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Daniel de Roulet, son chemin de croix suisse

Daniel de Roulet
Dans cette suite de promenades-récits on suit Daniel de Roulet à travers une Suisse arpentée d’abord d’ouest en est, puis du nord au sud. Héloïse Jouanard

Aéré, verdoyant, pastoral, La Suisse de travers de Daniel de Roulet est l’antidote du stress que nous subissons aujourd’hui. L’auteur genevois a écrit ce récit de voyage avant la crise sanitaire. Il y raconte la traversée à pied de son pays qu’il a effectuée en 2016 et 2017. Une bouffée d’oxygène! Entretien.

A l’heure où la planète retient souffle sous la pression du confinement, voici un livre qui chasse les miasmes du coronavirus et vous aère les poumons, à grands coups d’enjambées et de pensées vitaminées. N’allez pas croire qu’il s’agit ici d’un vade-mecum sanitaire, ça non, mais de plein air, oui! Et Dieu sait si on en manque aujourd’hui… de plein air! Jamais on n’aura autant rêvé d’alpages, de lacs, de parcs, de forêts… Les voici franchis avec un souffle apaisant, dans La Suisse de traversLien externe, ouvrage bucolique, verdoyant, baigné d’une lumière alpine, paru aux éditions Héros-Limite sous la signature de Daniel de RouletLien externe.

L’écrivain genevois est un pèlerin. Dans ses précédents ouvrages (L’envol du marcheur, Légèrement seul, Terminal terrestre), Daniel de Roulet avait parcouru océans, plaines et montagnes, avec la curiosité de l’infatigable voyageur qu’il est… à 70 ans passés. Autre immense randonnée, donc, La Suisse de travers où il sillonne son pays à pied, d’ouest en est, et du nord au sud, traçant avec ses pas une croix, emblème de son « patriotisme géographique ». Dans son sac à dos, des livres sur cette terre helvétique, écrits par des auteurs locaux et étrangers. Histoire de nourrir sa réflexion de marcheur pensif.

swissinfo.ch: Peut-on dire que votre livre offre un remède à l’étouffement?

Daniel de Roulet: Oui, on pourrait dire ça. Mais quand je l’ai écrit, il n’y avait pas encore cette crise sanitaire. C’est donc un hasard, disons heureux car il vous empêche de déprimer en ruminant des idées noires sur la période difficile que nous traversons. Il n’est pas interdit de voir dans cette Suisse de travers un éloge de la nature, avec laquelle nous avons un rapport ambigu au XXIe siècle. Je pense que ce qui nous manque, lorsque nous vivons en ville, c’est la dimension du ciel, que l’on devine entre deux immeubles ou deux gros nuages. 

Qu’est-ce que vous entendez par rapport ambigu?

Avant, on pensait que la nature formait un «corps» extérieur au nôtre. Aujourd’hui on s’aperçoit que ces deux corps sont intimement liés, et qu’il existe donc une interaction très forte entre le comportement humain et celui de la nature. Pour preuve, le changement climatique et autres dysfonctionnements auxquels nous assistons maintenant.

Voyez-vous dans le coronavirus la main de l’homme?

Non, je ne suis pas adepte des théories complotistes. Je pense, en revanche, que la provocation d’un désastre au plan social et économique vient de la mondialisation qui, elle, est le fait de l’homme. Cette crise nous le prouve: la dépendance de l’Europe vis-à-vis de la Chine, en matière pharmaceutique, est dramatique. 

Vous parlez justement de mondialisation dans votre livre et vous l’opposez à la «mondialité». Quelle différence faite-vous entre les deux termes?

La mondialité, c’est ce nouveau rapport que nous avons à l’ensemble de la planète. Lorsqu’un événement advient à l’autre bout du monde, nous nous sentons très vite concernés ici. Nous nous éloignons ainsi d’une vision purement nationale de notre pays, pour entrer dans un métissage global. La terre devient alors un seul et même espace: notre jardin. La mondialisation, en revanche, correspond pour moi à des théories financières, à la rapidité des échanges. C’est, si vous voulez, le mauvais côté de la mondialité.

>> Dans cet entretien accordé à la RTS en 2000, Daniel de Roulet évoque le lien entre sa pratique de l’écriture et du marathon:

Contenu externe

Durant votre traversée, vous faites une halte sur la plaine du Grütli. Ce lieu symbolique, qui évoque l’acte fondateur de la Suisse il y a presque huit siècles, vous inspire ces mots: «Je ne m’étonne jamais de notre naïveté patriotique», pourquoi?

Pour éclairer ma pensée, je vais vous donner un exemple lié à l’actualité. A cause de la pandémie, le canton d’Uri, l’un des trois cantons fondateurs de la Suisse justement, a décrété le confinement, alors qu’il n’est pas plus exposé que d’autres cantons du pays qui, eux, ne sont pas tous confinés. La résistance patriotique du canton d’Uri me fait rire: peut-on arrêter à ses propres frontières un virus alors qu’aujourd’hui, toute la Suisse est reliée par des tunnels, ouverte ainsi à tous les vents microbiens?

Il y a dans la paix suisse « qui fonctionne comme un refuge (…) autant de fantômes et de spectres que partout ailleurs sinon davantage », écrit le Français Jean-Christophe Bailly dans la préface de votre livre. Vous lui donnez raison?

Oui. Il est vrai qu’il y a chez nous, de façon générale, de la peur et de l’inquiétude qui sont à la base de notre repli sur nous-mêmes. Notre littérature en témoigne d’ailleurs. Nous avons la fâcheuse habitude, narcissique, de nous regarder un peu trop le nombril.

Suivant le tracé de votre marche, vous dites non sans humour : «J’ai fait une croix sur mon pays». La phrase peut s’entendre de deux manières. Laquelle faut-il retenir?

Même si ma phrase paraît sarcastique, je ne veux pas dire que mon pays me désespère, mais plutôt que je porte dans mon être l’emblème de la Suisse: la croix.

Concluons sur une note bucolique, puisque la nature demeure le fil lumineux de votre livre. Vous dites que la Suisse est «le Château d’eau de l’Europe». Un commentaire?

Oui, ça me semble évident. Avec ses 150 lacs et ses dizaines de fleuves dont trois très grands, le Rhin, l’Aar et le Rhône, la Suisse dispose d’un atout majeur. Tout le monde sait que si on coupe les sources, on crée des problèmes. La géographie de la Suisse, en dehors de toute considération politique, a préservé le pays des invasions étrangères. Notre richesse aquatique et notre emplacement au cœur de l’Europe rend celle-ci dépendante de nous. C’est notre force.

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