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Les Suisses courent à Arles, leur «enclave» dans le Midi

Le bâtiment nonante-neuf à Arles.
De par son seul nom, le «Nonante-neuf» est immédiatement identifiable comme un bâtiment suisse. Ou belge... Mathieu van Berchem

Le «Nonante-neuf», siège des Suisses aux Rencontres de la Photographie d’Arles, a déménagé au centre de la ville provençale. Les Suisses sont au cœur de 14 expositions. Histoire d’amour ou «colonisation»?

Le visiteur qui découvre en été la ville d’Arles, dans le sud de la France, sera surpris par la forte présence helvétique. Pendant les Rencontres photographiques qui viennent de démarrer, il pourra visiter les expositions du «Nonante-neuf», lieu suisse par excellence, puis se détendre sur une chaise longue estampillée «Sous les pavés, la Suisse». Il croisera des étudiants de l’Ecole de cinéma de LausanneLien externe (ECAL) et ceux de l’Ecole d’art de design de GenèveLien externe (HEAD). Et s’extasiera devant les œuvres des plus grands photographes suisses, notamment Robert Frank et René Burri. 

Chef de Présence SuisseLien externe, l’organisme du Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) chargé de promouvoir l’image de la Suisse, Nicolas Bideau recense pas moins de 14 expos suisses, ou en partie suisses, aux Rencontres photographiques d’ArlesLien externe, qui se déroulent jusqu’au 23 septembre. Mercredi, on pouvait même croiser dans les rues de la cité antique le maire de Genève, Sami Kanaan, et le nouveau membre du gouvernement cantonal genevois Thierry Apothéloz, venus inaugurer le nouveau «Nonante-neuf». 

Pourquoi la Suisse prend-elle ainsi ses quartiers à Arles en juillet? «Montrer des facettes moins connues de la création helvétique fait partie de notre mission», note l’ambassadeur Nicolas Bideau, responsable du Nonante-neuf. Les Français vont-ils finir par se lasser de cette surreprésentation suisse, ou croire à une nouvelle forme de «colonisation»?

Affiches contre une petite maison
Au Nonante-neuf, les affiches de mai 68 en Suisse et de ses lendemains, expo réalisée par la HEAD, Genève. Mathieu van Berchem

«Remarquez qu’il n’y a aucun drapeau nulle part», se défend Nicolas Bideau. Après s’être installé pendant trois ans dans les anciens ateliers des chemins de fer français (SNCF), le Nonante-neuf «squatte» désormais un ancien bâtiment artisanal et les logements décrépis qui le jouxtent. «C’est du provisoire, notre présence ici est nomade, bohémienne, arlésienne», insiste Nicolas Bideau. D’ailleurs, la Suisse exhibée sur les murs du Nonante-neuf est assez inattendue: des affiches de mai 68 et ses lendemains à Genève, Lausanne ou Zurich.

Des inédits de Robert Frank

Mais la Suisse n’est pas qu’au 99. Cette année, l’exposition phare rend hommage à Robert Frank. «Notre partenariat avec la Suisse ne consiste pas à programmer des artistes helvétiques», tient à préciser le directeur des Rencontres, Sam Stourdzé, comme pour devancer tout soupçon d’«helvétophilie» enragée. Avant d’être suisse, Robert Frank n’est-il pas l’un des fondateurs du photo-reportage et l’auteur illustre des «Américains»?

Homme noir au milieu de Blancs à un arrêt de bus
Robert Frank, Arrêt de bus, Detroit, 1955. Collection Fotostiftung Schweiz, Winterthour

A Arles, on découvre le Robert Frank d’avant «Les Américains». Ses reportages un dimanche de landsgemeinde (le vote des hommes à mains levées sur la place du village) à Hundwil (Appenzell Rhodes-Extérieures). Ils ne seront jamais vendus, malgré les efforts de son agence, Magnum. Ce fils de Juif allemand «qui a mis des années avant d’obtenir sa naturalisation suisse», note le commissaire de l’exposition Martin Gasser, file aux États-Unis à la fin des années 1940. Et rencontre les grands photographes américains d’alors, Walker Evans et Edward Steichen.

Sa bourse Guggenheim en poche, Robert parcourt le pays, fait 28’000 clichés, en tire 1000, en choisit finalement 83. Et publie, d’abord en France, chez Robert Delpire, ses «Américains». «Beaucoup d’Américains seront choqués par ce miroir que Frank leur tendait, note Martin Gasser. Ils refusaient de s’y reconnaître et de voir le racisme et le consumérisme de la société américaine.» Aujourd’hui, ses clichés se vendent pour plus de 600’000 dollars. Chez Robert Frank, 93 ans, qui vit toujours entre New York et sa cabane de la Nouvelle Ecosse au Canada, Martin Gasser a retrouvé une vingtaine de clichés dont le photographe n’avait pas voulus à l’époque, faute de place, et qui sont présentés à Arles. 

L’influence de la famille Hoffmann

En quittant Arles, le visiteur verra depuis la gare un bâtiment en construction un peu disproportionné dans cette ville à peine plus grande que Zoug. C’est le futur centre international dédié à la culture et à la recherche que construit, sur les anciens ateliers de la SNCF, l’architecte américain Frank Gehry, pour la Fondation LumaLien externe. Derrière cette fondation tentaculaire, une Bâloise presque née à Arles, Maja Hoffmann, héritière des labos pharmaceutiques (Roche).

Son père, Luc Hoffmann, s’est installé à Arles dans les années 1950. Depuis, Maja, sa sœur Vera Michalski et son frère André sont de tous les grandes réalisations culturelles et scientifiques de la région: Fondation Van Gogh, dirigée par une Zurichoise, Bice Curiger, Fondation Luma, station biologique de Camargue, etc.

L’influence de Maja Hoffmann à Arles déborde largement des anciens ateliers SNCF. C’est en désaccord avec les projets de la Fondation Luma que l’ancien directeur des Rencontres de la Photographie, François Hébel, a démissionné en 2014. Peut-être parce qu’il connaît bien la Suisse – il a dirigé le Musée de l’Elysée à Lausanne – son successeur, Sam Stourdzé, s’entend mieux avec Maja.

Pour la Confédération, Maja Hoffmann peut aussi, occasionnellement, servir de relais. Le Président de la Confédération, Alain Berset, cherchait depuis longtemps à rencontrer la ministre française de la Culture, Françoise Nyssen. Maja Hoffmann a servi d’intermédiaire et la rencontre s’est faite, chez elle.

Les triangles de René Burri à Arles

Une exposition rend hommage à un autre grand photographe suisse, René Burri, décédé en 2014. 

Burri sort d’un premier voyage en Egypte en 1958 obsédé par les figures pyramidales. Des triangles qu’on va retrouver dans beaucoup de ses photos: un cerf-volant dans l’Allemagne après-guerre, un chapeau vietnamien en pleine guerre, une échelle ouverte, un escalier. Dans chacun de ses clichés, le triangle devient beaucoup plus qu’une forme géométrique.  

Fallait-il accrocher aussi sa célèbre et sublime photo de Sao Paolo, où l’on voit des hommes en noir marcher sur le toit d’un immeuble ? «Sam Stourdzé, le directeur des Rencontres d’Arles, hésitait, mais je n’y ai pas vraiment vu de triangle, alors nous avons renoncé», témoigne sa veuve, Clotilde Blanc-Burri.

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