Des villes s’associent pour les êtres humains et leur histoire
Face aux destructions délibérées de vestiges historiques, une dizaine de villes du Nord et du Sud ont signé la Déclaration de Genève pour améliorer la protection du patrimoine culturel et des communautés qui y sont attachées. L’idée est d’associer d’autres cités à ce réseau et de combler les lacunes des traités existants.
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Passionné par les sociétés humaines et l'art d'en rendre compte - une curiosité nourrie de voyages, de rencontre et de lectures - je couvre principalement les grands thèmes abordés par les organisations internationales basées à Genève. Initiales fb
«L’être humain est uni par le sang et les larmes et non par les religions», lance le Père Michaeel Najeeb lors de la signature de la Déclaration de Genève, sous les ors du Palais Heynard, qui abrite la mairie de Genève.
Réfugié à Erbil dans le Kurdistan irakien, ce prêtre catholique chaldéen sait de quoi il parle: «Ce que je fais depuis 25 ans est de sauver le patrimoine et aussi l’être humain. On ne peut pas sauver les êtres humains sans sauver leur histoire.»
Père Najeeb a réussi à sauver de la destruction 8000 manuscrits, dont certains du 13e siècle, et quelques 40’000 documents, dont les premiers livres écrits dans l’ancienne Mésopotamie. Opérant d’abord depuis Mossoul, sa ville natale, Père Najeeb a réussi à sauver une nouvelle fois ces précieux documents de la rage destructrice du groupe Daesh quand il a envahi la ville irakienne en juin 2014. Une aventure Lien externepérilleuse qui l’a conduit à Erbil, d’où il continue son action de sauvetage.
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Le témoignage du Père Najeeb
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Représentant de la société civile d’Erbil, Père Najeeb témoigne de son action de sauvetage de milliers de manuscrits en Irak, avant de signer le 28 mars 2018 la Déclaration de Genève Lien externe: « Droits humains et patrimoines culturels: l’engagement des villes solidaires » au Palais Eynard.
Cet engagement exemplaire incarne la lettre et l’esprit de la Déclaration de Genève : Droits humains et patrimoines culturelsLien externe : « En raison de leur haute portée symbolique, les patrimoines, savoirs et pratiques qui y sont liés, sont des cibles de choix lors des conflits internes ou internationaux. Leur destruction cherche à atteindre des personnes et des communautés, voire des peuples entiers, au cœur de leur identité, et à effacer les traces de leur existence sur un territoire.»
Ce dont le maire de Mossoul a également pu témoigner. Signataire de la Déclaration, Zuhait Mohsin Al Al-A’araji a rappelé que «Daech avait un programme méthodique de destruction du patrimoine historique de la ville de Mossoul. Ils visaient d’abord le patrimoine architectural, les mosquées, les églises – tout ce qui montrait le rayonnement de la ville dans le passé.»
Mossoul, Tombouctou, Diyarbakir et les autres
Depuis la libération de la ville l’été dernier, Zuhait Mohsin Al Al-A’araji s’attelle à la reconstruction de sa ville, y compris son patrimoine historique. L’intérêt de la Déclaration de Genève? «Nous profitons de l’expérience d’autres villes qui ont déjà connu ça et nous pouvons en parler avec des maires du monde entier», a souligné le maire lors de la cérémonie de signature.
A Tombouctou, autre signataire, les mausolées de la Ville aux 333 Saints ont subi en 2012 l’assaut des islamistes des mouvements AQMI et Ansar Dine. L’un de leurs responsables, Ahmad Al Faqi Al Mahdi, a été arrêté puis jugé par la Cour Pénale Internationale (CPI) et condamné Lien externeà neuf ans de prison en septembre 2016 pour des actes de destruction du patrimoine. Une première dans l’histoire de la justice internationale.
Maire de la ville malienne, Aboubacrine Cissé a fait le point sur la restauration des mausolées, aussi vénérables que toujours vénérés: «Ces monuments, c’est la vie, ce sont les racines. Leur reconstruction est un regain de vie.»
Des destructions qui peuvent aussi être le fait d’Etats, comme l’a raconté une autre signataire de la déclaration. Co-maire de Sur, une municipalité de la région métropolitaine de Diyarbakir dans la région majoritairement kurde de Turquie, Fatma Sik a été déchue de ses fonctions en 2016 par l’Etat turc, comme des dizaines d’autres collègues kurdes, suite à la reprise des combats entre l’armée turque et les rebelles kurdes du PKK. Depuis lors, elle a trouvé refuge en Suisse.
