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Peintre de la guerre du Paraguay, Adolf Methfessel sort de l’ombre

Methfessel
Représentation de la bataille de Paso Pacù (1866), tirée de l’«Álbum Methfessel - Escenas de la Guerra del Paraguay». Museo Larreta

C’est un travail resté largement méconnu du grand public durant de longues décennies. Une exposition montée à Buenos Aires met en lumière l’œuvre picturale ambigüe d’Adolf Methfessel, ce peintre suisse qui a mis des images sur une guerre terrible dans l’Amérique du Sud du 19e siècle.

La vie d’Adolf Methfessel a tout de l’énigme. Son existence n’est pas même évoquée par Wikipédia.

L’homme était un artiste polymorphe et son œuvre a pris corps sur le continent sud-américain, où il a montré de multiples facettes: naturaliste, architecte, paysagiste, archéologue, explorateur de la faune et de la flore sud-américaine. Mais aussi peintre de guerre.

A travers la peinture, Methfessel a laissé filtrer son ancrage émotionnel en Suisse, son pays d’origine. L’artiste est né à Berne en 1836. Plus tard, en 1864, il s’installe en Argentine, diplôme d’architecte-paysagiste en poche. Pourquoi cette émigration vers l’Argentine? Sa biographie ne le dit pas.

«Les raisons qui l’ont conduit en Argentine ne sont pas connues. Il est possible qu’elles soient liées à l’image que l’Argentine promouvait à l’étranger: un pays en construction, une terre de chances», explique à SWI swissinfo.ch Leontina Etchelecu, curatrice de l’exposition du Musée LarretaLien externe.

A l’époque, l’Argentine est une nation jeune en quête de forces vives sollicitées sur le Vieux continent. Onze ans avant l’arrivée du Suisse, la première constitution argentine contient déjà un article toujours d’actualité indiquant que «le gouvernement fédéral encouragera l’immigration européenne et ne pourra restreindre, limiter ni taxer l’entrée sur territoire argentin des étrangers dont l’objectif est de travailler la terre, améliorer les industries, introduire et enseigner les sciences et les arts».

Adolf Methfessel, Adolfo depuis son arrivée en Argentine, débarque donc dans un pays qui lui ouvre grand les bras.

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«Paraguayos emboscados» (Paraguayens en embuscade). Durant la guerre, Methfessel a utilisé des techniques de peintre naturaliste pour des scènes de bataille. Museo Larreta

Buenos Aires, une ville de promesses loin de la réalité

Beaucoup d’historiens indiquent qu’entre 1860 et 1870, Buenos Aires change de dimension pour devenir un ville. Methfessel arrive en pleine transition. Une cité mal définie, entre réalités coloniales et industrielles, où la préférence croissante des élites pour les biens matériels et culturels européens entre en contradiction avec les conditions de vie essentiellement médiocres de la majorité. Buenos Aires est une cité où les promesses de richesse que l’on fait miroiter aux personnes candidates à l’immigration s’effacent vite à l’arrivée du bateau au port.

Methfessel fait partie des chanceux. Son titre universitaire et ses origines maçonniques lui ouvrent la porte des clubs exclusifs de la ville, autant de sociétés d’hommes d’affaires et de professionnels qui comptent de nombreux étrangers éduqués. Il comprend vite qu’en ce milieu du 19e siècle, on s’intéresse surtout aux zones limitrophes, autrement dit, aux frontières.

Au moment où Adolf Methfessel débarque à Buenos Aires, à mille kilomètres plus au nord, éclate le conflit le plus sanglant de l’histoire latino-américaine: la guerre de la Triple alliance ou Grande guerre.

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Les représentations de Methfessel sont emplies d’ambiguïté. Elles exaltent l’effort de guerre patriotique tout en ne cachant rien des aspects les plus crus et sanglants du conflit. Museo Larreta

Ce conflit armé oppose le Paraguay à l’Argentine, au Brésil et à l’Uruguay. Le déclencheur est un coup d’État qui voit un groupe de libéraux uruguayens, appuyés par le Brésil, renverser le gouvernement fédéral de l’Uruguay, allié de son homologue paraguayen.

Ce dernier intervient pour défendre le pouvoir déchu et allume une confrontation avec les trois pays voisins, alliés pour la défense de politiques commerciales libérales et opposés à la diffusion de modèles économiques autonomes dans la région (à l’exemple du Paraguay).

Six ans durant, la guerre se fait aussi inégale qu’impitoyable. Selon diverses sources, au terme du conflit, le Paraguay a perdu 60% de sa population et plus de 90% des hommes adultes. C’est de ce massacre dont est témoin le peintre suisse.

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Portrait de prisonniers paraguayens capturés à la bataille de Loma Valentina. Museo Larreta

La guerre, prétexte à la création artistique

Methfessel n’y va pas comme soldat mais comme professionnel. Dans les clubs de gentlemen de la capitale, le Suisse a fait la rencontre du général Bartolomé Mitre, président de la république argentine et commandant des armées alliées. Ce dernier l’a présenté à quelques hommes d’affaires intéressés à faire du profit dans le cadre du conflit, avec la vente aux troupes associées d’une vaste gamme de produits – des crayons aux armes en passant par les vêtements.

