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Patti Smith au Tessin, entre rock et poésie

Patti Smith devant Hermann Hesse au Musée consacré à l'écrivain allemand. Keystone

Grande figure de la musique rock des années 70 et 80, Patti Smith a fait halte à Lugano mercredi et jeudi. Après un concert donné mercredi soir, l'artiste s'est rendue jeudi au Musée Hermann Hesse de Montagnola pour une lecture de ses poèmes et des passages de son dernier livre, «Just kids». Entretien.

Patti Smith n’a rien d’une sexagénaire. A bientôt 64 ans, l’icône de toute une génération, celle qui a été surnommée «la prêtresse maudite du rock», conserve l’énergie et la décontraction de sa jeunesse.

Longiligne, presque maigre, vêtue d’un paletot noir, ses longs cheveux retenus en petites tresses et parsemés de quelques mèches grises, la rockeuse déborde d’optimisme et de joie de vivre.

swissinfo.ch l’a rencontrée lors de sa visite au Musée Hesse, dernière demeure du grand écrivain allemand qui y a vécu de 1919 à 1962, année de sa mort.

swissinfo.ch: Vous êtes de retour à Lugano six ans après votre première visite lorsque vous aviez donné un concert à Montagnola, en hommage à Hermann Hesse. Aujourd’hui votre venue coïncide avec l’exposition que le Musée d’art de Lugano consacre au photographe Robert Mappelthorpe, compagnon de vos jeunes années. Ressentez-vous de la nostalgie à l’évocation de cette période de votre vie?

Patti Smith: Je ne suis pas une nostalgique, même si j’ai survécu à un grand nombre d’amis artistes, prématurément disparus comme Robert Mapplethorpe justement. Je suis heureuse d’avoir pu aider à mettre sur pied l’exposition de ses photos au Musée d’art de Lugano, un musée spécial, intime qui m’a beaucoup plu.

L’exposition provient de la Galleria dell’accademia de Florence, où je l’avais inaugurée en mai dernier. Bien sûr les photos de Mapplethorpe représentent une partie de ma vie et me touchent beaucoup, mais je vis dans le présent et je me projette encore dans l’avenir.

Maintenant, si j’ai décidé d’écrire un livre, «Just kids», sur ma vie avec Robert dès la fin des années soixante, ce n’est pas seulement pour rendre hommage à un grand artiste mort trop tôt mais aussi parce que je le lui avais promis. Personnellement, je prends toujours la vie du bon côté, je cultive des pensées positives qui me donnent l’énergie dont j’ai besoin dans mon métier.

J’ai connu Robert à mon arrivée à New York, nous avions les deux tout juste 22 ans. Nous avons donc grandi ensemble. Robert a réussi à me transmettre l’immense confiance qu’il avait en lui et je lui en serai toujours reconnaissante.

swissinfo.ch: Après une longue éclipse, vous êtes retournée à la musique au milieu des années 90 suite à la mort de votre mari. Les choses avaient-elles changé?

P.S.: Le concert de mercredi soir à Lugano, devant une salle comble et où j’ai vu beaucoup de très jeunes spectateurs, m’a beaucoup émotionnée. J’ai été très heureuse de jouer devant un public stimulant.

Ceci dit, ma façon de faire de la musique s’est un peu adoucie, je suis devenue plus romantique et mes textes sont plus poétiques que par le passé.

swissinfo.ch: Votre passion pour Hermann Hesse est plutôt singulière pour une rockeuse…

P.S.: Hermann Hesse m’a influencée dès mon plus jeune âge. J’ai toujours admiré son œuvre et j’aurais voulu écrire aussi bien que lui. Sa puissance, son énergie, sa vitalité ont aussi été un exemple pour moi.

C’est la deuxième fois que je visite ce musée qui était sa demeure, et me retrouver dans la pièce où il a écrit ses plus beaux romans, pouvoir toucher sa machine à écrire – une «Smith» comble d’ironie – et entrer dans son intimité est une sensation très forte, pleine d’émotion. Je me sens proche de lui, culturellement et psychologiquement.

swissinfo.ch: Vous mettez à profit votre halte au Musée Hesse pour lire certains de vos poèmes. C’est un autre défi?

