Pourquoi les Suisses aiment la France
Premier tour des présidentielles dimanche. En marge de cet événement, un constat: les Suisses sont attirés par la France. Pas seulement les Romands.
Comme 155 000 autres Suisses, Jean-Pierre Moulin vit en France. En ce qui le concerne, depuis plus de 40 ans. Journaliste et écrivain, il nous parle de cette attirance particulière qu’exerce la France sur nombre de Suisses.
Jean-Pierre Moulin: La première raison de cette attirance c’est, je pense, la proximité culturelle. C’est à dire la même langue. Mais en plus, les Romands sont minoritaires en Suisse. Donc, ils ont tendance, peut-être, à compenser une certaine solitude linguistique qu’ils ont dans leur propre pays. Dans les milieux artistiques et intellectuels, en tous cas, mais aussi dans les milieux relatifs au commerce ou à l’industrie.
En Suisse, la majorité est alémanique. Et je dirais plus qu’alémanique, elle est schwyzertütsch. C’est une chose dont on n’ose pas parler, mais la barrière des langues était peut-être moins importante il y a 50 ou 60 ans, lorsque les Romands parlaient l’allemand et les Alémaniques aussi. Aujourd’hui, je ressens l’existence d’une nouvelle barrière, celle du schwyzertütsch. Et elle est assez imperméable.
Il y a aussi tout ce qui va avec la culture française. Si vous apprenez à l’école, en Suisse, les fables de La Fontaine ou qu’on vous raconte les contes de Perrault, alors vous êtes un peu dans la même situation que les petits Français.
swissinfo: Est-ce que, d’une certaine façon, les Suisses qui émigrent en France ont le sentiment de sortir d’une bulle pour aller dans le vrai monde?
J.-P. M.: Aujourd’hui, les moyens de transport permettent de nombreux contacts entre les pays. Alors, cette bulle, si elle existe, c’est qu’on la fabrique soi-même.
Il y a plutôt une attirance pour la France, qui reste un pays curieux, fascinant, et parfois agaçant.
Fascination et irritation. Comment jouent ces deux éléments?
J.-P. M.: Ces agacements relèvent d’une certaine familiarité. Dans les familles, il y a des cousins qui agacent. Peut-être plus que des étrangers, parce que les cousins, on est obligé de les rencontrer. Ou parce que les contacts sont plus fréquents.
Par exemple, les médias audiovisuels français sont énormément présents en Suisse romande. Il n’y a pas un jour où mes amis genevois ou lausannois n’écoutent pas la radio française ou ne regardent pas la télévision.
Il y a aussi la presse. Le Canard enchaîné a une clientèle fidèle et très importante en Suisse romande. Or, pour lire ce journal, il faut tout de même avoir une certaine culture de l’étrange politique française.
Le rapport entre les Suisses romands et la France est assez différent de celui que les Alémaniques entretiennent avec l’Allemagne. Quelle est votre vision de cette différence?
Elle est évidente pour qui a vécu la deuxième guerre mondiale. A l’époque, il y a eu un important refus des Alémaniques à l’égard de Hitler. Aujourd’hui, ce sentiment s’efface, mais peut-être Suisses alémaniques et les Allemands n’ont-ils jamais retrouvé ce cousinage?
J’ai une autre idée, tout à fait personnelle. J’en reviens au fait que, depuis vingt ou trente ans, les Alémaniques se remettent à leurs dialectes. D’une façon importante, tout de même. Beaucoup d’Alémaniques considèrent leurs dialectes comme une langue dont ils peuvent être fiers. Alors qu’il y a cinquante ou soixante ans, c’était le langage de la maman, au plus de l’école primaire. Maintenant, on s’aperçoit que, même en Suisse alémanique, le bon allemand n’est pas toujours parlé ou compris.
En revanche, le français est une langue beaucoup plus universelle. Il n’y a pas de dialecte romand. On parle la même langue à Lausanne, à Genève, à Neuchâtel ou à Bordeaux… Avec quelques petits idiotismes, comme on dit, mais ces différences existent aussi entre Marseille et Toulouse.
Il n’y a donc pas de barrière entre la Suisse romande et la France. Alors qu’il y en a sans doute une entre la Suisse alémanique et l’Allemagne. Mais il y a tout de même énormément de contacts, ne serait-ce que culturels.
Vous revenez en Suisse régulièrement. Mais vous êtes ancré en France, à Paris, depuis 1947.
J.-P. M.: J’avais à peine 24 ans quand je suis arrivé. J’ai vu la IV République se créer, puis tomber. Puis la Ve arriver. Et aujourd’hui, beaucoup voudraient changer la Ve République. Les Français ont cette manie de changer leur constitution depuis la révolution française.
Comment définiriez-vous la relation que vous entretenez avec ce pays que vous connaissez parfaitement bien maintenant? Et peut-être celle aussi que vous avez avec Paris?
J.-P. M.: C’est une relation d’habitant. Je me ne suis pas naturalisé, comme beaucoup de mes amis romands l’ont fait sans, d’ailleurs, renier la Suisse. Moi, je ne crois pas beaucoup aux nationalités.
Je suis un habitant de Paris, beaucoup plus que de la France. Comme tout Parisien, j’irais plus volontiers à New York ou à Rome, qu’à Lille ou à Marseille. J’ai tort d’ailleurs.
Donc, je suis un habitant de Paris. Et comme il y a beaucoup d’étrangers, ici, je suis tout à fait à l’aise. Paris a, depuis toujours, non seulement accueilli des étrangers, mais aussi appris à vivre avec eux. Et à leur emprunter, souvent, ce qu’ils avaient mieux.
Elle l’a fait avec certains Suisses, comme Cendrars, Giacometti, Le Corbusier, qui ont été un peu annexés par les Français.
Mais même si on fait sa vie en France, je ne crois pas que la rupture est totale. D’autant plus que les Suisses gardent le souvenir qu’ils sont d’abord originaires d’une commune. Ce qui n’est pas le cas en France.
Propos recueillis par Bernard Léchot, swissinfo
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