Paris marie Giacometti à l’art étrusque
L’artiste suisse s’est-il inspiré des œuvres étrusques pour créer ses célèbres sculptures en bronze? La Pinacothèque de Paris déterre une polémique déjà ancienne.
C’est la deuxième exposition que Paris consacre, en moins de quatre ans, au peintre grison. Après «L’Atelier de Giacometti» au Centre Pompidou en 2007, la Pinacothèque présente «Giacometti et les Etrusques».
Marc Restellini, le directeur de ce musée privé au succès retentissant, place d’emblée cette exposition dans le sillage des grandes «confrontations historiques», type Van Gogh et Gauguin à l’Art Institute de Chicago. Il s’agit de «revisiter l’œuvre de Giacometti, une relecture très attendue depuis près de 50 ans par tous les spécialistes ou connaisseurs de Giacometti».
Une ancienne polémique
Derrière cette volonté respectable, la Pinacothèque de Paris ressuscite en réalité une vieille controverse: le célèbre artiste suisse s’est-il inspiré – et jusqu’à quel point? – des vestiges de la civilisation étrusque pour créer ses fameuses sculptures filiformes?
Une polémique qui ressurgit régulièrement. Il y a tout juste quinze ans, nous rappellent les archives du journal Le Temps, le quotidien britannique The Independant traitait tout bonnement Giacometti de «voleur» à l’occasion d’une grande exposition à la Royal Academy of Arts.
«Giacometti, dont l’un des principaux défauts était le manque quasi absolu d’imagination, a emprunté la totalité des formes de sa dernière période à l’art étrusque antique», fustigeait le journal anglais. Une attaque violente, à laquelle répondaient plusieurs historiens de l’art, notamment Christian Klemm, alors conservateur au Kunsthaus de Zurich, dans les colonnes du Nouveau Quotidien: «Il ne s’agit pas ici d’une véritable filiation, mais seulement d’une ressemblance plutôt fortuite – après tout, les possibilités de stylisation des proportions humaines sont limitées».
Mise en condition et confrontation
Sur deux étages, la Pinacothèque présente les pièces du «dossier». En haut, le visiteur parcourt en cinq salles presque un millénaire d’art de l’Etrurie, cette étonnante confédération de cités implantées dans les régions actuelles de Toscane, Latium et Ombrie, entre le IXe et le IIe siècle avant J-C. Un parcours fascinant où domine l’art funéraire: notamment les célèbres urnes cinéraires retrouvées autour de Volterra, dont le couvercle a la physionomie du défunt. Ou encore les admirables Canopes, urnes en forme de vases, déterrées dans la région de Chiusi.
La civilisation étrusque est évoquée en long et en large, au point que l’on se demande ce que vient faire ici Giacometti et si celui-ci n’est pas un simple prétexte pour exposer l’art étrusque à Paris. Réponse à l’étage inférieur. Voilà enfin la «confrontation». Sont posées côte à côte la célèbre «Cage» de l’artiste helvétique, créée en1950, et une statuette en bronze longiligne datant du Ve siècle av. J-C.
Le parallèle se poursuit, plus frappant encore, entre la «Femme debout» de Giacometti (1952) et la plus célèbre des pièces étrusques, l’«Ombre du Soir», un bronze très allongé représentant un adolescent nu.
Ne pas juger trop vite…
Conclusion? Le directeur de la Pinacothèque se place au-dessus des polémiques. Inutile, selon Marc Restellini, «de savoir si c’est avant ou après la rencontre avec L’Ombre du Soir que Giacometti crée ses figures filiformes. Réduire le débat à cela est l’appauvrir lamentablement». Ce qui n’empêche pas M. Restellini de mener l’enquête.
Il rappelle que l’artiste s’est rendu à la grande exposition sur les Etrusques qui s’est tenue au Louvre en 1955. Qu’il a même annoté les catalogues de l’expo. La Pinacothèque souligne aussi le travail de «copiste» de Giacometti. On le sait, l’enfant du Val Bregaglia copiait les œuvres d’art sur des carnets ou sur des journaux. «Un moyen pour mieux voir», disait-il. Les Almanaco dei Grigioni ou les Quaderni Grigionitaliani étaient ainsi couverts de dessins, simples copies ou plus souvent réinterprétations de peintures classiques.
Et alors? La plupart des artistes trouvent une partie de leur inspiration dans la tradition. «Par ses copies, Giacometti parvient à des dessins qui sont parfois à peine comparables aux originaux, mais qui, sans exception, possèdent tout de son style, de la force de son trait», remarque Cecilia Braschi dans le catalogue de l’exposition «L’Atelier d’Alberto Giacometti», organisée au Centre Pompidou en 2007.
Que dire alors de la parenté entre les sculptures filiformes du Grison et les bronzes étrusques? Copie? Perception commune d’un corps quasi astral, à 2500 ans d’intervalle? Véronique Wiesinger, directrice de la Fondation Alberto et Annette Giacometti, rejette l’analogie. «Cette association repose seulement sur des images trop vite regardées. Car même un examen un petit peu attentif montre que seul l’allongement est leur dénominateur commun. Ni le traitement du visage, de la chevelure et du corps de l’Ombre, ni ses proportions, ni l’implantation de ses pieds et leur rapport au socle n’ont de lien avec les célèbres figures féminines étirées de Giacometti, typiques de sa production d’après-guerre.»
Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch
Giacometti et le Etrusques, Pinacothèque de Paris, jusqu’au 8 janvier 2012. 28, place de la Madeleine.
Tous les jours de 10h30 à 18h30. Nocturnes les mercredis et vendredis jusqu’à 21h.
Bregaglia. Naissance dans le val Bregaglia, Grisons. Il est le fils d’un peintre impressionniste.
Genève. Alberto Giacometti commence à peindre très jeune et fréquente l’Ecole des Beaux-Arts de Genève.
Surréaliste. Il s’installe à Paris en 1922 et suit à Montparnasse les cours de sculpture d’Antoine Bourdelle, lui-même élève d’Auguste Rodin. Il sculpte alors des œuvres proches de l’abstraction où se sent l’influence des arts primitifs (Femme cuillère, 1926). Rapidement, il se joint aux surréalistes et réalise des œuvres explorant les tensions de l’inconscient sexuel avec souvent beaucoup de violence (Femme égorgée, 1932).
Nouvelle phase. A partir de 1935, l’artiste se concentre sur l’étude de la tête humaine, s’attachant plus particulièrement au regard. Giacometti commence alors une nouvelle phase esthétique: les membres des figures sont étirés jusqu’à l’extrême, et désindividualisent le modèle, parfois représenté dans l’attitude de la marche, en référence à L’Homme qui marche de Rodin, véritable défi au mode de conception de la sculpture. De même, les visages deviennent comme des lames de couteau (Le Nez, 1947). Il peint également des portraits et autoportraits où le regard est perdu dans un réseau de lignes qui emprisonnent la figure.
Reconnaissance. Après la guerre, son œuvre est saluée dans de nombreuses rétrospectives et obtient un grand succès: il reçoit le prix de sculpture à la Biennale de Venise de 1962, avant de s’éteindre en 1966.
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