P.S.: La musique me donne le tonus qui me sera nécessaire pour faire partager ce que j’écris à mon auditoire. Je ne sais pas encore précisément quels poèmes je lirai, cela dépendra de la réaction du public, de leurs requêtes. Je partagerai aussi certains passages de mon dernier livre avec les auditeurs.

swissinfo.ch: Comment ressentez-vous la société actuelle, vous arrive-t-il encore de vous révolter, de vouloir changer le monde?

P.S.: Davantage que les idées, les gens peuvent faire changer le monde. Il faudrait pouvoir créer un mouvement collectif… Mais si les gens ne bougent pas, rien ne changera jamais. Chaque être humain peut faire quelque chose, dans la mesure de ses moyens. Nous devons apprendre à mieux interagir, à intervenir les uns envers les autres afin de parvenir à faire de grandes choses. Même si, face à la puissance de qui nous gouverne, les manifestations et les protestations ne servent pas à grand chose.

swissinfo.ch: Vous avez souvent été critique face à la politique de votre pays. Que pensez-vous aujourd’hui de l’administration Obama? Voyez-vous un changement positif?

P.S.: N’oublions pas que Barack Obama a hérité de huit ans d’administration Bush. Il se trouve donc devant une tâche difficile. Mais il représente la nouveauté, la jeunesse, le dynamisme. Je ne suis pas forcément d’accord avec tout ce qu’il entreprend mais nous – mes compatriotes et moi-même – devons lui laisser le temps de travailler. Obama est un type bien et nous devons être plus patients avec lui.

Gemma d’Urso, Montagnola, swissinfo.ch

Patricia Lee Smith, Patti, est née le 30 décembre 1946 à Chicago. Chanteuse à la voix rauque, musicienne et poétesse, elle foule les planches depuis l’âge de 28 ans.

Flanquée depuis ses débuts du guitariste Lenny Kaye, elle se produit encore avec lui actuellement comme cela a été le cas lors du concert donné mercredi soir à Lugano.

En 1975, l’album «Horses» projette Patti Smith sur le devant de la scène musicale internationale. Passionnée et visionnaire, elle lance un rock nu et électrique, défini «punk» par d’aucuns.

Ecrite avec Bruce Springsteen, «Because the night» la place à la tête des hit-parades.

En 1979, après une tournée triomphale en Italie, Patti Smith crée la surprise en annonçant son retrait de la scène. Elle épouse le guitariste des MC5 Fred «Sonic» Smith dont elle a deux enfants, Jackson en 1981 et Jessica en 1987.

En 1988, elle sort de sa retraite pour publier l’album «Dream of Life» qui connait un succès mitigé. La chanteuse ne fera plus parler d’elle jusqu’en 1996 lorsqu’elle produit l’album «Gone again», dédié à son mari mort d’une crise cardiaque en 1994. Patti Smith remonte aussi sur les planches et se produit sur les scènes du monde entier.

En 2005, pour le trentième anniversaire de la publication de «Horses», elle propose une nouvelle version de son album.

Auteur de livres et recueils de poèmes aussi, Patti Smith raconte dans son dernier ouvrage, «Just kids», sa relation avec le photographe américain Robert Mapplethorpe, mort du sida en 1989 à l’âge de 42 ans. La traduction allemande du livre vient de paraître, les versions française et italienne suivront à l’automne.

Ouvert en 1997 dans les locaux de la «Torre Camuzzi», aile de la demeure du même nom où Hermann Hesse vécut de 1919 à 1931 avant de s’installer dans une autre maison, à Montagnola toujours, le Musée est dirigé par Regina Bucher.

Il expose, sur trois étages, les photographies, écrits personnels, documents et objets du grand écrivain allemand, naturalisé suisse et Prix Nobel de littérature.

Sis au coeur de la localité, le musée offre une vue plongeante sur le lac de Lugano. Il propose aussi un vaste programme d’expositions temporaires, de conférences et de séances hebdomadaires de lecture en allemand et italien. Ouvert de février à novembre, le Musée Hesse accueille des visiteurs venus du monde entier.

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