Venant de la Place des Nations devant le siège genevois de l’ONU où elle mène avec d’autres militants kurdes une grève de la faim depuis le 19 mars pour protester contre l’offensive turque à Afrine, en Syrie, Fatma Sik a souligné qu’une centaine de bâtiments historiques ont été détruits à Sur. Un ravage mis en lumière par une expositionLien externe à Genève.
C’est bien la force de cette déclaration et de l’alliance des villes que ses promoteurs comptent développer, que de lier la protection du patrimoine culturel aux diverses communautés qui y vivent. Ces vestiges du passé constituent des «ressources essentielles leur permettant d’exercer leurs droits culturels, de développer leurs capacités de créativité et de résistance, et de dialoguer par-delà leurs différences en partageant leurs mémoires respectives pour vivre ensemble et construire collectivement l’avenir», souligne la déclaration.
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À la guerre comme à la paix
L’enjeu est également palpable dans les pays en paix, au Nord, comme au Sud, comme l’écrivent les auteurs de la Déclaration: «Les destructions, légales ou illégales, sont également la conséquence de politiques de développement non durables, qui ne prennent en compte, ni les aspirations, ni les droits humains des personnes.»
Raison pour laquelle les partenaires du Nord (Genève, Strasbourg, Lund et Vienne) et du Sud de la Déclaration se placent sur un pied d’égalité entre municipalités Loin du paternalisme qui transpire parfois des actions de protection du patrimoine et des traités inter-étatiques et organisations qui les portent. C’est en tout cas l’espoir qu’a exprimé le père de cette initiative, le maire de Genève Rémy PaganiLien externe. Un esprit auquel s’est associé le Haut-commissaire aux droits de l’homme Zeid Raad al-Hussein dont il a salué l’ «approche innovante».
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Les Eglises appellent au secours en Irak
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Plus d’un million de personnes ont été déplacées en Irak. Selon le Conseil œcuménique des Eglises (COE), il est urgent d’offrir une assistance humanitaire aux chrétiens d’Irak, qui sont martyrisés par les extrémistes islamistes.
Pour Peter Prove, un représentant du Conseil Œcuménique des Eglises, la situation en Irak n’est plus tenable. Les chrétiens et les autres minorités du pays victimes de persécution de la part de l’Etat Islamique, le groupe djihadiste sunnite auparavant nommé ISIS, ont besoin d’être protégés. Il faut leur offrir de l’aide.
Les chrétiens de Mossoul sont établis en Irak depuis des siècles. Mais, depuis 2003 et la chute du régime de Saddam Hussein, leur nombre n’a fait que de diminuer. Auparavant, près de 30'000 chrétiens vivaient dans cette ville située au nord du pays. Au moment où les extrémistes islamistes se sont emparés de la cité, quelques milliers y étaient encore établis. Mais, aujourd’hui, il n’y a plus qu’une poignée de familles qui habite encore à Mossoul. Les violences les ont tous fait fuir.
swissinfo.ch: D’après vos sources, qu’est-il exactement en train de se passer dans la région?
Peter Prove: Nous avons reçu une série de rapports de la part des leaders des églises affectées sur le terrain. Ces personnes nous ont fourni des photos de maisons chrétiennes et chiites marquées par les combattants islamistes, ainsi que de nombreux témoignages sur les menaces qui planent sur les minorités religieuses.
Les chrétiens, en tout particulier, sont forcés de se convertir à l’Islam. Ils ne peuvent y échapper uniquement sous d’extrêmes conditions: ils doivent soit payer une taxe spéciale ou quitter la ville en laissant toutes leurs possessions derrière eux. Ils se font aussi parfois simplement exécuter.
Résultat: toute la population chrétienne de la région a été obligée de fuir. Il y a énormément de réfugiés internes en Irak, une grande partie d’entre eux se sont rendus dans la région autonome du Kurdistan. Et les chrétiens ne sont pas les seules victimes, toutes les autres minorités vivent le cauchemar. On assiste à une refonte complète de l’architecture sociale de l’Irak – ou du moins des régions contrôlées par l’Etat Islamique. Tout le pays est uniformisé. Toute diversité est agressivement attaquée et expulsée.
Le Conseil Œcuménique des Eglises a été fondé en 1948 et est basé à Genève. Son but est d’unir les différentes communautés chrétiennes. Fin 2013, le COE comptait 345 églises membres et représentait plus de 500 millions de chrétiens. L’Eglise catholique romaine n’en est pas membre, mais maintient des contacts réguliers avec le groupe. Un groupe de travail conjoint se réunit annuellement.
swissinfo.ch: Que fait le Conseil Œcuménique des Eglises pour aider, alerter et sensibiliser les gens à la situation?
