Poussepin, au cœur du Marais
Il était une fois à Paris un hôtel particulier un peu défraîchi qui devint, il y a plus de 20 ans, un centre culturel suisse. Comment et pourquoi?
Retour sur l’histoire d’un lieu qui malgré les difficultés et les vagues, a le mérite de continuer à susciter la rencontre et le débat.
Ces dernières années, le Centre culturel suisse de Paris (CCS) a suscité des vagues et en a subies. A tort ou à raison, peu importe en l’occurrence.
Ce qui nous intéresse ici, c’est l’existence d’une île helvétique au milieu du Marais, ce quartier qui fut effectivement une zone marécageuse, puis un vaste jardin potager, et qui trouva son visage historique au 16e siècle suite à la construction de la place des Vosges par Henri IV, et dans la foulée, de moult hôtels particuliers.
Un quartier qui a ensuite subi une longue désaffection, dès le 18e siècle. Au cours de la première moitié du 20e, il faillit même être ravagé par les rêves bétonnés de Le Corbusier et d’urbanistes se réclamant de lui…
Réhabilitation du quartier
Albert Mandil est le plus ancien habitant de l’Hôtel d’Alméras, construit en 1603, devenu Hôtel de Poussepin dès 1660. Il est venu y loger avec ses parents, en 1949.
«A cette époque-là, le quartier n’était pas à la mode, certains appartements ne possédaient pas de sanitaires, ou alors sur le palier. Au rez-de-chaussée, il y avait une entreprise d’édition pour enfants. Elle possédait des entrepôts qui avaient été construits sur l’ancien jardin», se souvient-il.
Puis le quartier a évolué. Dès les années 60, la création de l’Association pour la sauvegarde et la mise en valeur du Paris historique a stimulé sa réhabilitation. Progressivement, les maisons ont été restaurées, les jardins débarrassés des bâtiments industriels qui les avaient envahis.
Quartier juif (la Rue des Rosiers jouxte celle des Francs-Bourgeois), le Marais va également devenir, progressivement, le quartier gay de Paris. Et donc résolument ‘mode’.
Le CCS, de l’intérieur et de l’extérieur
«La vogue des centres culturels étrangers à Paris date des années 50 déjà, avec une grande vague dans les années 60-70. C’est donc avec quelques années de retard que le CCS entre dans le concert. A la fondation Pro Helvetia, on ressent la nécessité d’ouvrir une antenne qui relie les milieux culturels suisses à toutes les cultures présentes à Paris», explique Daniel Jeannet, qui fut directeur des lieux de 1991 à 2002, mais également membre de l’équipe des pionniers, de 1985 à fin 1986.
Mais rien n’a été simple: «Même au sein de Pro Helvetia, une majorité de personnes s’opposait au projet, sous prétexte qu’un centre n’avait pas plus de raison d’être à Paris qu’à Rome ou ailleurs. Il a fallu une minorité agissante… D’autant plus que le président de la Fondation était opposé, ainsi que le gouvernement, pour des raisons financières.»
Le journal L’Hebdo prendra fait et cause pour le projet, et jouant d’une comparaison ironique (le prix d’un tapis acheté par l’ambassade comparé à celui de l’Hôtel Poussepin), suscitera une vague de soutien et une souscription qui rassemblera 250’000 francs suisses. «Sous cette pression, le gouvernement et Pro Helvetia sont allés de l’avant», constate Daniel Jeannet.
Coût de la transaction: 650’000 francs pour l’achat du rez-de-chaussée de l’hôtel particulier et la jouissance pendant une vingtaine d’années du jardin, et donc de l’entrepôt qui s’y trouve. Avec les travaux de transformation, la facture totale se montera à 1,3 million de francs. Au vu de l’évolution du marché de l’immobilier à Paris, un placement réussi plutôt qu’une dépense.
Par contre, aujourd’hui, une question demeure: qu’adviendra-t-il du CCS si les autres copropriétaires de l’immeuble souhaitent récupérer un jour le jardin? La chose ne semble pas vraiment claire. Et, rappelons-le, l’ancien entrepôt abrite une salle d’exposition et, en sous-sol, la salle de spectacle…
En 1985, comment les habitants du quartier ont-ils perçu ce débarquement étranger? «Nous étions d’un côté satisfaits de voir s’installer un lieu culturel, même si nous aurions préféré voir reverdir le jardin… Mais nous avions quelques inquiétudes en ce qui concerne l’animation, le bruit», se souvient Albert Mandil.
Des conventions furent donc passées, pour limiter les nuisances. Des accords qui ont bien fonctionné, avec quelques bémols semble-t-il depuis que la direction est assurée par Michel Ritter. Mais les problèmes seraient en passe de «se tasser»…
La loi de l’art
Reflet des cultures suisses. Plate-forme d’échange. Lieu de débats. Beaucoup de désignations ont pu caractériser le CCS.
Aujourd’hui, celui-ci se veut plutôt électrochoc que vitrine. «Son rôle n’est pas d’endormir, mais de déranger. Ce n’est qu’après la secousse, la remise en question, que peut se faire un repositionnement identitaire» disait Michel Ritter dans son allocution à l’occasion des 20 ans du Centre.
Dans un cas comme dans l’autre, la rencontre est au cœur du travail du CCS. C’est d’ailleurs ce que retient Daniel Jeannet de ses nombreuses années passées rue des Francs-Bourgeois.
«Notre travail comprend une loi très simple, c’est la loi de l’art en général. C’est l’offrande réciproque. La rencontre d’une œuvre avec un public. D’un acteur avec un spectateur. Cette intimité de l’échange qui fonde ce qu’on pourrait appeler solennellement le pacte artistique. Les années que j’ai vécues ici ont été des années où ce pacte a été honoré, par les artistes et par le public. Nous en avons été les intermédiaires et les témoins souvent émus.»
swissinfo, Bernard Léchot à Paris
Centre culturel suisse de Paris, 32-38 rue des Francs-Bourgeois, 75003 Paris (Métro: Saint Paul).
Le Centre culturel suisse de Paris appartient à la Fondation suisse pour la culture Pro Helvetia.
C’est une fondation de droit public chargée d’encourager les efforts culturels d’un intérêt général pour la Suisse. Instituée en 1939, elle est entièrement financée par la Confédération suisse.
Son budget, depuis 2005, est de 33 millions de francs suisses par année. Le parlement avait décidé de sanctionner la fondation en réduisant le budget d’un million de francs suite à l’exposition «Swiss-Swiss Democracy» de Thomas Hirschhorn au CCS Paris.
Le CCS dispose pour ses activités de plusieurs salles d’exposition et d’une salle de spectacle, à laquelle on accède par l’impasse des Arbalétriers.
Au 32 de la rue des Francs-Bourgeois, la bibliothèque met à disposition du public un fond de plus de 6000 livres et revues sur des domaines variés concernant la Suisse ainsi que plus de 600 CD audio.
La vidéothèque comporte 1300 vidéos (fictions, documentaires, danse, courts-métrages, art contemporain) consultables à la demande et sur rendez-vous.
L’équipe actuelle du CCS: Michel Ritter (direction), Katrin Saadé-Meyenberger (administration), Klaus Hersche, Nicolas Trembley (chargés de projets) et une dizaine de collaborateurs.
Le CCS a publié en décembre 2006 un catalogue évoquant en images les trois premières années de l’ère Ritter, de 2003 à 2005.
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