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Pas facile d’être fils (père non plus)

Une image identificatoire: le héros de jeu vidéo. vdr

S'il n'est pas possible de s'inventer une paternité, on peut la compenser, montre le réalisateur François Kohler dans «Cher Monsieur, cher papa». Un film présenté en compétition internationale à Visions du Réel.

«Si je le vois, c’est pas pour aller boire un thé froid, dit Karim, 16 ans. Nous avons des choses à mettre au point. Mon père est une personne inconnue que j’essaie de trouver».

Autre phrase entendue dans le film de François Kohler: «J’ai été élevé par les Amazones. Il n’y a pas beaucoup d’image paternelle chez moi. Dans ma famille, l’homme est la chose à abattre».

Après «Le souffle du désert», où des hommes partaient renouer avec eux-mêmes dans les sables, François Kohler propose une autre invitation à l’introspection, qui montre la vie sans la juger, sur le fil des émotions, en multipliant les lieux de l’action, en variant les rythmes.

Karim, Tristan, Matthew, Adrien et Joël ont des pédigrées différents mais tous sont en manque émotionnel ou physique de leur père. Le spectateur découvre leurs angoisses et leurs espoirs, les fuites et les stratégies de remplacement.

Il les voit se bâtir une identité à travers la communication virtuelle et les jeux vidéos, le rap, les arts martiaux, l’art. Un peu comme dans un roman d’initiation à cinq voix. Avec en écho ce constat d’un papa montré dans le film: «C’est pas facile d’être père!».

swissinfo: Difficile de ne pas vous demander si vous êtes père et si ce film n’est pas une façon de conjurer certaines craintes…

François Kohler: Je suis père, un peu tardif, d’un garçon de 5 ans et demi. La naissance de cet enfant a révélé des peurs en moi, sur lesquelles j’ai dû travailler. Ce désir de toute puissance, par exemple. On se dit «mon Dieu, si je le lâchais du balcon!», ces peurs archaïques qui nous étonnent…

Je réalise aussi que le fait d’être père est un métier complexe. Le film parle de paternité et de construction identitaire. L’adolescence est un processus qui ne se passe pas sans le besoin d’aller chercher ailleurs des images identificatoires. L’adolescent revendique son identité propre tout en ayant besoin d’images extérieures pour se construire – des figures masculines, des mentors ou des profs. C’est valable pour tous les garçons qui passent cette période de l’adolescence.

swissinfo: Vous êtes donc père. Mais ce n’est sans doute pas la seule raison qui vous a incité à réaliser ce film?

F.K.: Un film en engendre un autre. «Le souffle du désert» parlait de la masculinité dans tous ses états – rapport à la violence, à la sexualité, les hommes et les femmes.

Pourquoi ce nouveau film? Dans ma propre histoire, ma famille est séparée, mon père a quitté le domicile conjugal. Je ne fais pas ma thérapie à travers ces films, puisque j’ai depuis longtemps un bon lien avec lui. Mais c’est certainement une part d’autobiographie qui me fait parler de ces choses-là.

swissinfo: Que dit le film sur ces questions?

F.K.: D’abord, il prend le point de vue des jeunes. «Cher Monsieur, cher papa», le titre, le dit bien. Le film dit qu’en fait, s’il n’est pas possible de s’inventer une paternité, on peut la compenser.

D’autres images compensatoires participent de leur construction chez les jeunes. Ces images peuvent être réelles – un oncle, un beau-père – mais aussi virtuelles ou, même, imaginaires.

Dans le film, un jeune parle de l’accès au masculin à travers la littérature. Un autre incarne, sur scène, son personnage favori de jeu vidéo, auquel il s’identifie. Ce n’est pas à moi de dire à quel degré ces images et ces figures participent de l’identité. Le fait est qu’elles y participent, d’une manière ou d’une autre.

swissinfo: Vous filmez de manière très retenue, très pudique. Pourquoi?

F.K.: J’essaie de rentrer dans l’intimité des gens, des familles. Ça place devant des problèmes à résoudre. Il faut établir un lien de confiance, il faut que les gens sachent ce que je vais faire et pourquoi.

Cette intimité me permet d’aller sonder l’âme de ces gens. D’évoquer des choses dont on parle rarement. Les jeunes, d’ailleurs, ont plus de facilité à en parler que leurs parents, qui sont déjà établis. Double handicap donc: choisir des jeunes et voir ensuite si leurs parents seront prêts à exprimer leurs difficultés familiales. Ça m’amène à devoir avoir une éthique

swissinfo: Sur la forme, vous mélangez reportage et mise en scène. Un mélange difficile?

F.K.: Ce film est un documentaire de cinéma. Mais cette volonté de capter l’intimité m’amène à, parfois, être très présent très vite. On pourrait assimiler certaines scènes à du reportage. En réalité, ce n’en est pas.

Ce conflit entre la mère et le fils par exemple, c’est juste une année et demi de préparation pour les amener à être aussi ouverts à ma caméra. J’aurais trois ou quatre semaines de préparation pour un [reportage de] 50 minutes d’information de commande.

Cette scène entre la mère et le fils part d’une interview avec le fils autour de l’autorité. Le fils pète les plombs, part à la cuisine et poursuit dans cet état émotionnel avec sa mère. Nous entrons par la petite porte et tournons ce moment-là. C’est donc un peu du reportage, évidemment. Mais c’est plus que ça. J’ai d’ailleurs dû enlever une partie de la scène, les deux me prenant à témoin.

Interview swissinfo, Pierre-François Besson à Nyon

Le Suisse François Kohler est né en 1954. Diplômé en droit, il a étudié à l’INSAS (Institut National Supérieur des Arts du Spectacle et Techniques de Diffusion) de Bruxelles.

Depuis 1987, il a réalisé une bonne dizaine de documentaires pour la télévision et plusieurs courts et moyens métrages de fiction.

«Cher Monsieur, cher papa» (2008, 84′) sort le 11 juin en Suisse romande. Il est produit par PS Production et co-produit par la SSR et Arte.

14e édition du festival, à Nyon, du 17 au 23 avril.

Palmarès le mercredi 23 en soirée.

155 films de 36 pays.

22 films en compétition internationale, dont 2 suisses.

Dix sections, dont une nouvelle – «First steps» – montrant des premières réalisations de films courts.

Deux ateliers consacrés au Français Jean-Louis Comolli et à l’Allemand Volker Koepp.

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