P.P.: Tout comme le reste de la communauté internationale, nous nous sentons impuissants face à une telle violence. La crise est si extrême et évolue si rapidement… Les médias internationaux font un excellent travail pour rapporter l’information et parler de la crise. Nous en sommes très reconnaissants. Mais le message sur la gravité de la situation et son impact concret pourrait être amplifié. Si la pression médiatique augmente, il sera plus facile d’appeler à une action directe et immédiate de la communauté internationale.
Il faut néanmoins faire attention. Malgré l’urgence de la crise en Irak, le Conseil Œcuménique des Eglises estime qu’une intervention militaire est systématiquement la pire méthode pour résoudre une crise. Il s’agit d’un moyen de dernier recours. Observez le résultat des dernières interventions militaires dans la région… La seule qu’elles ont réussi à faire est de fomenter les extrémistes.
Le pluralisme religieux et la coexistence pacifique ne peuvent exister que grâce au dialogue et à une coopération mutuelle. Malheureusement, dans le cas présent, il nous semble impossible de parler avec les membres de l’Etat Islamique. Il faut lancer une intervention humanitaire pour protéger les minorités et lutter contre ce mouvement extrémiste.
Nous ne savons pas encore exactement comment lutter contre l’Etat Islamique et ses dérives. Nous sommes en train d’étudier la question avec nos membres et avec d’autres organisations internationales. Le sauvetage de la communauté Yazidi, prise au piège sur le Mont Sinjar, grâce à une opération militaire bien ciblée, était notamment une intervention remarquable.
swissinfo.ch: Le Conseil Œcuménique des Eglises a écrit une lettre ouverte à l’ONU sur la situation en Iraq. Qu’attendez-vous des Nations Unies?
P.P.: Les Nations Unies sont le meilleur moyen d’obtenir une action collective pour répondre à l’urgence de la situation. Et ceci même si nous sommes conscients qu’il est très compliqué de trouver un accord entre cette énorme communauté de pays.
Il est clair que l’ONU doit être l’organisation clé qui finance, organise et coordonne une opération qui serait lancée pour protéger les communautés martyrisées. En plus de cela, l’action de l’ONU aurait un poids politique. En lançant une action commune, sans mettre à l’écart des groupes sur une base sectaire, l’organisation enverrait un message fort: l’humanité, malgré sa diversité, peut être unie face à la discrimination.
Début juin, la Suisse a augmenté son soutien financier à ses partenaires en Iraq de CHF 3,7 millions à CHF 8,6 millions. Il s’agit de fournir une aide alimentaire et matérielle aux personnes déplacées du nord de l’Irak, spécialement les enfants et les familles, selon un communiqué du Département Fédéral des Affaires Etrangères daté du 15 août. En plus de cela, trois experts du Corps suisse d’aide humanitaire ont été déployés auprès des Nations Unies pour renforcer la réponse humanitaire au nord de l’Irak. D’autres déploiements sont actuellement à l’examen. Le communiqué précisait que la situation rend la Suisse «très inquiète» et que le pays condamne les sérieuses violations du droit international. Le pays appelait l’Iraq à redoubler d’efforts pour rétablir l’Etat de droit et le respect des droits humains dans le reste du pays.
swissinfo.ch: Le COE a initié un dialogue religieux. Mais est-ce que les religions peuvent cohabiter pacifiquement? Comment le faire?
P.P.: Historiquement, le Moyen-Orient est le meilleur exemple de pluralisme religieux, social et ethnique. Cela a même longtemps été une force de la région: toutes ces communautés avec des croyances religieuses et des racines sociales différentes, issues d’ethnies diverses, ont créé un patrimoine unique au monde. Et, aujourd’hui, cet héritage est en grave danger.
Les sociétés du Moyen-Orient vont devenir tellement plus pauvres, plus faibles et plus instables sans ce pluralisme. Tous ces différents groupes sont séparés, et des sociétés monolithiques sont en train d’être créées. Même des membres de notre propre organisation appellent à établir des provinces chrétiennes au Kurdistan, car ils ont peur des autres groupes ethniques et religieux.
Je peux comprendre cette crainte étant donné la gravité de la situation actuelle. Mais cela serait une bien triste solution. En un clin d’œil, on assisterait à la destruction du riche héritage culturel et social du Moyen-Orient, qui a pourtant pris des siècles à bâtir.
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