Christoph Blocher, versant collectionneur
Connu avant tout pour son action politique, l’ancien conseiller fédéral est aussi un amateur d’art avisé. Il possède de très nombreux tableaux de maîtres, chefs-d’œuvre de la peinture suisse du XIXe et XXe siècle. Sa collection privée est présentée à la Fondation Gianadda, à Martigny. Deux géants la dominent: Albert Anker et Ferdinand Hodler.
Léonard Gianadda est un homme heureux. Dans sa Fondation, sise à Martigny (Valais), il héberge jusqu’au 14 juin prochain des «Chefs-d’œuvre suissesLien externe» provenant de la très riche collection de Christoph BlocherLien externe, homme d’affaires alémanique, ancien conseiller fédéral de l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice).
Au public qui s’est déplacé malgré le froid glacial de cette matinée d’hiver, Léonard Gianadda réserve un accueil chaleureux. Dans le grand hall, nous discutons avec lui et des visiteurs ravis s’approchent pour le remercier. «Voyez, ces gens sont reconnaissants, c’est une grande joie pour moi», nous confie-t-il.
L’exposition révèle avec éclat les visages d’une Suisse croquée par les plus fins peintres helvétiques: Alexandre Calame, Ernest Biéler, Édouard Castres, Adolf Dietrich, Alberto Giacometti, Giovanni Segantini, Félix Vallotton… À leur tête, deux géants: Ferdinand HodlerLien externe et Albert AnkerLien externe, auteurs des deux tiers des tableaux exposés. Cent vingt-sept œuvres au total ornent les cimaises de la Fondation, avec une variété de styles (impressionniste, réaliste, figuratif) et de thèmes (paysages, portraits, natures mortes, scènes de la vie quotidienne).
Nostalgie des vieilles valeurs suisses
S’il fallait à tout prix un dénominateur commun aux toiles présentées, il se déploierait dans ces valeurs bien suisses: sobriété, quiétude, piété, labeur, sens du devoir, discipline… «Tout ce qui fait, en somme, l’unité de cette collection et la vision de son propriétaire», nous confirme Matthias Frehner, commissaire de l’exposition. Une partie de la collection Blocher avait été présentée à Winterthur en 2015. Les réactions furent vives.
«Christoph Blocher est tout simplement un amateur d’art et un collectionneur passionné.»
Matthias Frehner
Il faut préciser qu’aux yeux de certains critiques d’art et sociologues suisses, Christoph Blocher est un nostalgique des vieilles valeurs helvétiques, qu’il récupère à des fins nationalistes. L’essayiste lausannois Michel ThévozLien externe va même jusqu’à écrire: «On comprend que Christoph Blocher, tribun d’extrême-droite, milliardaire (…), ait jeté prioritairement son dévolu sur cette œuvre (celle d’Albert Anker précisément, ndlr) qui célèbre une Suisse primitive conforme à ses fantasmes».
La charge est lourde. Pour Matthias Frehner, «Christoph Blocher est tout simplement un amateur d’art et un collectionneur passionné. Je ne vois pas chez lui un lien entre art et politique. Ce lien est à l’œuvre dans les tableaux d’Anker, oui, mais il faut le placer dans une perspective historique – à ne pas confondre avec notre époque. Au moment où Anker peint, l’État fédéral, né en 1848, est encore jeune et connaît des bouleversements sociaux. Le peintre compose alors ses scènes en s’inspirant des faits du moment; nous sommes dans les années 1860-1870».
Éducation et conscience civique
La presse occupe à cette époque-là une place importante dans la vie quotidienne suisse. Une opinion se forme, elle fait valoir les droits populaires. Anker traduit en images la réalité. Emblématique à cet égard, sa série de tableaux dédiée, entre autres, à Feissli, le cordonnier d’Anet (commune du canton de Berne où le peintre a vécu). «Les paysans et le journal» ainsi que «Le Vieux Feissli lisant», font partie de ces toiles qui suivent le parcours d’un simple artisan attentif aux événements sociopolitiques. «Anker a représenté le cordonnier à plusieurs phases de sa vie comme prototype d’habitant confiant en la Suisse moderne», souligne Matthias Frehner.
À la conscience civique s’ajoutent l’éducation et l’attention familiale. Les toiles d’Anker consacrées à la vie scolaire et à l’enfance font merveille. Difficile de ne pas s’attendrir devant «Famille de réfugiés protestants» ou devant «L’école en promenade». Anker, lui-même théologien et père d’une famille nombreuse, observe les enfants avec un recueillement presque mystique.
Idylle alpine
Face à lui, dans le grand hall de la Fondation, Ferdinand Hodler dont les toiles suggèrent un autre mysticisme, inspiré par une nature à la pureté intacte. Hodler est l’auteur de toiles mémorables, mondialement connues, figurant notamment le lac Léman, le lac de Thoune, les Alpes, le «Paysage d’été du Pays-d’Enhaut», «Le pré de fleurs»… On touche ici à l’idylle alpine, autre trait caractéristique d’une Suisse éternelle, à laquelle est associé le respect du labeur. Pour preuve, «Le faucheur», «Le bûcheron», «L’orateur», portraits virils d’hommes qui exaltent la robustesse.
Paysagiste éminent à la plume ciselée, Hodler, tout comme son compatriote Félix Vallotton, compte au nombre de ces artistes accomplis jouissant aujourd’hui d’une renommée internationale. «Ce qui n’est pas le cas d’Albert Anker, regrette Matthias Frehner. Les collectionneurs suisses ont acheté tous ses tableaux. Résultat: on n’en trouve point dans les collections des grands musées du monde. C’est tragique! J’ai organisé il y a quelque temps une exposition sur Anker au Japon, ce fut un énorme succès. Mais les Japonais étaient persuadés qu’il était français!»
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