Passions égyptiennes à Genève
Peintures, livres, objets... La fascination de l'Occident pour la culture égyptienne est à découvrir au Musée d'Art et d'Histoire.
Cette superbe exposition s’intitule «Voyages en Egypte, de l’Antiquité au début du XXe siècle».
Sur une vitrine qui abritent de mystérieuses stèles se reflètent les ogives du très genevois Musée d’art et d’histoire. Occident et Orient s’entremêlent.
Mais les stèles en question ont une histoire plus triviale que mystérieuse: elles ont été offertes gracieusement à Genève par le consul de France à Alexandrie, Bernardino Drovetti, qui cherchait à se faire pardonner le prix exorbitant qu’il avait demandé aux Genevois pour… une autruche vivante.
Six stèles du Moyen Empire en cadeau bonus. Nous sommes alors en 1825. L’égyptomania bat son plein, mais le sens des valeurs de l’époque nous semble aujourd’hui bien paradoxal.
Une collection époustouflante
Genève possède le fonds égyptien le plus riche de Suisse. Et c’est dans la perspective d’une nouvelle muséographie de sa collection permanente que le Musée d’art et d’histoire (MAH) propose cette exposition, qu’il souhaitait depuis longtemps.
A Genève comme dans toute l’Europe, le goût pour l’Egypte date de toujours ou presque. Dans l’Antiquité, le culte d’Isis s’est immiscé dans le monde romain. Au Moyen-Age, les pèlerins chrétiens ont arpenté le Proche-Orient. Avec la Renaissance, le goût pour l’antique a également focalisé l’attention sur la culture égyptienne.
Mais c’est évidemment l’expédition de Bonaparte, en 1798-1799, qui va susciter une véritable passion pour l’égyptologie. De nombreux suisses y participent. A Genève, où de nombreux érudits s’intéressent depuis longtemps à l’Egypte – son histoire, sa géographie, mais aussi sa faune, sa flore – la collecte d’objets va connaître une explosion.
C’est l’époque dite de ‘l’Egypte des consuls’, comme l’explique Claude Ritschard, conservatrice du Département des beaux-arts, et l’un des commissaires de l’exposition: «Les Français d’une part, les Anglais d’autre part, laissent en Egypte des représentations diplomatiques. Et ces gens-là vont être de véritables prédateurs.»
«Ils entretiennent les services d’aventuriers qui fouillent, de façon très désorganisée, pour constituer des collections qu’ils s’empressent de vendre aux musées européens, ou même américains», ajoute-t-elle. Genève fait partie des acquéreurs.
L’exposition
Au Musée d’art et d’histoire de Genève, les têtes des bibliophiles vont tourner… «Tous les beaux livres de l’édition ‘égyptomaniaque’ sont présents», constate Claude Ritschard.
Et en particulier deux éditions de la mythique «Description de l’Egypte», résultat de l’expédition de Bonaparte, dont l’édition impériale (les deux volumes de planches font 1, 40 mètres de hauteur!), est publiée entre 1809 et 1828.
A noter également un manuscrit de Champollion, qui, en 1826, fit escale à Genève pour y réaliser le catalogue du «Musée académique», ancêtre du MAH.
Une vaste salle propose toiles et dessins. S’y côtoient des relevés techniques irréprochables, des représentations fantaisistes d’une Egypte imaginée, ou les toiles académico-romantiques de plusieurs maîtres vaudois ou genevois, dont Louis-Auguste Veillon ou Charles Gleyre.
A une extrémité de cette large galerie, un imposant Ramsès de 3,5 tonnes, importé grâce à Edouard Naville, l’un des précurseurs de l’égyptologie scientifique, qui fonda la chaire d’égyptologie de Genève.
De nombreux autres objets s’égrènent au long de l’exposition: figurines représentant Isis, sarcophages, masques mortuaires, bijoux, momies de chat, d’oiseau ou de crocodile…
A noter également la présence d’une salle consacrée à l’art copte ou d’une autre envahie de photos prisent en Egypte (du reportage aux cartes postales) au cours du 20e siècle.
Pillage ou sauvegarde?
A l’heure ou chacun déplore le pillage du Musée de Bagdad, à l’heure également où une nouvelle loi sur le commerce des biens culturels a été passée en Suisse, on ne peut s’empêcher d’avoir un regard dubitatif sur les trésors archéologiques que recèle l’exposition, et donc l’institution genevoise.
Pour Claude Ritschard, le sentiment est double. Elle parle de «colonialisme arrogant» et de démarche «honteuse». Mais replace néanmoins cette période de vandalisme culturel dans un contexte bien particulier:
«C’est une période islamique, où l’Egypte est placée sous un gouvernement turc. Il y a alors un désintérêt complet pour le passé pharaonique… Et cet exil des pièces vers les musées occidentaux aura été la meilleure carte de visite pour l’Egypte.»
Et d’ajouter: «Petite fille, je suis tombée amoureuse de l’Egypte parce que je venais dans ce musée et que j’y voyais le cercueil de la dame Tjesmoutpert… Cela me fascinait. Je n’avais qu’une envie, que j’ai réalisée à l’âge de 18 ans: aller en Egypte».
Claude Ritschard se réjouit donc qu’une législation plus stricte ait été aujourd’hui introduite dans les pays concernés. Mais pour elle, une présence de ces civilisations dans les musées occidentaux reste essentielle: «Pour qu’on ait envie de les étudier, qu’on les comprenne et qu’on les respecte».
Avec bonne ou mauvaise conscience, la fascination est au rendez-vous au Musée d’art et d’histoire de Genève jusqu’au 31 août.
swissinfo, Bernard Léchot, Genève
– Dans la perspective d’une nouvelle muséographie de sa collection permanente, le Musée d’art et d’histoire de Genève propose un vaste aperçu de son fonds égyptien, augmenté de plusieurs prêts.
– Car Genève, à l’instar de l’ensemble du monde occidental, s’est toujours passionnée pour l’égyptologie.
– L’exposition propose de nombreux livres rares, des tableaux et des dessins, et de nombreux objets égyptiens: statues, sarcophages, bijoux, momies d’animaux.
– La plupart des pièces présentées sont consécutives à l’expédition d’Egypte de Bonaparte, et à la coutume du «Grand Tour» au 19ème siècle.
– Un catalogue de l’exposition sera prochainement à disposition (312 pages, 150 illustrations), avec de très nombreuses contributions. Publié par le MAH et La Baconnière.
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