Paris déroule le tapis rouge pour Hodler
Le Musée d'Orsay présente une rétrospective du Suisse avec un résumé en 80 tableaux de tous les genres abordés par l'artiste, avec des dessins, des carnets et des photos.
Pour marquer ce retour à Paris, le catalogue est préfacé par la présidente suisse Micheline Calmy-Rey et… le président Nicolas Sarkozy. Une belle exposition qui rend enfin justice à l’artiste.
«La Nuit est un des tableaux les plus importants de Hodler. C’est un résumé de sa vie, avec un autoportrait au centre et, en même temps, il a une portée universelle car il invente le langage nouveau», déclare Sylvie Patry, conservateur au Musée d’Orsay de Paris.
En 1891, ce très grand format montrant avec réalisme les corps de couples enlacés et dénudés a été interdit dans la Genève calviniste pour «obscénité». Ferdinand Hodler part le présenter au Salon du Champ-de-Mars de Paris.
«Cette première exposition lui a ouvert les capitales européennes et le cercle des symbolistes tels que Rodin, Klimt ou Puvis de Chavanne», ajoute Mme Patry pour swissinfo.
Les grandes compositions qui ont suivi, trop avant-gardistes pour la Suisse, étaient destinées au public parisien, ajoute Philippe Kaenel, professeur d’histoire de l’art à l’Université de Lausanne. «Paris a été un tremplin pour Hodler comme pour la plupart des artistes de l’époque, à qui la Suisse n’offrait pas de système d’exposition permettant une reconnaissance internationale.»
Succès d’estime en 1983
Ce tableau, comme d’autres prêtés par le Musée des Beaux-Arts de Berne, a été restauré pour l’occasion. Il domine les quelque 80 œuvres résumant le travail de ce grand portraitiste et paysagiste.
C’est ainsi que Paris redécouvre les grandes écoles étrangères et la place centrale occupée par cet artiste majeur. «Hodler a eu une grande exposition en 1983 au Petit Palais. Avec un succès d’estime (50’000 visiteurs), mais sans lui donner la place qu’il mérite.» Depuis, plus rien.
De son vivant, le Suisse a eu deux moments importants à Paris, poursuit Sylvie Patry. De 1891 à 1900, il expose régulièrement mais ne vend pas. Il se tourne alors vers l’Allemagne et l’Autriche, où il a plus de succès auprès des musées et des collectionneurs.
«En 1913, il revient à Paris, au Salon d’automne. Il reçoit même la Légion d’honneur mais toujours pas de reconnaissance publique», raconte Sylvie Patry.
Double registre
La veine symboliste de Hodler avait peu d’écho dans la Suisse de l’époque, trop occupée à construire son identité nationale. Une quête qui a d’ailleurs amené la Confédération à créer les premières bourses et fonds afin de financer de grandes commandes aux artistes.
C’est ainsi que, parallèlement, Hodler a conçu des œuvres historiques et «patriotiques» monumentales, comme les fresques du Musée national suisse à Zurich ou du pavillon des Beaux-Arts de l’Exposition nationale de 1896.
Cette veine fait précisément défaut au Musée d’Orsay, regrette Philippe Kaenel. Qui reconnaît cependant que «ces sujets identitaires passent encore mal hors de Suisse».
Réponse de Sylvie Patry: «Les œuvres sur la bataille de Marignan sont trop monumentales pour être transportées. Nous avons alors choisi la bataille de Morat, sa dernière œuvre historique. Et les nombreux paysages exposés montrent comment la nature a contribué à forger l’identité de la Suisse.»
Un regain de succès
La presse parisienne a fait un accueil élogieux à Ferdinand Hodler, qui suscite un regain d’intérêt dans les ventes aux enchères où il bat record sur record. Pourquoi cela?
Pour Philippe Kaenel, c’est parce que les œuvres se raréfient. «Il y en a très peu sur le marché et un paysage, surtout, devient aussitôt une sorte d’événement.»
Et puis parce qu’il s’agit de combler un vide. Ses œuvres, très nombreuses en Suisse, sont peu représentées dans les musées étrangers, notamment français (Le Musée d’Orsay a acquis un «Bûcheron» en 2005).
Mais aussi allemands et autrichiens, pour une raison historique, ajoute Philippe Kaenel. «Hodler ayant protesté contre le bombardement de la cathédrale de Reims pendant la guerre, il a perdu sa clientèle allemande et ses œuvres ont été rapatriées en Suisse.»
Le verdict du public
Aujourd’hui, tout est en place pour réconcilier Hodler et Paris. «Pour l’instant, la majorité des visiteurs (dans les 2500 par jour) sont des touristes étrangers», indique une des gardiennes de l’exposition.
Au milieu des Japonais et des Américains vissés à leur casque de visite, swissinfo est finalement tombé sur… un groupe de Vaudois enthousiastes. De Français point, mais ce jour-là était jour de grève des transports. Les Vaudois, eux, étaient venus en car.
swissinfo, Isabelle Eichenberger à Paris
Né à Berne en 1853, il perd sa famille à 14 ans et s’installe à Genève en 1872, où il meurt en 1918.
En 1891 il expose à Paris son tableau manifeste, «La Nuit», interdit à Genève. Ensuite il exposera avec l’avant-garde symboliste à Vienne, Berlin, Munich.
Parallèlement, il exécute des commandes publiques avec une peinture monumentale, patriotique et historique contribuant à la construction identitaire suisse.
1917: une rétrospective présente 600 œuvres à Zurich, un an avant sa mort.
1983: exposition au Petit Palais à Paris.
1991: exposition des œuvres historiques à la Fondation Gianada de Martigny.
2008: Le Kunstmuseum de Berne présentera une rétrospective qui ira ensuite à Budapest, en Hongrie.
Ferdinand Hodler est présenté au Musée d’Orsay jusqu’au 3 février 2008.
L’exposition réunit 80 tableaux (de 1874 à 1918), deux cabinets d’arts graphiques et une quarantaine de photos.
En contrepoint, l’artiste suisse Helmut Federle, qui s’est inspiré de Hodler, a été invité à présenter une toile et 4 dessins non figuratifs.
Parallèlement, le musée organise des manifestations sur la Suisse: musique (8 concerts jusqu’au 24 janvier), café littéraire (8-16 décembre), cinéma (10-20 janvier) et conférences.
La fondation suisse pour la culture Pro Helvetia soutient le projet avec un budget de 400’000 francs.
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