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Pipilotti Rist, vidéaste et passionaria verte

Les mimiques de Pipilotti Rist à Genève, avant la projection d'Histoires de droits de l'homme swissinfo.ch

Avec Je bois l'eau de ton bain, la vidéaste suisse Pipilotti Rist a réalisé l'un des 22 courts métrages projetés à Genève pour les 60 ans de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Rencontre avec une artiste aussi fraiche, positive qu'engagée.

Histoires de droits de l’homme égrène 22 courts métrages imaginés par des artistes du monde entier. Ce foisonnement de regards originaux éclaire et questionne la Déclaration universelle des droits de l’homme et ses 6 chapitres (culture, développement, dignité et justice, environnement, genre et participation).

Cette production de l’association Art for The World mandatée par le Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’homme a été projetée à Genève et à Paris le jour anniversaire de la Déclaration. Une sélection de ces courts métrages sera également l’un des événements de la session spéciale du Conseil des droits de l’homme co-organisée par la Suisse.

Artiste reconnue internationalement, Pipilotti Rist évoque son engagement et ses dernières œuvres qui explorent les sources de la nature humaine.

swissinfo: A quand remonte cet engagement en faveur des droits humains?

Pipilotti Rist: Depuis que je suis venue au monde (rires). Mes parents ont joué un grand rôle. Je me souviens de l’année 1972, quand les femmes ont obtenu le droit de vote en Suisse. Mon père s’est placé devant la télévision en nous lançant: «Ne regardez pas cette nouvelle. Je suis tellement désolé que ce résultat arrive si tard». Mes parents ont toujours été concernés par ces questions que ce soit l’égalité hommes-femmes, les relations Nord-Sud ou la liberté d’expression.

Je suis membre d’Amnesty International depuis très longtemps. Mais je n’ai pas une activité de militante au sens strict du terme. J’essaye d’appliquer dans ma vie de tous les jours les principes de la Déclaration universelle des droits de l’homme, en traitant par exemple de la même manière une nettoyeuse ou un directeur. Je suis bien consciente qu’ici, nous avons une vie très privilégiée et que la Suisse est, en quelque sorte, un atelier protégé.

Cela dit, mon travail n’a pas directement affaire avec des questions politiques. Les sujets que j’aborde – l’amour, la douleur, l’identité – ne disparaitraient pas, si le monde était équitable. Mais on ne peut s’en préoccuper qu’une fois nos besoins fondamentaux satisfaits.

Je me rends bien compte que mon art est une forme de refuge dans l’imaginaire. Je cherche plus à exprimer mes rêves et mes désirs que mes détestations. Très tôt, j’ai décidé de formuler positivement, voire naïvement mes propositions artistiques. Je n’évacue pas la souffrance du monde ou la mort, mais elles ne sont pas au centre de mes travaux. Elles gravitent autour.

swissinfo: Comme le suggère votre contribution à Histoires de droits de l’homme, vous cherchez à insuffler cet état d’esprit chez chacun de vos spectateurs ?

P. R. : Oui. Je cherche aussi à dire que notre corps est similaire à une plante ou à un cochon. Si nous acceptons notre animalité, notre appartenance à la biosphère, nous traiterons avec plus de douceur et de sensibilité notre environnement naturel.

swissinfo: Votre court-métrage est intitulé Je bois l’eau de ton bain. Que signifie ce titre?

P. R. : Il contient plusieurs messages. Le principal est de dire que nous sommes hystériquement hantés par l’hygiène et la propreté. Ce qui nous conduit à produire des tonnes de déchets.

J’ai voulu mettre en lumière cette contradiction: pour être propre, nous polluons la terre. Il suffit de penser aux emballages plastiques non recyclables utilisés pour protéger notre nourriture. Boire l’eau du bain de quelqu’un dégoute ici. Mais bien des gens sur cette terre seraient très heureux d’avoir cette eau.

swissinfo: Les premières images de votre film montrent un désert et une pompe à essence. On découvre que ce désert recouvre la cuisse d’une femme nue qui plane ensuite au milieu d’un verger.

