Peur du noir?
A Morat, Expo.02 nous propose de visiter «Blindekuh». Et de partager un long instant les sentiments que peut éprouver un aveugle. Obscurité totale.
Marcher dans un lieu clos, rien de plus facile. S’accouder à un bar, boire un verre, payer son dû? Pas plus compliqué. Quand on voit. Dans le noir le plus complet, les choses ne sont pas tout à fait aussi simples.
«Blindekuh» se traduit en français par «colin-maillard». A Morat, les visiteurs ont donc la possibilité de déambuler dans un espace noir. De s’y promener, en palpant les murs pour y trouver quelques objets inattendus, en écoutant différentes ambiances sonores.
Sur le sol, du gravier. Mais attention, une zone aussi aquatique qu’inattendue d’eau pourrait bien vous surprendre… Après la promenade, escale au bar. Dans la nuit totale, toujours.
Suivez le guide
La visite se fait, sur réservation, par groupe d’une quinzaine de personnes. Et chaque groupe est accompagné d’un guide. Aveugle. Le nôtre s’appelle Sylvan, il a perdu la vue à l’âge de neuf ans. Depuis, il ne voit rien. Même pas la moindre différence entre clarté et obscurité.
«Mais je ne vois pas noir, précise-t-il. Parce que j’ai des souvenirs. J’ai beaucoup de dessins dans ma tête, et j’en fait toujours de nouveaux. J’emploie mes souvenirs, et en fonction de ce que je sais de la situation où je me trouve, je les adapte.»
Sylvan sera guide à «Blindekuh» pendant toute la durée d’Expo.02, une expérience dont il semble heureux: «C’est une façon de montrer comment on peut voir sans les yeux, mais avec les mains, les pieds, les oreilles.»
De Zurich à Morat
«Un changement de rôle», selon Jürg Spielmann, auteur du projet et aveugle lui-même. «Le but principal est que voyants et non-voyants se rencontrent. Dans la vie quotidienne, il y a beaucoup de préjugés. On sous-estime les personnes handicapées, explique Jürg Spielmann. Dans l’obscurité, on a besoin de leur aide. Et on constate alors qu’elles sont des personnes ‘vollwertig’, avec la même valeur qu’une autre».
L’expérience s’inspire d’un restaurant zurichois, qui porte également le nom de «Blindekuh». Un restaurant où on mange dans l’obscurité, et où on peut ‘assister’ à différentes prestations artistiques.
Même démarche à Morat, où, le week-end, ont lieu des spectacles: animations sonores, mais aussi chanteurs et musiciens (Laurence Revey, Irène Schweizer, Marco Zappa) ou des conteurs (Franz Hohler, Jean-Louis Millet).
Instant et éternité
Fin de l’escale au bar. Nous avons payé nos consommations, non sans nous en être remis à la confiance: dans le noir, feriez-vous la différence entre un billet de 100 francs et un billet de 20?
Nous longeons un couloir, entrevoyons une lueur, qui, progressivement s’affirme. Lorsque nous débouchons à l’extérieur, la lumière explose. Eblouissante. Mais rassurante, aussi. L’expérience est terminée. Intéressante, et même joyeuse. Parce que momentanée. Pour Sylvan, l’obscurité reste de mise.
Le thème générique de l’arteplage moratois, c’est «Instant et éternité»… A sa manière, «Blindekuh» en est bel et bien une illustration.
swissinfo/Bernard Léchot
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