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Quand Chère Ella devient «Itoshi no Era»

Anne Deriaz (à gauche) et sa traductrice japonaise Mitsuko Suzuki. swissinfo.ch

Chère Ella, témoignage de l'écrivain suisse Anne Deriaz sur les deux années précédant la mort de la grande voyageuse Ella Maillart, paraît en japonais. Et fascine des Japonais qui se demandent comment dire adieu à la vie en toute sérénité.

Trop à l’étroit dans ses frontières suisses, dans les années 30, Ella Maillard, aventurière taraudée par le sens à donner à la vie, quitte l’Europe pour l’Asie afin d’y chercher des réponses à des questions impossibles.

Telles que: «Qu’est-ce que nous faisons sur terre?». «Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien?». «Comment arriver à une jouissance apaisée de la vie, toute inquiétude apaisée, jusqu’a son dernier jour?»

Entre Occident chrétien et Orient bouddhiste

Anne Deriaz a assisté, mardi, à l’ambassade de Suisse à Tokyo, au lancement de la traduction japonaise de son livre Chère Ella – Elégie pour Ella Maillart, dix ans après sa parution en français.

En vivant avec Ella Maillard pendant les deux années qui ont précédé sa mort à 94 ans dans un chalet de Chandolin en Valais, Anne Deriaz est entraînée dans une quête existentielle. Son livre, voyage intérieur, restitue la parole de Ella Maillart désireuse, avant sa mort, de communiquer une sagesse à mi-chemin entre l’Occident chrétien et l’Orient bouddhiste.

D’où l’intérêt de sa traductrice japonaise Mitsuko Suzuki qui restitue à son tour, en japonais cette fois-ci, la parole et la sagesse d’Ella Maillart. «Le passé est mort, disait-elle, seul l’instant présent est réel.»

Lorsque nous demandons à Mitsuko Suzuki, qui a longtemps travaillé pour l’Office national suisse du tourisme à Tokyo, ce qui l’a incitée à traduire le livre d’Anne Deriaz, elle répond: «J’ai voulu comprendre pourquoi Ella Maillart et d’autres intellectuels européens s’intéressent autant à l’Asie. J’ai aussi voulu savoir comment cette grande Dame a vécu les derniers moments de sa vie, comment elle a fait face à la mort.»

«Ce qui m’arrive ne me concerne pas», note Ella Maillart. Si elle vit dans un monastère en Inde durant la Seconde Guerre mondiale, elle n’a jamais la prétention d’être un gourou. Elle ajoute: «Je suis une vieille coque. Mais on ne va pas se laisser atteindre par l’extérieur. Je ne suis pas extérieure. Les gens qui ont peur de la mort ne m’intéressent pas. Je ne peux pas comprendre ça. Peur de quoi? S’arrêter de respirer, ce n’est pas bien dangereux.»

Rencontre réussie

Selon Anne Deriaz, Mitsuko Suzuki est en admiration devant Ella Maillart. La traductrice et l’auteur de Chère Ella se rencontrent à Saint Luc en Valais.

«On a eu un contact extraordinaire, se souvient Anne Deriaz. Mitsuko Suzuki m’a dit: ‘c’est très important que votre livre soit traduit dans une langue asiatique’. Elle s’est fait un point d’honneur que la première traduction soit en japonais».

Mitsuko Suzuki est très étonnée de sentir qu’une Européenne puisse s’intéresser aussi ardemment à la philosophie, au mode de vie asiatique. La traductrice est, elle-même, très intéressée par l’Europe. «Il y avait donc là une sorte de chemin croisé, si j’ose dire», observe Anne Deriaz.

Mais qu’est-ce que peut apporter Ella Maillart aux Japonais? «Elle peut nous apprendre comment mourir. Comment trouver la force intérieure pour faire face à cette échéance». dit Mitsuko Suzuki.

Dans une société en voie de vieillissement accéléré, rien de plus naturel que de se poser de tels questions. Ella Maillart et les Japonais partagent le même sentiment profond d’immanence. Il n’y a pour l’homme d’horizon qu’«ici et maintenant». Le temps est sans début et sans fin Le passé n’existe plus et le futur n’est pas encore la, estiment les Japonais.

Anne Deriaz n’a pas vraiment cru que cette traduction de Chère Ella en japonais serait possible. «Dans un sens, je crois rêver. Et, d’autre part, j’essaie d’être consciente de l’instant présent comme le demandait Ella, c’est un magnifique accomplissement», s’exclame l’écrivain dans le jardin de l’ambassade de Suisse a Tokyo.

«Ella Maillart est une sorte de sage, cette traduction japonaise est très importante pour mes patients, les autres médecins, et le personnel-soignant de l’hôpital Matsuyama Bethel où je travaille», assure le Dr. Yoji Mori, un neurochirurgien devenu spécialiste de médecine palliative, qui a étudié la médecine à Genève.

«Elle nous apprend à savoir tout quitter», affirme Yoji Mori, venu de son île de Shikoku, à 500 kilomètres au sud de Tokyo, pour le lancement de la traduction japonaise de Chère Ella.

swissinfo, Georges Baumgartner, Tokyo

Anne Deriaz est née le 5 octobre 1939 à Baulmes, au pied du Jura vaudois, dans une famille de photographes.

Elle étudie l’histoire de l’art et la pédagogie à Lausanne puis à l’université de Genève.

Elle a participé à la création d’une école pour des enfants en rupture scolaire.

Mène des réflexions sur différence et tolérance, éthique et esthétique, naissance et mort, Dieu.

A publié: Ceux qui voyagent dans la nuit, J’ai cassé le verre de cristal, Chère Ella, Elégie pour Ella Maillart, Des géraniums à la fenêtre.

Ella Maillart ( 1903-1997) est une des voyageuses les plus étonnantes du 20e siècle.

Exploratrice par quête de vérité, photographe par gout, écrivain et journaliste par nécessite. Célèbre pour ses exploits sportifs, ses voyages et ses livres, Ella Maillart va parcourir les régions les plus reculées de la planète dans des conditions qui relevaient de la pure aventure.

«J’entends tellement mal. C’est mieux ainsi!»

«Etre seule, c’est la joie! Car je peux suivre ma pensée.»

«L’œil regarde mais c’est l’âme qui voit.»

«Vivre l’instant présent.»

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