Prince ou John Scofield: le dilemme à Montreux
Deux guitares et deux styles s'offraient en parallèle au Festival de Jazz de Montreux lundi. Prince d'abord, vieux phantasme du festival, et John Scofield, pour le jazz.
Avec ses complices Medeski, Martin et Wood, l’éclectique barbu a offert une leçon de jazz moderne, naviguant entre funk déstructuré et apnées bruitistes.
Impossible (sacrilège?) d’évoquer la soirée de lundi à Montreux sans parler de LUI. Avant une vingtaine de concerts à Londres en août, Prince faisait une halte exclusive en Europe continentale sur les bords du Lac Léman.
Un joli coup pour Claude Nobs, patron du festival, qui voyait son rêve d’accrocher la star à son palmarès enfin réalisé. Un beau coup marketing pour Prince aussi, qui sort son nouvel album la semaine prochaine.
Annoncé au début du festival seulement, son concert a fait le plein. Les billets étaient partis en dix minutes et se sont ensuite arrachés à prix d’or sur le marché noir, atteignant des records pour la manifestation.
Devant 4500 personnes, le showman a entamé son concert de deux heures sur un mode jazzy avant une seconde partie plus funk. Une prestation diversement appréciée, attaquée avec 45 minutes de retard, la salle ayant eu droit entre temps à une diffusion de l’intégralité de son nouveau cd.
Après Jeff Beck dimanche, en parallèle à Prince, lui aussi un géant du manche, la petite salle du festival accueillait lundi une pléiade de guitaristes.
Jake Hertzog d’abord, vainqueur de la compétition de guitare du festival l’an dernier. Jazz cocaïné, entre funk et free – le fougueux Américain au jeu hargneux et son quartet ont offert un set prometteur.
«Guitar heroes»
Enchaînement plus rock/rythm’n blues et «guitar heroes» avec Larry Carlton et Robben Ford. Une heure au carré d’efficacité binaire. Et deux compères et amis de 30 ans qui, mine de rien, ont fait hennir la salle, rejoints en fin de set par l’harmonica de Claude Nobs.
Les adeptes d’un jazz contemporain qui n’a que faire des lauriers et de la facilité se sont vraiment délectés plus tard dans la soirée. John Scofield – un maître de la six cordes révélé en son temps par Miles Davis – donnait la réplique à un trio explosif et sans œillères.
Ce trio – cette bombe sans retardement – répond au nom de code MM&W. John Medeski aux claviers (à l’orgue Hammond surtout!), le tellurique Billy Martin à la batterie et le symphoniste Chris Wood à la basse. Trois New Yorkais qui ont fait les belles nuits de la Grosse pomme dans les années nonante avant d’éclater plus largement.
Un vrai quartet
Il faut être juste. Pas question ici de trio + 1. Les quatre hommes se sont croisés il y a neuf ans déjà pour un album («A go go») très marqué par la patte du guitariste/compositeur.
Dans la galette de l’année, les jeunots ont pris l’ascendant. Mais sans rien étouffer des élans d’un vieux lion jamais aussi aventureux que lorsqu’il est piqué au vif. Et c’est le cas dans «Out louder», décliné à Montreux.
Le Miles Davis Hall avait donc affaire à un vrai quartet. Petit retour sur image: le groove est installé en moins de deux. Solo désarticulé d’un Scofield au son anglé. Medeski foudroie son orgue et tente de le prendre de vitesse. Cette musique à haut voltage émotionnel jouit d’elle-même.
D’entrée, le ton est donc donné pour une heure et demie de concert et sept thèmes. Sans compter le rappel. Un concert plein de fureurs urbaines et de dissonances abstraites.
A la Robert Duval
En vieux sorcier arc-bouté sur sa belle, rictus à la Robert Duval, Scofield en tire tous les sons imaginables. Et même d’autres. Il se lance dans un solo délié où les notes viennent se noyer en une mélodie chuintée.
On le retrouve ensuite entre interjections de verre et réminiscences de la trompette électrifiée du Miles Davis des années 70. La densité du moment atteint son sommet avec la revisite toute ébréchée du Julia de Lennon. A saigner le cœur.
Sur la droite, trônant devant ses claviers, Medeski psalmodie tout en picotant ses touches jusqu’à l’obsession. Jusqu’à l’oppression. La section rythmique dresse des architectures en courbes et diagonales.
Rythmes latin, funky, boiteux ou en creux, cette musique choisit aussi, parfois, l’extrême liberté expérimentale. Les improvisation luxuriantes en sont le résumé. Un jazz déjanté pour la tête et les pieds. Un jazz adopté par le public, des pieds à la tête.
swissinfo, Pierre-François Besson à Montreux
Guitariste né en décembre 1951 dans l’Ohio, John Scofield est l’archétype du musicien urbain, toujours à l’écoute des nouvelles tendances. Il a joué avec des pointures comme Charles Mingus, Charlie Haden ou Herbie Hancock.
Influencé par le rythm’n blues, actif aux côtés de Miles Davis entre 1982 et 1985, il est un des praticiens les plus influents de son instrument depuis une vingtaine d’année, aussi moderne dans le son qu’inventif dans le discours.
Tout aussi urbain, ce trio clavier-basse-batterie new yorkais composé de John Medeski, Billy Martin et Chris Wood tourne depuis 1991. Et toujours plus vite.
Ces trois anciens du conservatoire de Boston crient au monde un jazz ouvert à toutes les musiques actuelles. Funk mais aussi pop, world et hip-hop offrent à ces dynamiteurs le prétexte à improviser sans complexe.
Disposant de son propre label, ils entament avec John Scofield une série de collaboration qui devraient faire date avec d’autres musiciens.
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