de ressembler à une kyrielle d’autres œuvres consacrées à l’immigration clandestine et à la précarité, notamment celles des frères Dardenne».
Dictature argentine
Le film de l’Helvético-Argentine Milagros Mumenthaler a pour sa part quelque peu déçu. Ce deuxième long métrage de la réalisatrice, après celui qui avait raflé le Léopard d’or en 2011, est consacré à la lutte intérieure d’une femme marquée par la disparition de son père «desaparecido» de la dictature argentine.
«Ce n’est certes pas le rôle de Mumenthaler d’éclaircir ce chapitre sombre de l’histoire, mais on est en droit de se demander s’il est juste d’instrumentaliser à ce point cette période, pour parler d’états d’âme personnels et d’intrigues superflues», relève Susanne Ostwald, dans la Neue Zürcher Zeitung (NZZ). Cristina Piccino, du journal italien Il Manifesto, est sur la même ligne, elle qui affirme que «le fantasme de l’histoire est relégué au rôle de tapisserie».
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«Un juif pour l’exemple», le film qui questionne aussi le présent
En Argentine, où la réalisatrice vit depuis plusieurs années, le film a été mieux accueilli. Sur le blog Otros Cine, Diego Batle loue «une beauté jamais ostentatoire et une austérité qui ne tue pas l’émotion». Avant de conclure, dithyrambique: «’La idea de un lago’ se mue en une expérience profonde, séduisante et durable. Tout simplement un autre miracle de Milagros».
Heidi Specogna primée
De manière générale, le festival de Locarno a offert une bonne vitrine aux films helvétiques, aussi bien dans les différentes compétitions que dans les sections parallèles.
Le documentaire de Heidi Specogna sur la République Centrafricaine s’est ainsi vu remettre le 2e prix de la Semaine de la critique et une ovation du public lors de cette première projection mondiale.
Présents hors concours, deux films suisses ont attiré l’attention du public et de la critique: «Jean Ziegler, l’optimisme de la volonté» ainsi qu’ «Un juif pour l’exemple». Le premier, signé Nicolas Wadimoff, est un portrait plutôt conciliant du sociologue suisse, que l’on voit dans les rues de Cuba évoquer son amitié avec le «Ché» et les «valeurs de la révolution». Le film de Jacob Berger narre pour sa part avec beaucoup de sensibilité et réalisme un chapitre sombre de l’histoire suisse.
Les lauréats du Léopard d’or de 1968 à 2016
(Traduction de l’italien: Federico Bragagnini)
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