P. R. : Notre corps est une planète, un paysage. J’ai voulu souligner cette image souvent utilisée chez les artistes en rappelant que nous sommes en passe de consommer la totalité d’un pétrole qui a mis des millions d’années à être fabriqué. C’est comme si nous nous tailladions nos veines.

swissinfo: Et cette femme nue qui vole tout au long de votre court-métrage au milieu des plantes et des pommes?

P. R. : Elle symbolise l’être humain dépouillé de ses attributs de classe et de ses marqueurs historiques. Si j’évoque les pommes, c’est pour dire que notre peau est comme celle de ce fruit. Si on entaille sa pelure, sa chair brunit, comme une blessure. La pomme, c’est aussi un fruit central dans notre culture judéo-chrétienne. Adam et Eve voulaient échapper à la gravité terrestre.

swissinfo: Votre premier long-métrage – Pepperminta – sera-t-il de la même veine?

P. R. : Le film commence avec une fille de 10 ans. Sa grand-mère lui a demandé de libérer le monde de ses peurs inutiles. La peur peut être utile pour survivre. Mais nous nous censurons souvent et n’osons pas faire des choses par peur des réactions d’autrui.

Fort de sa mission, le personnage principal du film fait toutes sortes d’expériences réussies ou non. Nous retrouvons ensuite cette fille à l’âge de 30 ans. Elle est devenue une scientifique de la couleur. Toujours guidée par sa mission, elle finit par trouver la couleur parfaite qui aide à se débarrasser des peurs inutiles. Avec ce film qui sortira au printemps ou en été prochain, j’ai envie de toucher un nouveau public via les cinémas ou la télévision. Et ce pour sortir de la lutte de classe entre le public qui fréquente les musées et ceux qui n’y mettent jamais les pieds.

Interview swissinfo: Frédéric Burnand à Genève

Le film a été projeté à Genève dans le cadre d’une soirée organisée par le Festival du film et forum international sur les droits humains.

Ses auteurs: Marina Abramovic(Serbie/Pays-Bas), Hany Abu-Assad (Palestine), Armagan Ballantyne (Nouvelle-Zélande), Sergei Bodrov (Russie), Charles de Meaux (France), Dominique Gonzalez-Foerster & Ange Leccia (France), Runa Islam (Royaume-Uni/Bangladesh), Francesco Jodice (Italie), Etgar Keret et Shira Geffen (Israël), Zhang-Ke Jia (Chine), Murali Nair (Inde), Idrissa Ouedraogo (Burkina Faso), Pipilotti Rist (Suisse), Daniela Thomas (Brésil), Saman Salour (Iran), Sarkis (France), Bram Schouw (Pays-Bas), Teresa Serrano (Mexique), Abderrahmane Sissako (Mauritanie), Pablo Trapero (Argentine), Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande) et Jasmila Zbanic (Bosnie).

Les 22 courts métrages ont été tournés dans plus de 20 pays à travers le monde et dans des langues différentes. Ils sont visibles en tant que courts-métrages individuels et ils sont également présentés tous ensemble dans un long métrage de 80 minutes.

Co-organisée par la Suisse, la session commémorative du Conseil des droits de l’homme célébrant le 60e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme se tiendra le 12 décembre dans la Salle des droits de l’homme et de l’Alliance des civilisations du Palais des Nations, à Genève.

Le matin sera diffusé quelques-uns des courts métrages d’Histoires de droits de l’homme. Des enfants donneront lecture, en différentes langues, d’articles de la Déclaration, après quoi se tiendra un débat général au cours duquel les intervenants présenteront une série d’initiatives.

L’après-midi, participeront à cette session commémorative le Secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-moon, la Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Navanethem Pillay, ainsi que d’autres personnalités, comme comme la Française Rama Yade, secrétaire d’Etat aux droits de l’homme, Micheline Calmy-Rey, ministre suisse des affaires étrangères, ses homologues du Brésil, des Philippines, du Maroc, d’Argentine, de Grèce ou du Bahrain, sans oublier les présidentes d’Amnesty International (Irene Khan) de la FIDH (Souhayr Belhassen) et Veronika Mohacsi, présidente du Forum des minorités et représente Rom, une miniorité toujours discriminée en Europe.

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