Prêt à l’aventure (sans oublier crayons et cahiers), en quête de travail, le Suisse part pour les champs de bataille, dans la jungle, en tant que délégué commercial.

«Nous sommes accompagnés par le señor Adolfo Methfessel (sic). Ce jeune homme est le seul à suivre l’armée alliée, à dessiner en tout site conquis par nos armes, à dresser des plans, à esquisser des croquis des batailles…», publie en mai 1869 le journal La Tribuna de Buenos Aires, un des nombreux médias couvrant les avatars de la guerre. C’est donc presque par hasard, alors qu’il œuvre comme commerçant, que Methfessel devient chroniqueur de guerre.

Ses dessins témoignent d’expériences très variées vécues durant le conflit. Methfessel montre en vision panoramique un camp brésilien installé au bord d’une rivière à Villeta, la marche des troupes argentines à travers la jungle, mais aussi les combats entre soldats brésiliens et paraguayens dans la fumée et les éclats d’obus. Ou encore l’image dévastatrice de militaires argentins au repos dans les ruines d’une église de la ville paraguayenne d’Humaitá.

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Intérieur de l’église de Humayatà. Museo Larreta

Ces œuvres, visibles dans l’exposition du Musée Larreta, accordent une place aussi à une certaine intimité. Avec le dessin qui représente la caserne du général Mitre à Tuyutí, par exemple, où la calme règne, sans doute avant la bataille de Tuyutí, la plus imposante de l’histoire sud-américaine, qui a mis aux prises 70’000 hommes et fait plus de 20’000 morts.

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La caserne du général B. Mitre à Tuyuti. Museo Larreta

Appartient aux œuvres les plus remarquables de Methfessel le diptyque «Mucho buen tiempo / Mucho mal tempo». Un tableau et deux scènes: à gauche, des soldats boivent tout en pêchant au bord de la rivière, à droite, un soldat paraguayen s’abrite de la pluie sous un arbre alors que des soldats, dans son dos, sont sur le point de l’attaquer.

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«Mucho buen tiempo / Mucho mal tempo» Museo Larreta

Les dessins du Suisse sont publiés à Buenos Aires en pleine guerre, anticipant les fameuses peintures documentaires panoramiques de l’artiste argentin Cándido López.

En 1869, tandis que le Paraguay s’achemine vers la défaite, la société Litografia Pelvilain publie L’«Álbum Methfessel», qui réunit vingt planches montrant pour la première fois ses images «prises sur le vif».

L’album se vend bien. Les images nourrissent la ferveur patriotique de certains, éveillent le sentiment d’horreur et l’indignation d’autres. En Argentine, le guerre fait l’objet de vives critiques qui demeurent d’actualité à ce jour.

En définitive, les œuvres de Methfessel et la trentaine d’aquarelles réalisées vingt ans après le conflit auront contribué à documenter les atrocités du conflit.

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«La gloriosa caballeria del General Osorio [Brasil] en la Batalla de la Villeta (Avay)» Museo Larreta
bataille d'Avay
La bataille d’Avay brossée en 1877, neuf ans après les faits, par le peintre brésilien Pedro Américo. Ce dernier voulait montrer les horreurs de la guerre. Le rendu d’Adolf Methfessel est plus immédiat, l’artiste ayant été témoin du conflit. By Pedro Américo – Google Arts & Culture

Le retour en Suisse

Débarqué à 28 ans à Buenos Aires, Methfessel rentre définitivement en Europe à 68 ans. En Argentine, témoin de la guerre la plus sanglante de la région, il a aussi étudié l’archéologie, dirigé deux expéditions dans la province de Catamarca, dessiné la première version du Parc du 3 février de Buenos Aires en y imprimant des éléments de style européen aujourd’hui emblématiques de la ville. Il a voyagé dans certaines régions inhospitalières du pays, consignant les aspects scientifiques de ce qu’il y observait, illustrant en peintre naturaliste les beautés naturelles argentines.  

De retour en Suisse, Adolf Methfessel continue à figurer ce qui l’environne. S’agissant de sa ville natale, il choisit la rétrospective documentaire. Il se laisse aller à la nostalgie et représente Berne avec les ponts et bâtiments présents avant son départ, démolis depuis. Ces œuvres tardives sont également exposées au Musée Larreta, de même qu’une figuration de l’hôpital où il meurt en 1909, à 73 ans.

Panorama de los Alpes franceses- Acuarela- ca1902
De retour en Suisse, Adolf Methfessel s’est consacré à la peinture naturaliste et paysagiste, délaissant le registre et la scène artistique. La guerre du Paraguay est son unique viatique pour la postérité. Tomás Guarnaccia

Texte relu et vérifié par Eduardo Simantob, Carla Wolff et Patricia Islas / traduit de l’espagnol par Pierre-François Besson

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